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Crainte et peur

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« Introduction.

Les deux termes crainte et peur sont parfois pris l'un pour l'autre.

En réalité, ils désignent deux attitudes de conscience assez différentes, et cette différence correspond à peu près, ainsi que le suggère l'énoncé, à celle du sentiment et de l'émotion.

— Au lieu de les étudier successivement, nous établirons un parallèle continu entre les deux attitudes de conscience en analysant leurs différents facteurs. Les facteurs physiologiques. Comme dans tous les états affectifs où le corps joue toujours un rôle important, on relève dans les deux cas des facteurs physiologiques, mais beaucoup plus marqués dans la peur que dans la crainte. On constate souvent dans la crainte une tendance de l'être à se replier sur lui-même, à se faire, pour ainsi dire, plus petit, voire à se dissimuler.

Les gestes extérieurs sont restreints et peu amples, limités.

La physionomie exprime une certaine dépression.

Mais cette attitude n'est guère plus accentuée que celle des états désagréables en général. Il en va tout autrement dans la peur.

Mais ici les réactions physiologiques, très marquées, peuvent se présenter sous deux formes différentes.

Dans la « peur active » , la « libération d'énergie », qui accompagne toute émotion, se manifeste par un trouble général des fonctions (circulation, respiration, sécrétions externes et internes) — d'où pâleur, halètement, transpiration, larmes (surtout chez l'enfant), etc., — et par une agitation motrice caractérisée par le tremblement et la tendance à fuir.

Dans la « peur passive », on constate de même la pâleur du visage, mais avec relâchement plus accentué des muscles et souvent chute de la mâchoire inférieure; en outre, le sujet est comme « cloué sur place », frappé de cataplexie (paralysie qui empêche le sujet de se mouvoir et de parler), surtout quand la peur va jusqu'à la frayeur. Influence du tempérament. Le tempérament physique joue un certain rôle, mais ce rôle n'est pas le même dans les deux cas : l'enfant craintif n'est pas l'enfant peureux. La crainte s'identifie presque à une disposition du tempérament, qui a pour base une certaine asthénie, et qui s'allie assez souvent à la timidité. Dans la peur, cette disposition existe aussi : l'enfant peureux est un enfant nerveux, donc hyperémotif.

Mais une telle disposition n'est pas nécessaire; il peut arriver à tout le monde d'avoir peur, et les études faites sur les émotions de guerre ont montré que des soldats d'abord très courageux et même insouciants du danger peuvent se trouver sensibilisés à la peur à la suite d'un accident, tel qu'explosion d'obus à proximité, effondrement d'un abri ou ensevelissement partiel dans une tranchée : il y a alors hyperémotivité acquise, et la peur prend alors, le plus souvent, un caractère pathologique. Les facteurs intellectuels. La différence entre la crainte et la peur est plus sensible encore si l'on étudie le rôle des facteurs intellectuels dans l'un et l'autre cas.

Comme d'ailleurs dans tous les sentiments, ce rôle est important dans la crainte.

Le sujet se représente à l'avance le danger ou l'événement désagréable qui peut lui arriver, et souvent il les amplifie par l'imagination.

La crainte s'attache donc à un objet déterminé. Dans la peur au contraire, l'agitation mentale qui accompagne cette émotion comme toutes les autres empêche l'esprit de voir clairement le danger ou de se fixer sur un objet précis.

La peur est le plus souvent peur de l'inconnu, de l'insolite, de l'imprévisible; elle a souvent pour base, comme l'a montré H.

WALLON, une brusque incertitude sur l'attitude à prendre.

« J'ai peur, disait un malade, mais je ne sais pas de quoi j'ai peur », et une malade de JANET dit de même : « J'ai abominablement peur, mais je ne sais pas de quoi.

» Ceci n'est pas vrai seulement de la peur pathologique.

Même la peur normale, même la « peur sans secousse », comme dit J.

ROMAINS, suppose une atmosphère trouble, une ambiance particulière où règne l'incertitude : le danger est peut-être prévu, mais on ne sait quand il fondra sur nous, sous quelle forme, etc., ni, par suite, comment il faudra réagir.

— Si l'on en croit un auteur qui a beaucoup insisté (sans doute excessivement) sur la part de terreur, d'effroi que comporte le sentiment religieux, Rudolf OTTO, ce caractère est bien marqué dans le cas particulier en question : « Une telle terreur, écrit-il (Le Sacré, p.

33), ne se distingue pas seulement en degré et en intensité de la crainte naturelle et n'est nullement un degré particulièrement élevé de cette dernière.

» Le sacré se présente non seulement comme transcendant et surnaturel, mais comme un mysterium tremendum, comme un « tout autre », comme un insaisissable et un irrationnel, comme « ce qui nous est étranger et nous déconcerte, ce qui est absolument en dehors des choses habituelles...

et par là même nous remplit de cet étonnement qui paralyse » (Ouv.

cité, p.

47).

Cette terreur religieuse est donc tout autre chose que la « crainte de Dieu » des théologiens. Les facteurs sociaux. D'un niveau psychologique plus élevé que la peur, la crainte comporte bien plus de références sociales que celle-ci. La crainte s'applique en effet surtout aux conséquences sociales de nos actes.

Un enfant craintif est celui qui redoute les reproches, les punitions, les réactions de son entourage.

Les anciens moralistes sont allés jusqu'à faire l'éloge de la crainte des châtiments humains et de la « crainte de Dieu » comme capables de retenir l'homme dans le devoir.

« Le crime serait insolent, écrit un religieux du XVIIe siècle, s'il n'était réprimé par cette passion et toutes les lois seraient inutiles si la nature n'avait imprimé la crainte dans l'âme des criminels.

» L'ancien droit distinguait d'ailleurs la « crainte servile, faite de la seule appréhension du châtiment, de la crainte révérentielle », telle que celle d'un fils à l'égard de son père.

De fait, la crainte est souvent voisine du respect. La peur est toute différente.

Elle émane de la partie instinctive de notre être et elle a fréquemment quelque chose d'antisocial, précisément parce qu'elle échappe aux normes sociales et qu'elle est un désordre.

Caractère d'autant plus marqué qu'elle est éminemment contagieuse et qu'elle se propage et s'amplifie dans les foules (une foule n'est pas une société) de façon parfois désastreuse. Conclusion.

Bien qu'on les confonde souvent, il y a donc entre la crainte et la peur toute la distance qui sépare le sentiment de l'émotion, c'est-à-dire deux formes très différentes de l'affectivité et deux niveaux psychologiques très inégaux.. »

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