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Bergson

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Trop souvent nous nous représentons encore l'expérience comme destinée à nous apporter des faits bruts : l'intelligence, s'emparant de ces faits, les rapprochant les uns des autres, s'élèverait ainsi à des lois de plus en plus hautes. Généraliser serait donc une fonction, observer en serait une autre. Rien de plus faux que cette conception du travail de synthèse, rien de plus dangereux pour la science et pour la philosophie. Elle a conduit à croire qu'il y avait un intérêt scientifique à assembler des faits pour rien, pour le plaisir, à les noter paresseusement et même passivement, en attendant la venue d'un esprit capable de les dominer et de les soumettre à des lois. Comme si une observation scientifique n'était pas toujours la réponse à une question, précise ou confuse! Comme si des observations notées passivement à la suite les unes des autres étaient autre chose que des réponses décousues à des questions posées au hasard ! Comme si le travail de généralisation consistait à venir, après coup, trouver un sens plausible à ce discours incohérent. Bergson

« Trop souvent nous nous représentons encore l'expérience comme destinée à nous apporter des faits bruts : l'intelligence, s'emparant de ces faits, les rapprochant les uns des autres, s'élèverait ainsi à des lois d e p l u s en plus hautes.

Généraliser serait donc une fonction, observer en serait une autre. Rien de plus faux que cette conception du travail de synthèse, rien de plus dangereux pour la science et pour la philosophie.

Elle a conduit à croire qu'il y avait un intérêt scientifique à assembler des faits pour rien, pour le plaisir, à les noter paresseusement et même passivement, en attendant la venue d'un esprit capable d e les dominer et d e les soumettre à des lois.

C o m m e si u n e observation scientifique n'était pas toujours la réponse à u n e question, précise ou confuse! C o m m e si des observations notées passivement à la suite les unes des autres étaient autre chose que des réponses décousues à d e s questions p o s é e s au hasard ! C o m m e si le travail d e généralisation consistait à venir, après coup, trouver un sens plausible à ce discours incohérent. Introduction C o m m e n t l e savoir scientifique s'élabore-t-il? Pour bâtir une théorie, il faut, semble-t-il, commencer par rassembler des faits par l'observation, avant de les organiser e t d e découvrir les rapports qu'ils entretiennent ente eux. C'est contre cette vision commune du processus de la connaissance que Bergson part en guerre dans le texte q u e nous allons étudier; selon lui, il est particulièrement d o m m a g e a b l e d e dissocier la démarche de l'observation et celle de l'élaboration conceptuelle. Sa critique s'établit ici en trois temps : après avoir évoqué la conception commune, il la dénonce c o m m e fausse, nuisible et "paresseuse", pour affirmer enfin qu'il n'y a pas d'observation scientifique qui ne soit guidée par un questionnement de l'intelligence. Ce texte nous invite ainsi à une compréhension conjointe de la théorie et de l'expérience, toutes deux structurées par l'intelligence. Étude ordonnée et intérêt philosophique Le lecteur est averti dès les premiers mots du texte de l'intention de Bergson : réfuter une représentation "trop souvent" admise et selon laquelle l'expérience serait u n e sorte d'étape préparatoire pour le travail organisateur d e la théorie.

Cette représentation correspond en effet à notre intuition spontanée: si on conçoit la connaissance comme l'opération qui consiste à relier des faits ente eux selon des lois (loi de cause à effet, loi de la chute des corps, etc.), il faut bien disposer au départ de faits observés pour savoir ce qu'on veut organiser, quels phénomènes il faut regrouper ou relier l'un à l'autre comme l'effet à sa cause, etc. Cette conception suppose ainsi deux fonctions distinctes : celle d'observation et celle de pensée proprement dite.

L'observation serait donc essentiellement affaire d e perception et ne relèverait donc pas directement d e l'intelligence.

Elle s e situerait au niveau du particulier.

L'intelligence au contraire aurait le rôle d'organiser d e s généralisations à partir d e n o s observations.

Là s e situerait le véritable saut théorique. O n p e u t p e n s e r q u e cette présentation vise la conception empiriste de Hume, qui entend se fier à nos observations et dénonce la généralisation abusive opérée par l'intelligence qui procède par induction du particulier au général et traduit l'observation d'une conjonction constante de phénomènes en loi de connexion nécessaire. Or, il s'agit là selon Bergson d'une conception profondément erronée du "travail d e synthèse".

La synthèse consiste, dans ce contexte, à lier entre eux les faits et les concepts qui leur correspondent pour aboutir aux propositions de la science Cette conception n'est pas seulement contraire à l'esprit scientifique, elle est aussi, nous dit Bergson, , "dangereuse pour la philosophie".

Pourquoi cette précision? Sans doute parce que Bergson tient à n e pas faire d e l a philosophie un discours général coupé de l'attention au concret, au changement, à la vie.

Il tient au contraire à s'opposer à cette image d'une philosophie « dans les nuages », perdue dans des notions » éternelles » alors q u e c'est par la création d e nouveauté q u e se caractérisent la vie en général et l'homme en particulier. Le principal argument de Bergson contre la conception commune est qu'elle conduit à une pratique stupide de l'observation qui « a s s e m b l e des faits pour rien, pour le plaisir », sans savoir s'ils pourront servir ni à quoi.

Une telle pratique de l'accumulation est inutile et nuisible, car elle repose sur l'idée, fausse, que les faits se présenteraient à nous d'eux-mêmes, comme des objets isolés les uns des autres.

Or il n'y a pas de "faits" dans la réalité, il n'y a que le réel indifférencié: c'est notre intelligence qui découpe dans ce réel des unités qui nous intéressent et laisse le reste à l'état de fond indifférencié.

Sur un terrain caillouteux, le géologue et le cantonnier venu chercher d e q u o i remblayer une route ne décriront pas l e m ê m e « fait », l'un verra de multiples types de roches différents et l'autre une masse caillouteuse homogène. Le travail scientifique ne commence pas avec la combinaison de faits déjà constitués, mais bien avec l'interrogation qui permettra de rechercher et de découper ces faits : tel est le troisième point que Bergson veut préciser.

Il importe en effet, selon lui, d'inverser carrément la représentation habituelle et de rappeler que c'est la démarche conceptuelle qui est première et l'observation seconde.

Il rejoint ici Kant qui disait déjà que le scientifique ne trouve dans la nature que ce que la raison y met et seulement les réponses aux questions élaborées par la raison elle-même.

La perception n'est jamais u n e réception purement passive mais toujours déjà la constitution d'un tout cohérent en fonction d'intérêts déterminés, par exemple dans la perspective de la conservation de l'existence. Cette affirmation est toutefois accompagnée d'une nuance : le questionnement initial peut être « confus » car le scientifique ne sait pas toujours exactement ce qu'il cherche.

L'observation viendra corriger, préciser, affiner son interrogation initiale.

Mais u n e interrogation doit impérativement guider l'observation, s a n s quoi celle-ci demeurera stérile et n e pourra m ê m e p a s avoir cette fonction de correction et de précision des connaissances puisqu'il sera impossible de déterminer à quoi elle peut être utile. Conclusion Ce qui se précise ici, c'est donc la différence entre la curiosité dilettante et l'esprit de recherchée, scientifique.

Le premier collectionne à plaisir des bribes inconsistantes mais qui frappent d'autant plus l'imagination; le second commence par bâtir un questionnement rigoureux et recherche les conditions de sa vérification, de son élargissement. C'est également dans ce sens que Bachelard parlera du « nouvel esprit scientifique » qui ne consiste pas à entériner les conjectures souvent fantaisistes et fantasmatiques du sens commun, mais au contraire à dire "non", et à savoir refuser les propositions pseudoscientifiques.

Mais Descartes lui-même, bien avant Bergson et Bachelard, avait affirmé dans le Discours d e la méthode qu'un philosophe ou un savant ne peuvent rien construire de solide à partir de préjugés et d'observations incohérentes : mieux vaut "raser l'édifice", pour reprendre l'image cartésienne, et tout reconstruire à partir de principes plus rigoureux.. »

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