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En quel sens peut-on dire que l'homme apprend a etre libre ?

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« De prime abord, il nous semble contradictoire d'affirmer que l'homme puisse apprendre à être libre.

La liberté n'est-elle pas un état, un sentiment, la possibilité que l'on a d'agir sans contrainte et sans obligation ? La liberté n'est-elle pas le pouvoir singulier d'agir à sa guise, c'est-à-dire conformément aux fins que l'on se pose ? En ce sens, la liberté est subjective, ressentie par le sujet comme une puissance propre d'affirmation.

Cependant, n'est-elle que cela ? S'il faut écarter l'idée que la liberté s'enseignerait, au sens où l'homme apprendrait à être libre comme on apprend à lire ou à écrire, c'est-à-dire au sens où on lui délivre un contenu d'enseignement qu'il ne possède pas à l'origine ; s'il faut écarter cette lecture, ne peut-on pas considérer que l'homme apprenne à être libre en se confrontant à la réalité de la vie, en apprenant l'usage de sa liberté ? En ce sens, l'homme apprendrait-il par expérience ? I – Le degré zéro de la liberté La liberté, avant d'être un concept sur lequel on réfléchit, prend la forme d'un sentiment : on se sent libre, on éprouve un sentiment de liberté sur une mode psychologique et subjectif, au sens où elle ne que concerne le sujet, le moi, qui s'estime libre et sans aucune contrainte.

En vacances, je possède un tel sentiment car je peux me lever à l'heure que je veux ; face à la mer, je me sens libre car l'immensité de l'espace me donne l'impression d'une liberté de mouvement totale : je sens que je peux faire ce que je veux.

Dans l'Essai sur le libre arbitre, Schopenhauer rapproche ce sentiment de liberté de la liberté physique, au sens où l'on parle du cours libre d'un fleuve parce que rien ne l'entrave. La liberté, remarque encore Schopenhauer, est alors un concept négatif.

Si l'on définit la nécessité comme ce qui est et ne peut pas ne pas être, la liberté est la négation de cette idée.

Sur ce point, elle alimente la croyance que nous sommes entièrement libre, par l'annonce que l'on peut faire ce que l'on veut.

Être libre, c'est vouloir sans contrainte.

Dès que l'on m'impose des choix, des vues qui me sont étrangères, j'estime que qu'on force ma volonté en un sens contraire à son inclination naturelle. Cependant, est-il aussi certain que cela que la liberté se résume au seul pouvoir de notre volonté ? Si tel était le cas, nous n'aurions rien à apprendre : ni à apprendre à être libre, puisque nous éprouvons notre liberté comme première, ni à apprendre comment user de cette liberté, puisque nous entendons plier le monde à notre volonté.

Or, s'il n'est guère possible d'apprendre à être libre au premier sens, sans doute n'est-ce pas le cas au second sens.

Or, quel type d'apprentissage peut nous permettre d'acquérir l'usage de notre liberté, si l'on entend par-là le fait de se libérer d'une liberté comme donnée première afin d'accéder à un autre type de liberté ? II – Platon : le désir face à la loi Faire coïncider la liberté avec l'exercice non contraint de la volonté ne permet pas de saisir positivement ce qu'engage la liberté.

Il s'agit uniquement d'une détermination négative, comme le dit Schopenhauer.

Cependant, il ne suffit pas de remarquer que la liberté rencontre de fait des limites à son action, telles la réalité ou les autres volontés.

Il demeure insuffisant de dire que la liberté s'illusionne en ce qu'elle pense pouvoir plier le monde à ses désirs, alors qu'elle ne le peut pas et qu'il vaut mieux, à tout prendre, changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde.

Ces remarques ne portent pas assez loin, puisqu'elle supposent implicitement que, si la réalité était autre, c'est-à-dire moins rebelle à notre volonté, nous pourrions être parfaitement libre, c'està-dire dégagé de toute contrainte. Ce qu'il faut remarquer, c'est plutôt la détermination pathologique de la volonté, quand elle suit ses désirs.

Pathologique signifie subir.

En d'autres termes, suivre ses désirs, ce n'est pas tant choisir ce que l'on veut, mais se laisser conduire au gré des circonstances et des instincts qu'elle font surgir ; et celui qui annonce se résoudre de son plein gré à suivre ses désirs ne manifeste que son impuissance à s'en dégager, faisant de nécessité vertu.

La liberté, en ce sens, passe par l'imposition d'une norme au désir, mais de manière interne.

Sur ce point, Platon peut nous éclairer. L'âme humaine, dit-il, se divise en trois parties : la première, qui correspond à la région du bas-ventre est appelée epithumia ; elle renvoie à la concupiscence, à l'appétit, c'est-à-dire au désir.

La seconde, qui se localise près du cœur, est appelée thymos et évoque le courage.

La troisième est la partie rationnelle et elle passe par le calcul raisonné.

Ainsi, l'individu qui se suit ses désirs se soumet à une force indisciplinée qui va en tous sens ; à l'inverse, celui qui soumet ses désirs aléatoires à un calcul raisonné, ce calcul trouvant dans le courage la force pour s'imposer aux désirs, cet individu s'affranchit, se libère des désirs qui s'imposaient à lui et en lui. La partie rationnelle incarne ainsi la loi comme instance intérieure à l'âme humaine ; elle est proprement la norme que l'on impose à nos propres désirs, afin de ne plus les subir et de pouvoir les maîtriser librement.

Nous allons voir maintenant comme Spinoza prolonge cette idée. III – Spinoza : la liberté comme nécessité Pour Spinoza, le sentiment que l'on peut avoir d'une liberté primitive est synonyme d'illusion, au moins au sens où il se trouve constamment recouvert par ce que l'on peut appeler des « affections ».

Or, si certaines de ces affections sont proprement actives, d'autres, tel la tristesse, nous renvoient à la passivité.

Ainsi, nous souffrons, nous subissons passivement la tristesse, qui n'est que l'effet qu'à en nous une cause extérieure.

Dès lors, notre liberté est-elle amoindrie à mesure que ces affections-passions prennent de l'importance en nous.

Mais, pour Spinoza, il est possible de réduire ces passions, en formant une idée claire et distincte de leur cause, c'est-à-dire en nous donnant une connaissance vraie et adéquate de celle-ci. Le but que poursuit Spinoza n'est pas 1° de saisir les causes de nos passions et 2° de les supprimer.

En effet, pour Spinoza, cela n'est pas concevable, puisque la nature, c'est-à-dire le monde en un ensemble de causes et d'effets, liés les uns aux autres de manière nécessaire, c'est-à-dire de telle sorte que les choses ne peuvent pas être autrement qu'elles ne sont.

C ependant, c'est la connaissance de cette nécessité inhérente à la nature qui permet de réduire nos passions et de nous libérer de leur joug. Prenons un exemple concret : si je m'attriste de la perte d'un bien ou d'un ami, je puis m'affliger sans fin et, dès lors, me soumettre à la tristesse comme à une passion.

Mais, si je reconnais la cause de cette perte et que je reconnais qu'elle était nécessaire (c'est-à-dire qu'il ne pouvait pas en être autrement), je peux alors me libérer de ma tristesse. Ma libération passe donc par la reconnaissance de la nécessité.

Ma liberté est nécessité et elle n'est plus, comme le disait Schopenhauer, un concept négatif. Sur ce point, l'homme apprend véritablement à être libre, parce qu'il accède à une connaissance des causes vraies des choses, de telle sorte que leur action sur lui n'est plus subie sur le mode de la passion. Conclusion : Ainsi, s'il est possible de dire que l'homme apprend qu'il est libre par le sentiment qu'il éprouve en lui d'une volonté comme pouvoir propre, il n'en reste pas moins qu'il n'en apprend le véritable usage que lorsqu'il soumet ses désirs à une connaissance rationnelle.

Apprendre à être libre, c'est donc d'abord, avec Platon, soumettre nos désirs à la partie rationnelle de notre âme ; de manière encore plus précise, c'est, avec Spinoza, en se formant une idée claire et distincte des causes de ses affections, que l'homme apprend à être libre, c'est-à-dire apprend ce que signifie pour lui l'usage de sa liberté.

De ce point de vue-là, l'homme apprend à être libre pour autant qu'il apprend l'autonomie, c'est-à-dire au sens propre, qu'il se donne à lui-même et de manière rationnelle sa propre loi et non qu'il se la laisse dicter par ses instincts.. »

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