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DESCARTES: Intérêt général et intérêt particulier

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Il y a une vérité dont la connaissance me semble fort utile : qui est que, bien que chacun de nous soit une personne séparée des autres, et dont, par conséquent, les intérêts sont en quelque façon distincts de ceux du reste du monde, on doit toutefois penser qu'on ne saurait subsister seul, et qu'on est, en effet, l'une des parties de l'univers, et plus particulièrement encore l'une des parties de cette terre, l'une des parties de cet État, de cette société, de cette famille, à laquelle on est joint par sa demeure, par son serment, par sa naissance. Et il faut toujours préférer les intérêts du tout, dont on est partie, à ceux de sa personne en particulier ; toutefois avec mesure et discrétion, car on aurait tort de s'exposer à un grand mal, pour procurer seulement un petit bien à ses parents ou à son pays ; et si un homme vaut plus, lui seul, que tout le reste de sa ville, il n'aurait pas raison de se vouloir perdre pour la sauver. Mais si on rapportait tout à soi-même, on ne craindrait pas de nuire beaucoup aux autres hommes, lorsqu'on croirait en retirer quelque petite commodité, et on n'aurait aucune vraie amitié, ni aucune fidélité, ni généralement aucune vertu ; au lieu qu'en se considérant comme une partie du public, on prend plaisir à faire du bien à tout le monde, et même on ne craint pas d'exposer sa vie pour le service d'autrui, lorsque l'occasion s'en présente ; voire on voudrait perdre son âme, s'il se pouvait, pour sauver les autres. DESCARTES

Descartes montre ici, en pesant le pour et le contre, pourquoi il faut faire passer l'intérêt général avant l'intérêt particulier. Loin de sacrifier sa personne, chacun y trouvera des avantages : en effet, la prise en compte du bien commun contribue non seulement à assurer la coexistence des individus au sein d'une communauté mais aussi à procurer à chacun du plaisir par la mise en œuvre de ses vertus.  

  • éléments de réflexion

• Comment comprendre la dernière phrase du texte ? Il ne semble pas qu'on doive y voir une profession d'utilitarisme non plus qu'une condamnation de l'héroïsme puisque Descartes ajoute dans cette Lettre à Elisabeth (15 septembre 1645), d'où est tiré ce passage, que « en se considérant comme une partie du public on prend du plaisir à faire du bien à tout le monde et même on ne craint pas d'exposer sa vie pour la survie d'autrui, lorsque l'occasion s'en présente ; voire on voudrait perdre son âme, s'il se pouvait, pour sauver les autres ; en sorte que cette considération est la source de toutes les plus héroïques actions que fassent les hommes ». • La vision de Descartes n'est-elle pas celle d'un monde hiérarchisé ? Pourquoi ? • Ne peut-on éclairer ce texte en reprenant la distinction de Malebranche entre les rapports de grandeur (la partie est plus petite que le tout) et les rapports de perfection (la partie vaut plus que le tout).

« Il y a une vérité dont la connaissance me semble fort utile : qui est que, bien que chacun de nous soit une personne séparée des autres, et dont, par conséquent, les intérêts sont en quelque façon distincts de ceux du reste du monde, on doit toutefois penser qu'on ne saurait subsister seul, et qu'on est, en effet, l'une des parties de l'univers, et plus particulièrement encore l'une des parties de cette terre, l'une des parties d e cet État, de cette société, d e cette famille, à laquelle on est joint par s a demeure, par son serment, par sa naissance.

Et il faut toujours préférer les intérêts du tout, dont on est partie, à ceux de sa personne en particulier ; toutefois avec mesure et discrétion(1), car on aurait tort de s'exposer à un grand mal, pour procurer seulement un petit bien à ses parents ou à son pays ; et si un homme vaut plus, lui seul, que tout le reste de sa ville, il n'aurait pas raison de se vouloir perdre pour la sauver.

Mais si on rapportait tout à soi-même, on ne craindrait pas de nuire beaucoup aux autres hommes, lorsqu'on croirait en retirer quelque petite commodité, et on n'aurait aucune vraie amitié, ni aucune fidélité, ni généralement aucune vertu ; au lieu qu'en se considérant comme une partie du public, on prend plaisir à faire du bien à tout le monde, et même on ne craint pas d'exposer sa vie pour le service d'autrui, lorsque l'occasion s'en présente ; voire on voudrait perdre son âme, s'il se pouvait, pour sauver les autres. I - LES TERMES DU SUJET Ce qui est ici en question, c'est le rapport de la partie au tout : comment l'individu, en tant qu'il est porteur de particularités et de différences qui le distinguent de tout autre doit-il tenir compte de la communauté à laquelle il appartient ? Il s'agit ici de penser l'articulation du particulier et du général à travers la notion d'intérêt.

C'est la question du bien commun qui est visée : s'il doit constituer le principe de toute action, ce n'est jamais, précise Descartes, qu'à la condition de se concilier avec la valeur de l'individu. II - L'ANALYSE DU PROBLEME Descartes montre ici, en pesant le pour et le contre, pourquoi il faut faire passer l'intérêt général avant l'intérêt particulier.

Loin de sacrifier sa personne, chacun y trouvera des avantages : en effet, la prise en compte du bien commun contribue non seulement à assurer la coexistence des individus au sein d'une communauté mais aussi à procurer à chacun du plaisir par la mise en œuvre de ses vertus. III - UNE DEMARCHE POSSIBLE Le texte s'attache à démontrer ce que Descartes présente comme une "vérité".

Celle-ci est fondamentale non pas tant d'un point de vue théorique que pragmatique : il s'agit bien d'une vérité "fort utile". A - LES ETAPES DE L'ARGUMENTATION 1) De "Il y a une vérité" à "par sa naissance" - Thèse du texte : bien qu'étant u n e individualité, c'est-à-dire un être un, unique et particulier, l'individu, parce qu'il ne peut vivre isolé, "doit" toujours se considérer comme la partie d'un tout. Il s'agit autant que d'un impératif moral d'un impératif d e prudence : chacun trouvera pour lui-même des avantages à tenir compte de l'interdépendance de ses intérêts propres avec ceux d'autrui. Ce tout dont l'individu est une partie est ici envisagé selon différents points de vue, allant du plus vaste au plus restreint : univers, état, société, famille. 2) De "et il faut toujours" à "pour la sauver" - Développement de la thèse : ce principe directeur selon lequel chacun doit préférer l'intérêt général à l'intérêt particulier doit toutefois être mis en rapport avec ses effets : c'est en fonction des bénéfices qu'il procure à la communauté qu'il doit être appliqué ainsi que d'une comparaison des valeurs respectives du tout et de la partie. 3) De "mais si on" à "pour sauver les autres" - Suite du développement de la thèse que Descartes argumente ici en comparant les avantages et les inconvénients entre celui qui fait passer la personne avant le tout et celui qui fait prévaloir le bien commun avant son intérêt particulier : la priorité accordée à l'intérêt égoïste conduit à une forme d'isolement alors que celle accordée au bien commun assure aussi la réalisation de la vertu en même temps que le bonheur de l'individu ("plaisir à faire du bien"). B - L'ETUDE CRITIQUE Ce texte aborde la question du rapport individu - communauté d'un point de vue social et moral.

Descartes insiste ici sur le rapport entre bien particulier, bonheur individuel et bien commun.

On pourrait analyser les conséquences de cette analyse sur le plan politique : quel est le rôle de l'Etat par rapport à la coexistence d'individus qui ne peuvent s'isoler les uns des autres, mais qui ont aussi tendance à s'opposer aux autres ? Rousseau montre comment un Etat n'est légitime q u e parce qu'il permet d'articuler la nécessité d'une société et la liberté des citoyens qui la composent.

C'est en vertu du contrat social que les hommes abandonnent leur liberté naturelle, qu'ils renoncent à leurs intérêts égoïstes et qu'ils agissent en vertu de l'intérêt général. IV - DES REFERENCES UTILES Aristote, La politique, Ethique à Nicomaque Rousseau, Du contrat social Spinoza, Traité théologico - politique V - LES FAUSSES PISTES Morceler l'étude du texte, ce qui conduirait à manquer le mouvement et l'unité de l'argumentation cartésienne. VI - LE POINT DE VUE DU CORRECTEUR Un texte qui ne présente pas de difficultés de compréhension, mais dont le style peut prêter à confusion.. »

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