Aide en Philo

Bergson

Extrait du document

J'étudie une leçon, et pour l'apprendre par coeur, [...] je la répète ensuite un certain nombre de fois. À chaque lecture nouvelle un progrès s'accomplit ; les mots se lient de mieux en mieux ; ils finissent par s'organiser ensemble. À ce moment précis je sais ma leçon par coeur ; on dit qu'elle est devenue souvenir, qu'elle s'est imprimée dans ma mémoire. Je cherche maintenant comment la leçon a été apprise, et je me représente les phases par lesquelles j'ai passé tour à tour. Chacune des lectures successives me revient alors à l'esprit avec son individualité propre ; je la revois avec les circonstances qui l'accompagnaient et qui l'encadrent encore ; elle se distingue de celles qui précèdent et de celles qui suivent par la place même qu'elle a occupée dans le temps ; bref, chacune de ces lectures repasse devant moi comme un événement déterminé de mon histoire. On dira encore que ces images sont des souvenirs, qu'elles se sont imprimées dans ma mémoire. On emploie les mêmes mots dans les deux cas. S'agit-il bien de la même chose ? Le souvenir de la leçon, en tant qu'apprise par coeur, a tous les caractères d'une habitude. Comme l'habitude, il a exigé la décomposition d'abord, puis la recomposition de l'action totale. Comme tout exercice habituel du corps, enfin, il s'est emmagasiné dans un mécanisme qu'ébranle tout entier une impulsion initiale, dans un système clos de mouvements automatiques, qui se succèdent dans le même ordre et occupent le même temps. Au contraire, le souvenir de telle lecture particulière [...] n'a aucun des caractères de l'habitude. L'image s'en est nécessairement imprimée du premier coup dans la mémoire, puisque les autres lectures constituent, par définition même, des souvenirs différents. C'est comme un événement de ma vie ; il a pour essence de f porter une date, et de ne pouvoir par conséquent se répéter. Tout ce que les lectures ultérieures y ajouteraient ne ferait qu'en altérer la nature originelle. Bergson

« Commentaire de Bergson Introduction : Au début du chapitre II de Matière et mémoire, intitulé « de la reconnaissance des images, la mémoire et le cerveau », Bergson s’interroge sur la manière dont le passé continue à exister en l’homme.

La mémoire est précisément la manière dont le passé continue à exister en l’homme.

Or si l’on se réfère à l’expérience que l’on a soi-même de cette existence, il semble à Bergson qu’il y a deux formes apparentes de la mémoire : la mémoire –habitude et la mémoire-souvenir.

La première serait une mémoire du corps où le passé survivrait dans des mécanismes moteurs, tandis que la seconde serait une mémoire de l’esprit où le passé se survivrait dans des souvenirs indépendants.

Pourtant nous n’avons pas de connaissance immédiate de deux formes de la mémoire.

Au contraire, dans la vie quotidienne, nous ne semblons expérimenter qu’une seule forme de mémoire comme le prouve notre usage unilatéral du mot souvenir. Ces deux formes de la mémoire existent-elles et quelles sont les expériences psychiques qui nous permettent de déduire leur existence ? Il s’agit en effet de faire apparaître une différence de nature entre deux types de souvenir pour déduire une différence de nature entre deux formes de mémoire.

Or cette différence de nature entre deux types de souvenirs est masquée par une confusion résultant du langage: « on emploie les mêmes mots dans les deux cas .

S’agit-il bien de la même chose ? » ( ligne 12-13) Par conséquent, la stratégie argumentative de Bergson consiste à opposer à la confusion du langage la réalité hétérogène des faits psychiques afin de faire apparaître deux formes de mémoire différentes par nature. Pour ce faire, il procède dans une première partie ( ligne 1 à 13) à l’analyse d’une situation d’apprentissage l’étude d’une leçon où il distingue deux points de vue : celui par lequel j’apprend par cœur, puis celui par lequel je cherche comment la leçon a été apprise.

C’est après avoir douté de l’identité de ces expériences psychiques confondues sous le mot souvenir qu’il distingue deux formes de souvenirs par une comparaison analogique avec l’habitude ; une qui lui ressemble, l’autre qui en diffère. I Analyse d’une situation d’apprentissage _ L’apprentissage d’une leçon est symptomatique du fonctionnement de la mémoire.

Il s’agit donc d’analyser la manière dont l’apprentissage s’effectue dans l’étude d’une leçon à apprendre par cœur.

Qu’est-ce que c’est qu’apprendre une leçon avec pour objectif de la connaître par cœur ? Apprendre par cœur, c’est s’approprier un contenu jusqu’à ce qu’il ne fasse plus qu’un avec soi à la manière de notre organe vital.

Cette appropriation de la leçon se fait par un processus de mémorisation.

Qu’est-ce qui se passe dans ce processus de mémorisation ? Ce processus s’échelonne en plusieurs étapes dont le moteur est la répétition.

Répéter une leçon, c’est la réitérer à l’identique jusqu’à ne plus avoir besoin de la répéter pour la connaître.

Entre temps, chaque nouvelle lecture permet un progrès, c’est à dire une connaissance plus étendue et plus facile de la leçon.

A force, « les mots se lient de mieux en mieux », c’est à dire que la mémorisation se fait plus fluide jusqu’à constituer une réorganisation complète de la leçon à l’intérieur de la mémoire. Ainsi, lorsque la leçon a été apprise de telle manière qu’on n’a plus besoin de la réapprendre pour la connaître, on peut dire qu’on la sait par cœur.

Ce savoir par cœur grâce à la mémorisation est alors appelé souvenir.

En effet, savoir sa leçon, c’est s’en souvenir et si on l’a oublié, c’est qu’il faut la réapprendre. _ De l’optique spontanée et irréfléchie de l’élève concentrée sur l’apprentissage de sa leçon, Bergson passe alors à une perspective réflexive sur le processus de l’apprentissage : « je cherche maintenant comment ma leçon a été apprise « ( ligne 5).

Si je cherche alors à me rappeler les phases successives de mon effort pour apprendre ma leçon, chaque lecture de ma leçon, plutôt que de se fondre avec les autres en un seul souvenir indifférencié et indivisé, se présente à mon esprit dans son individualité.

Qu’est ce que l’individualité ? L’individualité d’un souvenir désigne une spécificité qualitative, une chose qui est elle et pas une autre ; elle s’oppose à l’indifférenciation des lectures comprises dans la leçon apprise par cœur.

En effet si les moments de l’apprentissage se fondaient ensemble jusqu’à s’identifier absolument, par ma réflexion, ils se distinguent des uns des autres.

En quoi consiste leur individualité ? L’individualité de chaque lecture se distingue par ces circonstances géographiques ( par exemple, j’ai commencé à apprendre seul chez moi, puis j’ai achevé de la mémoriser avec les autre élèves au milieu de la cour), et de sa place temporelle par opposition à celle qui la suit et qui la précède ( cette lecture suit celle que j’ai faite en classe et précède celle que j’ai accompli à mon domicile).

Ainsi, pour résumer, Bergson compare chacune de ses lectures avec un événement de ma propre biographie : « bref, chacune de ces lectures repasse devant moi comme un événement déterminé de mon histoire » (ligne 10 à 11) Or si l’individualité de ce type de souvenir s’oppose complètement à l’indifférenciation de la leçon apprise par cœur, on lui donne encore le nom de souvenir en ajoutant qu’il s’est imprimée dans ma mémoire.

Mais peut-on encore accepter d’appeler d’un nom identique deux expériences psychiques si différentes ? Comme le souligne Bergson à la ligne 13 « on emploie les mêmes mots dans les deux cas.

S’agit-il bien de la même chose ? ».

Pour dénoncer la confusion que produit le langage, il se réfère à la ligne 4 de notre texte « on dit qu’elle est devenue souvenir, qu’elle s’est imprimée dans ma mémoire ».

L’utilisation du « on » a ici une valeur polémique qui révèle le statut antiphilosophique et irréfléchi de celui qui parle ainsi.

Puisque l’analyse de la situation d’apprentissage nous a permis de faire apparaître deux types de souvenirs antithétiques, il s’agit à présent de combattre l’unilatéralité du langage en révélant leur différence de. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles