Dans tout amour, n'aime-t-on que soi-même ?
Extrait du document
«
L'amour est un sentiment qui est censé avoir pour objet un autre que soi.
En même temps, l'amour de soi est une
formule qui renvoie aussi à une forme concrète d'amour.
Mais peut-on s'aimer soi-même dans l'autre et, puisque
votre sujet est encore plus explicite, n'est-ce finalement toujours que soi que l'on aime ? Peut- être faut-il d'abord
justifier la question.
En quoi s'aime-t-on ou peut-on s'aimer en aimant l'autre ? N'est-ce pas là une forme perverse
d'amour ? Prenez l'exemple de Don Juan qui pense aimer tant qu'il convoite et n'éprouve plus que rejet lorsqu'il a
obtenu les faveurs de ses conquêtes.
L'amour est ici une illusion, c'est le désir de soi-même, le désir d'être désiré
qui l'emporte.
L'amour au contraire n'exige-t-il pas que l'on fasse don de soi ? Que l'on accepte aussi de renoncer
un peu à soi ?
[C'est toujours l'amour de soi que l'on recherche à travers celui des autres.
Tout amour est égoïste
puisque l'on veut être le désir du désir de l'autre.]
Celui qui aime veut être tout au monde pour l'être aimé
Il se considère donc comme éminemment aimable et veut conquérir autrui.
Lorsque j'aime, je désire surtout
que l'on m'aime; je veux être pour l'autre sa raison de vivre.
J'aime en lui l'amour qu'il a pour moi.
Je veux être
le désir du désir de l'autre.
Je veux être rassuré sur mon pouvoir de séduction, sur ma valeur.
Il m'arrive même
de vouloir comme le montre Sartre aliéner la liberté de l'autre.
"Il arrive qu'un asservissement total de l'être aimé tue l'amour de
l'amant.
Le but est dépassé : l'amant se retrouve seul si l'aimé s'est
transformé en automate.
Ainsi l'amant ne désire t il pas posséder l'aimé
comme on possède une chose ; il réclame un type spécial
d'appropriation.
Il veut posséder une liberté comme liberté.
Mais, d'autre part, il ne saurait se satisfaire de cette forme éminente de
la liberté qu'est l'engagement libre et volontaire.
Qui se contenterait
d'un amour qui se donnerait comme pure fidélité à la foi jurée ? Qui
donc accepterait de s'entendre dire : « je vous aime parce que je me
suis librement engagé à vous aimer et que je ne veux pas me dédire ; je
vous aime par fidélité à moi même » ? Ainsi l'amant demande le serment
et s'irrite du serment.
Il veut être aimé par une liberté et réclame que
cette liberté comme liberté ne soit plus libre.
Il veut à la fois que la
liberté de l'Autre se détermine elle même à devenir amour et cela, non
point seulement au commencement de l'aventure mais à chaque instant
et, à la fois, que cette liberté soit captivée par elle même, qu'elle se
retourne sur elle même, comme dans la folie, comme dans le rêve, pour
vouloir sa captivité.
Et cette captivité doit être démission libre et
enchaînée à la fois entre nos mains.
Ce n'est pas le déterminisme
passionnel que nous désirons chez autrui, dans l'amour, ni une liberté
hors d'atteinte, mais c'est une liberté qui joue le déterminisme
passionnel et qui se prend à son jeu." SARTRE
"Aimer, est-ce vouloir priver l'autre de sa liberté ?" On reproche souvent à l'amour d'être possessif, tout en
pensant le plus souvent que cette possessivité est la conséquence des sentiments des amants.
Ainsi dira-ton d'un amour qui n'est pas jaloux qu'il n'est pas non plus sincère.
En effet, la relation amoureuse ne se réduit
pas au simple effet d'un sentiment réciproque, mais elle implique aussi une certaine forme d'exclusivité.
Si l'on
se demande alors ce que chacun attend de l'autre, on ne viendra peut être à dire qu'aimer, c'est exiger de
l'aimé qu'il renonce à sa liberté.
Mais c'est aussi exiger qu'il le fasse librement.
Ces contradictions sont l'objet de la réflexion de Sartre.
Il faut bien faire attention à ce que son point de vue
n'est pas celui d'un moraliste, cad qu'il ne veut pas dénoncer les attitudes égoïstes des amants, à la manière
d'un LaRoche Foucault ou d'un Pascal, ni énoncer des normes de conduite universelles en amour.
Il ne s'agit
pas non plus d'une simple description psychologique qui révélerait par induction la nature humaine -rien ne
saurait être plus éloigné de la pensée sartrienne qu'un tel projet.
L'examen des relations amoureuses est
l'occasion, voire le prétexte de réfléchir au fait que l'homme est liberté, et c'est cette liberté de la conscience
qui est le véritable enjeu de l'amour.
L'altruisme n'est qu'une des formes de l'amour de soi.
»
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