Aide en Philo

Bergson: Qu’est-ce que l’artiste ?

Extrait du document

Qu'est-ce que l'artiste ? C'est un homme qui voit mieux que les autres, car il regarde la réalité nue sans voiles. Voir avec des yeux de peindre, c'est voir mieux que le commun des mortels. Lorsque nous regardons un objet, d'habitude, nous ne le voyons pas ; parce que ce que nous voyons, ce sont des conventions interposées entre l'objet et nous ; ce que nous voyons, ce sont des signes conventionnels qui nous permettent de reconnaître l'objet et de le distinguer pratiquement d'un autre, pour la commodité de la vie. Mais celui qui mettra le feu à toutes ces conventions, celui qui méprisera l'usage pratique et les commodités de la vie et s'efforcera de voir directement la réalité même, sans rien interposer entre elle et lui, celui-là sera un artiste. Bergson

« Qu’est-ce que l’artiste ? C’est un homme qui voit mieux que les autres, car il regarde la réalité nue sans voiles.

Voir avec des yeux de peindre, c’est voir mieux que le commun des mortels.

Lorsque nous regardons un objet, d’habitude, nous ne le voyons pas ; parce que ce que nous voyons, ce sont des conventions interposées entre l’objet et nous ; ce que nous voyons, ce sont des signes conventionnels qui nous permettent de reconnaître l’objet et de le distinguer pratiquement d’un autre, pour la commodité de la vie.

Mais celui qui mettra le feu à toutes ces conventions, celui qui méprisera l’usage pratique et les commodités de la vie et s’efforcera de voir directement la réalité même, sans rien interposer entre elle et lui, celui-là sera un artiste. L'artiste est-il un homme comme les autres ? D'accord en cela avec la tradition, Bergson répond à cette question par la négative.

Mais la thèse qu'il avance pour différencier l'artiste de l'homme du commun a de quoi surprendre: loin de définir l'artiste comme un créateur, faisant apparaître dans le monde des oeuvres d'art bien différentes des objets naturels, ou comme un technicien, capable d'organiser la matière en vue d'une fin, et selon les "règles de l'art", Bergson choisit de le caractériser par son regard. Il semble d'abord suggérer que le regard de l'artiste entretient avec le regard ordinaire une différence de degré ("c'est un homme qui voit mieux que les autres"), mais on constate vite qu'il s'agit d'une différence de nature.

Une fois exposé cette thèse, Bergson articule une démarche en deux temps, il donne d'abord une description de la façon dont nous regardons couramment les choses: un voile, formé par l'habitude, fait que, à la lettre, nous ne les voyons pas/plus.

Un tissu de conventions s'interpose entre les objets et nous.

A ce regard ordinaire, Bergson oppose le regard de l'artiste comme la seule vision authentique.

Cela suppose un changement violent de nos façons de voir, comme le suggère l'expression "mettre le feu": l'artiste doit se mettre en marge de la société, mépriser, brûler les "conventions" s'il veut retrouver le contact avec la "réalité même". Qu'est-ce qui fait obstacle, chez le "commun des mortels" à la vision de "la réalité même" ? Bergson caractérise comme un voile ce qui fait pour nous obstacle à la vision du réel.

Il renoue en ce sens avec le thème de l'illusion, appelant une critique de l'apparence.

Mais contrairement au mouvement qui anime depuis Platon la pensée idéaliste, ce n'est pas aux sens que Bergson attribue l'inadéquation de notre vision à l'objet.

Le voile auquel il pense est le produit de notre culture: il résulte de l'engagement constant de l'objet dans des réseaux conceptuels établissant des rapports d'utilité. Le voile qu'il s'agit d'arracher n'est autre que notre technique même d'appréhension du monde, qui lie les objets les uns aux autres en vue de fins: l'art consistant au contraire selon Bergson dans le rétablissement d'un contact immédiat, direct entre les objets et nous. Plus profondément, on peut se demander pourquoi nous sommes ainsi amenés à interposer ce voile entre nous et les choses.

Nous cherchons à "reconnaître l'objet", ce qui est nécessairement une façon de le méconnaître: si Bergson parle de reconnaissance, c'est pour souligner que nous ramenons le singulier, le nouveau, à du déjà connu.

Il s'agit bien d'une approche technicienne: pour utiliser l'objet en vue de la satisfaction de nos besoins, pour en faire un moyen de nos fins. C'est donc au sens fort, d' "orienté vers l'action" que nous devons entendre le terme "pratique", qui figure deux fois dans l'extrait.

Nous avons oublié, dit Bergson, la contemplation au profit de l'action.

En conséquence, nous ne faisons pas de détail et devenons des prédateurs pour les choses. Pour prolonger: “ À quoi vise l'art, sinon à nous montrer, dans la nature et dans l'esprit, hors de nous et en nous, des choses qui ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience ? Le poète et le romancier qui expriment un état d'âme ne le créent certes pas de toutes pièces ; ils ne seraient pas compris de nous si nous n'observions pas en nous, jusqu'à un certain point, ce qu'ils nous disent d'autrui.

Au fur et à mesure qu'ils nous parlent, des nuances d'émotion et de pensée nous apparaissent qui pouvaient être représentées en nous depuis longtemps, mais qui demeuraient invisibles : telle, l'image photographique qui n'a pas encore été plongée dans le bain où elle se révélera.

Le poète est ce révélateur.

Mais nulle part la fonction de l'artiste ne se montre aussi clairement que dans celui des arts qui fait la plus large place à l'imitation, je veux dire la peinture.

Les grands peintres sont des hommes auxquels remonte une certaine vision des choses qui est devenue ou qui deviendra la vision de tous les hommes.

” BERGSON. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles