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Bergson

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Chacun de nous a sa manière d'aimer et de haïr et cet amour, cette haine, reflètent sa personnalité tout entière Cependant le langage désigne ces états par les mêmes mots chez tous les hommes; aussi n'a-t-il pu fixer que l'aspect objectif et impersonnel de l'amour, de la haine, et des mille sentiments qui agitent l'âme. Nous jugeons du talent d'un romancier à la puissance avec laquelle il tire du domaine public, où le langage les avait ainsi fait descendre, des sentiments et des idées auxquels il essaie de rendre, par une multiplicité de détails qui se juxtaposent, leur primitive et vivante individualité. Mais de même qu'on pourra intercaler indéfiniment des points entre deux positions d'un mobile sans jamais combler l'espace parcouru, ainsi, par cela seul que nous parlons, par cela seul que nous associons des idées les unes aux autres et que ces idées se juxtaposent au lieu de se pénétrer, nous échouons à traduire entièrement ce que notre âme ressent : la pensée demeure incommensurable avec le langage. Bergson

« Chacun de nous a sa manière d'aimer et de haïr et cet amour, cette haine, reflètent sa personnalité tout entière Cependant le langage désigne ces états par les mêmes mots chez tous les hommes; aussi n'a-t-il pu fixer que l'aspect objectif et impersonnel de l'amour, de la haine, et des mille sentiments qui agitent l'âme.

Nous jugeons du talent d'un romancier à la puissance avec laquelle il tire du domaine public, où le langage les avait ainsi fait descendre, des sentiments et des idées auxquels il essaie de rendre, par une multiplicité de détails qui se juxtaposent, leur primitive et vivante individualité.

Mais de même qu'on pourra intercaler indéfiniment des points entre deux positions d'un mobile sans jamais combler l'espace parcouru, ainsi, par cela seul que nous parlons, par cela seul que nous associons des idées les unes aux autres et que ces idées se juxtaposent au lieu de se pénétrer, nous échouons à traduire entièrement ce que notre âme ressent : la pensée demeure incommensurable avec le langage. Pour Bergson, le langage procède de l’extériorité.

Aussi est-il de l’ordre du décomposable, de l’espace, et du déterminisme.

Pour le moins il laisse échapper ce qui fait la complexité de la pensée qui, elle, est de l’ordre de l’intériorité.

Une telle critique sera constamment exposée par Bergson, qui estime, par ailleurs (« Le Rire »), que les mots du langage ne sont que des étiquettes collées sur les choses et par là qu’ils sont incapables d’exprimer les choses mêmes. Il s’agit ici d’une critique du langage et non de notre propre impuissance à exprimer notre vie intérieure.

Si nous échouons à traduire ce que notre âme ressent, c’est parce que le langage est inadéquat.

Il y a une différence de nature entre notre vie intérieure et le langage. 1.

Il y a une impuissance du langage à exprimer la richesse du sentiment. 2.

Le romancier, par son talent, essaie d’exprimer l’individualité. 3.

Mais la pensée excède toujours le langage. 1) Un sentiment (parmi les mille, évoqués ultérieurement) qui dit tout de la personnalité est, pense Bergson, l’amour (et son opposé, la haine), non pas traité en général, mais dans l’individualité (« chacun de nous ») qui nous appartient en propre (« sa » manière, « sa » personnalité) en tant que sujet.

Cette particularité (que l’on sous-entend être différente de l’un à l’autre) exprime cependant à chaque fois la totalité (la personnalité « tout entière »). La richesse du concret d’un sentiment vécu, infiniment varié, s’oppose à la pauvreté abstraite du langage.

Le langage n’exprime pas, il est, du dehors, un simple index (« il désigne »).

Les états (à comprendre comme multiples, intérieurs et subjectifs) ne peuvent être rendus par le langage qui rate la différence par l’emploi du même (« les mêmes mots »), la particularité par la visée, réductrice, de termes s’appliquant à tous (« tous les hommes »). Comme le ferait un entomologiste collectionneur qui, dans un sous-verre, pique, dans son immobilité, un papillon jadis vivant, le langage fixe l’extériorité (« l’aspect objectif » qui n’est qu’un des multiples aspects du possible) et laisse là échapper –avec le bruissement de la vie- le caractère subjectif et personnel du sentiment.

L’aprèscoup du langage (« n’a-t-il pu ») est trop tard.

Son impuissance (soulignée par la formule négative) s’étend à l’expression de n’importe quel sentiment, alors qu’il y en a tant et tant dans l’intériorité foisonnante et contradictoire de la vie de l’âme (« mille sentiments qui agitent l’âme »). 2) D’un côté la vie « des sentiments et des idées », de l’autre le langage « qui désigne ces états ».

Bergson vient de dresser le constat de l’impuissance du langage à dire la vie.

Mais, avec l’accord du lecteur et de l’opinion cultivée (« nous ») il témoigne de l’effort particulier d’un type d’homme qui par son travail tente (« il essaie ») de rendre la vie : le romancier. Il réussit plus ou moins.

D’où la possibilité de le classer (« nous jugeons ») en terme de puissance ou de faiblesse.

Mais ici pas de référence au génie, seulement au talent, qui suggère un art au sens d’artifice, de manière de faire, sinon de procédé.

La démarche du romancier est personnelle, l’aspect privé de sa tentative s’oppose à la fonction publique du langage social et implique un effort (une « puissance »), une lutte menée directement contre le langage. D’un côté le langage dégrade (c’est l’expression « descendre » qui s’employerait pour désigner aussi bien une chute, une tombée, une descente en enfer, pour le moins le contraire d’une élévation spirituelle), de l’autre le romancier, comme un pêcheur d’âmes, tire vers le haut, tente de faire sortir, de faire revivre… Mais sa manière n’est que celle du procédé. Sans que Bergson y fasse de référence expresse, on songe ici à la manière d’un peintre pointilliste : accumulation (« multiplicité ») des tâches minuscules (« détails »), posées les unes à côté des autres (« juxtaposent »).

Vu de loin, le rendu va à peu près.

Mais cependant c’est encore un après-coup, second par. »

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