Chacun peut-il avoir sa propre vérité ?
Extrait du document
«
Définition des termes du sujet:
VÉRITÉ
La vérité concerne l'ordre du discours, et il faut en cela la distinguer de la réalité.
Elle se définit traditionnellement
comme l'adéquation entre le réel et le discours.
Qualité d'une proposition en accord avec son objet.
La vérité formelle, en logique, en mathématiques c'est l'accord
de l'esprit avec ses propres conventions.
La vérité expérimentale c'est la non-contradiction de mes jugements,
l'accord et l'identification de mes énoncés à propos d'un donné matériel.
On distinguera soigneusement la réalité qui
concerne un objet (ce cahier, cette lampe sont réels) et la vérité qui est une valeur qui concerne un jugement.
Ainsi le jugement : « ce cahier est vert » est un jugement vrai ou bien un jugement faux.
La vérité ou la fausseté
qualifient donc non l'objet lui-même mais la valeur de mon assertion.
La philosophie, parce qu'elle recherche la vérité, pose le problème de ses conditions d'accès et des critères du
jugement vrai.
On pense souvent que la vérité est une affaire individuelle.
Chaque homme en effet se forge sa propre conception
du vrai, sans que celle-ci ne soit de fait et de droit communicable ou critiquable.
Dire ainsi que « les goûts et les
couleurs ne se discutent pas » est une façon de clore toute discussion éventuelle et de revendiquer un principe de
tolérance : « À chacun sa vérité ».
Mais toutes les opinions ont-elles vraiment la même valeur? Comment peut-on à
la fois avoir sa propre vérité et la partager avec tout un chacun?
1.
La vérité diffère selon les individus.
L'histoire et l'expérience personnelles (le lieu, la date de naissance, l'éducation, etc.) font de chacun un être
singulier, radicalement différent des autres.
Aucune existence n'étant vraiment comparable à une autre, chacun
peut ainsi aspirer à détenir et à défendre «sa» propre conception du vrai.
Affirmer que chacun détient sa vérité est ainsi une façon de respecter la liberté individuelle et de s'ouvrir aux thèses
qui diffèrent des siennes.
C'est une forme d'écoute et de tolérance envers l'opinion d'autrui, étant bien entendu
qu'on attend les mêmes égards pour la sienne.
Par exemple, en occident, la disparition d'un proche est suivie d'une
période de deuil où prévalent la tristesse, manifeste jusque dans le port de l'habit noir, et le recueillement.
Or dans
certaines tribus africaines, le départ de l'âme est accompagné de chants et de danses multicolores censées rendre
la vie dans l'« au-delà » festive et joyeuse pour le défunt.
Chacune de ces traditions est respectable : à chacun sa
vérité.
Le sophiste Protagoras, écrit Diogène Laerce « fut le premier qui déclara que sur toute chose on pouvait faire deux
discours exactement contraires, et il usa de cette méthode ».
Selon Protagoras, « l'homme est la mesure de toute chose : de celles qui sont en tant qu'elles sont, de celles qui ne
sont pas en tant qu'elles ne sont pas » Comment doit-on comprendre cette affirmation ? Non pas, semble-t-il, par
référence à un sujet humain universel, semblable en un sens au sujet cartésien ou kantien, mais dans le sens
individuel du mot homme, « ce qui revient à dire que ce qui paraît à chacun est la réalité même » (Aristote, «
Métaphysique », k,6) ou encore que « telles m'apparaissent à moi les choses en chaque cas, telles elles existent
pour moi ; telles elles t'apparaissent à toi, telles pour toi elles existent » (Platon, « Théétète », 152,a).
Peut-on soutenir une telle thèse, qui revient à dire que tout est vrai ? Affirmer l'égale vérité des opinions
individuelles portant sur un même objet et ce malgré leur diversité, revient à poser que « la même chose peut, à la
fois, être et n'être pas » (Aristote).
C'est donc contredire le fondement même de toute pensée logique : le principe
de non-contradiction., selon lequel « il est impossible que le même attribut appartienne et n'appartienne pas en
même temps, au même sujet et sous le même rapport ».
Or, un tel principe en ce qu'il est premier est inconditionné
et donc non démontrable.
En effet, d'une part, s'il était démontrable, il dépendrait d'un autre principe, mais un tel
principe supposerait implicitement le rejet du principe contraire et se fonderait alors sur la conséquence qu'il était
sensé démontrer ; on se livrerait donc à une pétition de principe ; et d'autre part, réclamer la démonstration de
toute chose, et donc de ce principe aussi, c'est faire preuve d'une « grossière ignorance », puisqu'alors « on irait à
l'infini, de telle sorte que, même ainsi, il n'y aurait pas démonstration ».
C'est dire qu' « il est absolument impossible
de tout démontrer », et c ‘est dire aussi qu'on ne peut opposer, à ceux qui nient le principe de contradiction, une
démonstration qui le fonderait, au sens fort du terme.
Mais si une telle démonstration est exclue, on peut cependant « établir par réfutation l'impossibilité que la même
chose soit et ne soit pas, pourvu que l'adversaire dise seulement quelque chose ».
Le point de départ, c'est donc le
langage, en tant qu'il est porteur d'une signification déterminée pour celui qui parle et pour son interlocuteur.
Or,
précisément, affirmer l'identique vérité de propositions contradictoires, c'est renoncer au langage.
Si dire « ceci est
blanc », alors « blanc » ne signifie plus rien de déterminé.
Le négateur du principe de contradiction semble parler,
mais e fait il « ne dit pas ce qu'il dit » et de ce fait ruine « tout échange de pensée entre les hommes, et, en vérité,
avec soi-même ».
En niant ce principe, il nie corrélativement sa propre négation ; il rend identiques non pas
seulement les opposés, mais toutes choses, et les sons qu'il émet, n'ayant plus de sens définis, ne sont que des
bruits.
« Un tel homme, en tant que tel, est dès lors semblable à un végétal."
Si la négation du principe de contradiction ruine la possibilité de toute communication par le langage, elle détruit
aussi corrélativement la stabilité des choses, des êtres singuliers.
Si le blanc est aussi non-blanc, l'homme nonhomme, alors il n'existe plus aucune différence entre les êtres ; toutes choses sot confondues et « par suite rien
n'existe réellement ».
Aucune chose n'est ce qu'elle est, puisque rien ne possède une nature définie, et « de toute
façon, le mot être est à éliminer » (Platon)..
»
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