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En quel sens sommes-nous les auteurs de nos croyances ?

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« En quel sens sommes-nous les auteurs de nos croyances ? Nous sommes ordinairement très profondément attachés à nos croyances : nous supportons difficilement qu'on les attaque, les dénigre ou les raille.

Pour affirmer ce qu'ils croient être la vérité, des hommes sacrifient leurs intérêts, leur santé, leur vie même, s'élèvent au plus pur héroïsme : les divergences, les heurts de croyance, ont engendré peut-être autant de guerres que les convoitises économiques ou les raisons politiques.

C'est que les h o m m e s considèrent leurs croyances comme faisant partie de leur personnalité même, comme l'expression la plus vraie et la plus profonde de ce qu'ils sont, comme leur oeuvre personnelle : en discutant l'oeuvre, c'est l'ouvrier luimême qu'on discute. N'y a-t-il pas là une illusion ? Ces croyances auxquelles nous tenons tant, en sommes-nous les auteurs, sont-elles vraiment nôtres, et en quel sens en sommes-nous les auteurs ? Il semble tout d'abord que seule l'évidence de la vérité doit faire la croyance sincère : on croit parce qu'on voit ou parce qu'on comprend qu'il est raisonnable ou nécessaire de croire. Le jugement, il est vrai, est essentiellement un acte de l'intelligence, et la volonté n'est pas libre d'affirmer ce qu'elle veut.

Mais s'il y a des jugements auxquels nous ne pouvons pas ne pas croire malgré nos désirs, l'expérience nous montre bien que ce ne sont pas seulement des motifs intellectuels qui déterminent nos croyances, comme le veut par exemple Spinoza.

Pour lui, c'est l'idée elle-même qui, par sa force, son évidence, entraîne irrésistiblement l'adhésion d e l'esprit.

Cela peut être vrai dans des démonstrations mathématiques, mais non pour la plupart de nos idées, dont l'évidence, la clarté, résultent surtout de ce que, pour des causes qui ne sont pas toujours d'ordre intellectuel, l'ombre d'aucune idée contradictoire ne se projette sur elles. D'autre part, nous n'admettons pas non plus totalement la théorie d e Descartes qui voit en la croyance un acte volontaire et libre, seulement « une sorte de fiât de la volonté » prononçant à la façon d'un juge souverain sur la valeur des motifs de crédibilité qui lui sont soumis, suspendant ou ordonnant l'acquiescement d e l'intelligence.

Au contraire, il peut arriver q u e la volonté d e croire éloigne la croyance, comme si l'esprit se révoltait contre la contrainte qu'on veut exercer sur lui. La volonté joue un rôle dans la formation de la croyance, mais non un rôle essentiel.

C'est elle qui, dans les jugements dont l'évidence n'est pas immédiate, fixe l'attention et provoque la réflexion.

Même en l'absence d'objections, elle peut s'opposer à l'affirmation, freiner et laisser ainsi aux idées antagonistes le temps de se présenter.

C'est elle encore qui réfrène les impulsions de la passion, impulsions qui, tantôt, précipitent et tantôt retardent l'adhésion raisonnable.

Enfin, lorsque l'esprit s'est arrêté à une croyance, elle use les résistances de la routine par des exercices qui créent des habitudes nouvelles. La formation de nos croyances ne dépend donc pas seulement de la raison et de la volonté : des éléments irrationnels y collaborent. L'habitude supplante la raison et domestique la volonté : à force d'associer l'idée de vérité ou d'erreur au nom d'un homme ou d'un parti politique, on forme un préjugé quasi indéracinable et on se rend inapte à voir, dans ce domaine, l'évidence la plus nette.

Le sentiment se mêle lui aussi d'une façon plus ou moins inconsciente à la croyance; la sympathie et l'antipathie décident beaucoup de nos adhésions : « Le coeur a ses raisons que la raison ne comprend pas », dit Pascal.

A la croyance intellectuelle déjà formée, le sentiment apporte un supplément d e force et le rend irrésistible quand il s'élève jusqu'à la passion.

L'imagination joue également un rôle : les images vives, les traits brillants, ont souvent, sauf sur les esprits peu habitués à l'abstraction et à la critique, plus d'action que les preuves solides.

Enfin, nous avons naturellement le besoin de croire : c'est un penchant essentiel de la nature humaine.

« La négation ne le détruit pas, dit Brunetière; si vous ne croyez pas au surnaturel, vous croirez au merveilleux; si vous ne croyez pas à l'esprit, vous croirez à la matière.

» Toute notre personnalité se retrouve donc dans nos croyances, et voilà en quel sens nos croyances sont notre oeuvre.

Il ne dépend pas de nous de les fixer ou de les choisir par un acte arbitraire de la volonté : c'est avec loute notre âme que nous optons pour ou contre elles. Mais n'est-ce pas trop dire ? Les croyances les plus importantes sont les croyances religieuses et les croyances politiques.

Or, on ne saurait le nier, ces croyances sont collectives : talis regio, talis religio.

Ce fait ne montre-t-il pas que les croyances ne dépendent pas exclusivement de la personnalité de chacun ? Il faut le reconnaître, nos croyances né sont qu'en partie notre oeuvre : la société joue un rôle important dans leur formation.

En effet, nous ne vivons pas isolément, mais plongés, presque sans défense, dans le milieu social. Aux jugements les plus absolus qui sont énoncés devant lui, le jeune enfant n'a point d e réaction personnelle ; il enregistre passivement, et ainsi des croyances commencent à se former en lui sans lui. N'ayant aucun esprit critique par suite de son manque d'expérience, il est crédule, et accepte les récits les plus invraisemblables, les préjugés que rien ne fonde.

Enfin l'enfant, imitateur par instinct, reproduit spontanément et comme mécaniquement les gestes et les mots d e son entourage, créant ainsi des habitudes qui lui seront une seconde nature. Passivité, crédulité, imitation, font pénétrer dans l'enfant les croyances collectives.

La famille d'abord, puis le groupe scolaire, les maîtres, les amis, sont les agents principaux par lesquels la collectivité s'impose à l'individu.

Sous ces influences multiples, des croyances qu'il n'a point élaborées s'installent et s'organisent dans la conscience de l'enfant, et ce n'est que tardivement qu'il découvre — s'il le découvre jamais — l'empire qu'elles ont pris sur lui.

Enfants, nous pratiquons les rites d'une religion dont la signification nous reste encore obscure. Nous nous voyons imposer un ensemble d'habitudes morales dont la raison nous échappe.

Ainsi, certaines façons de voir ou de penser les choses commencent à modeler notre personnalité future. L'action de la société sur les adultes est moins pressante : elle reste très forte cependant, et il y a une contrainte sociale qui dure toute la vie.

La collectivité fait u n e obligation à tous s e s membres 'd'adopter certaines croyances, — celles notamment sans lesquelles la vie sociale elle-même deviendrait impossible —, et elle réprime la manifestation des opinions contraires, soit par des sanctions positives, soit par le ridicule ou le mépris.

Que de convictions sont ainsi sacrifiées sur l'autel de la mode, de la politesse, des convenances mondaines ou des préjugés ! Nous ne nous apercevons pas toujours nettement d e cet état d e dépendance où la société nous maintient, tant, précisément, nous participons intimement à la vie collective.

A ce point d e vue, beaucoup d'hommes restent toute leur vie des enfants.

Combien sont dépourvus de sens critique et ne se sont jamais donné la peine d'examiner le bien-fondé de leurs croyances ! Combien se croient des opinions personnelles et n'ont que celles de leur journal quotidien.

Il en est qui s'imaginent être pleinement eux-mêmes en s'opposant systématiquement aux croyances du milieu dont ils sont sortis; ils ne font que se créer une personnalité factice en allant prendre ailleurs leurs préjugés.

Quant à nos doutes, ne résultent-ils pas souvent d e la diversité m ê m e des influences que nous subissons et de l'incapacité où nous sommes de faire un choix entre elles ? Notre rôle personnel, dans la formation d e nos croyances, s e trouve ainsi extrêmement réduit.

Y jouons-nous m ê m e un rôle ? Nos croyances ne.

se font-elles pas en nous sans nous ?. »

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