Croire et savoir ?
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«
Causalité et habitude
• Si je tourne la clé pour allumer mon moteur, c'est que je crois que les choses vont se passer comme prévu :
j'attends qu'un effet se produise (le bruit du moteur) si la cause est présente (je tourne la clé) : la cause est ce qui
est tel que, lorsqu'elle est posée, l'effet s'ensuit.
Mais sur quoi cette attente est-elle fondée ? Jusqu'à présent, j'ai
toujours constaté qu'il en allait ainsi.
Je suis incapable de justifier ce qui n'est fondé que sur l'habitude et un vague
sentiment que le monde ne peut changer du jour au lendemain.
Croyance et entendement humain
• On pourrait objecter : vous ne possédez aucune connaissance en mécanique, mais celui qui a construit le moteur
était dans la nécessité de pouvoir rendre raison de ce lien entre deux événements que vous ne pouvez, vous, que
constater.
Hume*, dans l'Enquête sur l'Entendement Humain, a proposé une analyse du rapport de cause à effet qui
invalide cette objection.
Une connaissance n'est pas un ensemble de constatations : savoir que l'eau est entrée en
ébullition une fois, deux fois, est un souvenir, pas une connaissance.
« L'eau bout à 100 degrés », en voilà une.
• La connaissance commence quand on passe d'une série de constatations particulières à l'affirmation d'une
constante.
Un rapport de cause à effet est une conjonction qui dépasse les cas constatés.
De plus, mon expérience
me montre toujours une cause et un effet, jamais le rapport même entre les deux.
Ainsi, toute connaissance se
fonde sur une extension de notre expérience : je m'attends à ce qu'il en soit toujours ainsi, et cette nécessité est le
produit d'une croyance, d'une tendance irrépressible de la nature humaine qu'il est impossible de fonder en raison.
Hume montre par là que la croyance est au coeur de la connaissance : elle manifeste la singularité de l'esprit humain
dans tous les domaines et non seulement dans le domaine religieux.
Je conclus, par une induction qui me semble très évidente, qu'une
opinion ou une croyance n'est qu'une idée, qui diffère d'une fiction, non
pas en nature ou par l'ordre de ses parties, mais par la manière dont on
la conçoit.
Mais quand je veux expliquer cette manière, je trouve
difficilement un mot qui réponde pleinement à ce dont il s'agit, et suis
obligé de recourir à ce que chacun éprouve pour lui donner une notion
parfaite de cette opération de l'esprit.
Une idée qui reçoit l'assentiment,
nous l'éprouvons comme différente d'une idée fictive que la fantaisie
seule nous présente.
Et cette différence, je m'efforce de l'expliquer par
ce que j'appelle une force, une vivacité, une solidité, une fermeté ou
une stabilité supérieures.
Cette diversité de termes, qui peut sembler si
peu philosophique, n'est employée que dans le but d'exprimer cet acte
de l'esprit qui nous rend les réalités plus présentes que les fictions, leur
donne plus de poids dans la pensée et plus d'influence sur les passions
et l'imagination.
Pourvu que nous soyons d'accord sur la chose, il n'est
pas besoin de discuter sur les termes.
[...] J'avoue qu'il est impossible
d'expliquer parfaitement ce que l'on éprouve alors, cette manière de la
conception.
Nous pouvons utiliser des mots qui expriment quelque
chose d'approchant.
Mais son nom véritable, son nom propre, c'est
croyance, terme que chacun comprend suffisamment dans la vie
courante.
L'esprit peut-il vraiment n'être qu'imagination, et ses opérations les plus sûres se rapprocher des fictions les plus
délirantes ? Le pari est tenu d'une philosophie sans a priori, théorie des facultés ou déduction transcendantale.
Ce
que Hume nomme entendement ne doit être entendu que comme « propriétés les plus stables et les mieux établies
de l'imagination' », comparaison d'idées entre elles (ou connaissance démonstrative) et fantaisie réglée, système de
croyances probables.
Au plan de leur contenu, il n'y a rien de plus dans une croyance que dans une fiction ; sinon,
justement, ce ne serait pas une croyance mais une vérité démonstrative, liant les idées par leur matière au lieu de
les lier sans fondement, comme le fait l'entendement dans les inférences causales.
Leur manière seule les distingue :
tandis qu'une association fantaisiste, celle d'une montagne d'or, par exemple, n'a pas d'effet sur les attentes et les
prédictions de l'entendement, ni même sur les passions (sauf pour un avare qui la chercherait, mais cela ne serait
que faux jugement et folie de sa part), les liaisons régulières s'accompagnent d'une tonalité particulière, pour
laquelle Hume emploie le mot feeling : les idées auxquelles on croit affectent l'esprit.
Cette force de conviction
caractérise l'idée vive qui, en raison de la coutume, reçoit de l'impression présente une part de sa vivacité ; tout se
passe comme si la répétition d'événements semblables toujours contigus l'un à l'autre, créait cet effet de vivacité.
Hume donne à un tel phénomène le nom très courant de croyance.
De ce fait, il forge un outil théorique destiné à lui
servir dans l'explication d'autres phénomènes que les inférences savantes, par exemple, la superstition, entretenue
grâce au soutien que les cultes donnent à ce mécanisme naturel, mais aussi la croyance à l'identité personnelle, aux
spectacles ou aux récits.
En dernière analyse, seule l'expérience effectivement constituée de conjonctions
constantes soutient la « certitude morale » (c'est-à-dire expérimentale) de nos croyances les plus probables, que
l'on peut considérer comme prouvées (mais non démontrées) et opposer aux fictions de l'imagination, même quand
ces dernières font l'objet de croyances artificielles et douteuses.
Concept cardinal, la notion de croyance, entendue
comme nommant un mécanisme de transfert de vivacité, est donc une arme contre les superstitions et les folies..
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