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En quoi l'histoire est-elle à la fois un savoir indispensable et une science impossible ?

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« Termes du sujet: SAVOIR / SAVANT: * Savoir: a) Comme nom, ensemble de connaissances acquises par l'apprentissage ou l'expérience.

b) Comme verbe, avoir appris quelque chose, et pouvoir le dire, le connaître, le répéter. * Savoir-faire: ensemble de procédés de gestes habituels permettant la réalisation régulière de certains buts. * Savant: a) Celui qui possède un maximum de connaissances.

b) Celui qui exerce une activité scientifique (un physicien, un biologiste). SCIENCE : Ensemble des connaissances portant sur le donné, permettant la prévision et l'action efficace.

Corps de connaissances constituées, articulées par déduction logique et susceptibles d'être vérifiées par l'expérience. HISTOIRE: Ce mot désigne soit le devenir, l'évolution des individus et des sociétés (allemand Geschichte), soit l'étude scientifique de ce devenir (allemand Historie). POSSIBLE: faisable, réalisable; le possible, c'est ce qu'on peut faire, ce que l'on a le pouvoir, la puissance de faire. Nous ne remettons guère en cause l'idée d'un enseignement de l'histoire, comme nous le faisons habituellement avec la philosophie.

Pose-t-on la question : à quoi sert l'histoire? Elle se présente en ce sens comme un savoir dont nous ne saurions nous passer.

Et pourtant, la considère-t-on de la même manière que les mathématiques, la physique? Ne lui refuse-t-on pas le statut de science? Comment alors comprendre ce fait : l'histoire serait à la fois un savoir indispensable et une science impossible? Comment est-il possible de rechercher cela même qui ne nous sera pas donné? Comment rechercher ce qui se présente comme imparfait? Est-ce que nous nous contentons de la sorte d'un moindre savoir : l'histoire n'est malheureusement pas une science, mais nous faisons avec? Ou faut-il s'estimer heureux de cette imperfection qui permettrait à l'histoire de dépasser les manques de la science? À moins que, pour être un véritable savoir, l'histoire ne doive absolument pas être une science... Il semble que les enjeux soient ici non seulement le statut privilégié de la science mais surtout sa valeur : nous apporte-t-elle tout le savoir auquel nous aspirons? On peut tout d'abord se désoler que l'histoire ne soit pas une science, car par science, nous entendons rigueur explicative et vérification possible.

Or l'histoire, malgré ses efforts, ne peut atteindre ces buts. En effet, si l'histoire représente bien la connaissance du passé, son souci d'expliquer les événements marquants sera limité par une vérification et une répétition impossibles ! Si je peux me rendre compte des différentes causes possibles qui ont rendu la Révolution française nécessaire (elle a eu lieu), c'est au prix d'une incertitude et d'un choix qui ne peuvent que déboucher sur une hypothèse : je ne peux privilégier une cause plutôt qu'une autre sans immédiatement remettre en question toute l'histoire avec des «si» : «si le nez de Cléopâtre eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé» (Pascal, Pensées, 162). Le nez de Cléopâtre, s'il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé. (Pensées) Pascal défend ici l'idée d'une histoire gouvernée par le hasard où de petites causes peuvent changer profondément le cours des évènements.

A rapprocher de cette autre citation : Cromwell allait ravager toute la Chrétienté; la famille royale était perdue, et la sienne à jamais puissantes, sans un petit grain de sable qui se mit dans son uretère (Pensées) Le problème est en effet de vérifier que la cause choisie est la bonne.

Le passé est ainsi un objet bien différent de celui de la physique ou de la biologie, qui doivent leur nom de science à cette vérification possible : on pourra expérimenter ce qu'on avance pour garantir et reproduire. L'histoire devient ainsi simple narration des faits passés, et rejoint une première forme de savoir qui est «informer». Ainsi sans pouvoir expliquer la Révolution française avec la rigueur des sciences, je saurais qu'elle a eu lieu en 1789 dans un enchevêtrement de faits que je pourrais préciser sans pour autant les revivre ni les faire revivre, pour voir comment cela a eu lieu exactement.

Je pourrais avancer une explication (Louis XVI, la crise sociale, l'injustice...) mais sans la prouver.

Mais il n'en reste pas moins que ces informations sont précieuses, indispensables même : elles satisfont bien un besoin qui est celui de connaître le passé, de le faire revivre - parce que le temps malheureusement efface tout -, de voir de quelles générations nous sommes les héritiers, de relier le présent au passé parce qu'ils sont nécessairement liés et que l'homme a une conscience, véritable «pont jeté entre le passé et l'avenir» (Bergson). De la sorte, on adopte une certaine attitude de compromis face à l'histoire, qui explique le paradoxe : on a tellement besoin de savoir que nos exigences finalement diminuent.

On se contentera de peu pourvu qu'on puisse savoir quelque chose, grignoter quelques parcelles du passé à travers un service d'informations incomplet...

Mais la science, si on ne peut remettre en cause ses qualités, a-t-elle toutes les qualités? Ne peut-on concevoir un savoir qui, au sein de ses imperfections, réponde à certains voeux, auxquels la science ne pourrait répondre? « Au sens strict des termes, l'histoire ne répond pas à la définition de la science; elle ne consiste pas en démonstrations abstraites comme les mathématiques ; elle n'est pas vérifiable par l'expérimentation comme les sciences de la nature; enfin, elle n'aboutit pas à des lois qui permettent la prévision.

» Léon E.

Halkin, Éléments de critique historique, 1974. « La frontière qui sépare l'histoire et la science n'est pas celle du contingent et du nécessaire, mais celle du tout et du nécessaire.

» Paul Veyne, «L'histoire conceptualisante», in Faire de l'histoire, 1974. « J'entends par histoire une recherche scientifiquement conduite, disons à la rigueur une science, mais complexe : il n'y a pas une histoire, un métier d'historien, mais des métiers, des histoires, une somme de curiosités, de points de vue, de possibilités...

» Braudel, Écrits sur l'histoire, 1969.. »

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