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Avons-nous une connaissance exacte de notre passé

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« Pouvons-nous avoir de notre propre passé une connaissance exacte ? A première vue, cette question appelle une réponse si évidente qu'on s'étonne de la voir posée.

Mais, comme à l'ordinaire, en réfléchissant sur les mots, on voit sa signification se préciser et on découvre la possibilité d'un développement qui ne soit pas trop banal. 1.

On a d'abord compris : pouvons-nous avoir de notre propre passé un souvenir exact ? En comprenant ainsi on n'a pas commis un contresens.

C'est la mémoire qui constitue la source essentielle et presque unique de notre connaissance de notre passé.

Aussi convient-il de commencer par répondre à la question ainsi posée et la réponse ne peut être que négative. Sans doute peut-on admettre que tout ce qui a été enregistré par la mémoire reste enregistré.

Mais : 1° La mémoire n'enregistre pas exactement notre passé.

Elle l'enregistre de notre point de vue, avec un inévitable manque de recul.

On discute la question de savoir si les expériences affectives sont enregistrées et, en admettant qu'elles le soient, par le fait même de leur caractère affectif, elles sont bien difficiles à connaître et à reconnaître quand elles sont évoquées. 2° La mémoire ne peut évoquer qu'une petite partie des souvenirs enregistrés : les plus récents, ceux qui ont été le plus souvent rappelés.

La grande masse résiste à nos efforts de rappel : ils sont tombés dans l'oubli.

Il nous est impossible de nous rappeler exactement ce que nous avons fait hier.

De la plupart des journées et même des mois de notre enfance rien ne surnage. 3° Enfin il s'en faut que le passé qui revient à la mémoire soit connu exactement tel qu'il se déroula.

Il se produit dans le rappel des sélections inconscientes.

C'est le présent qui donne sa signification au passé dont le souvenir revient; aussi apparaît-il bien différent suivant les dispositions avec lesquelles il est accueilli. 2.

Pouvons-nous avoir de notre passé une connaissance exacte ? Pour répondre à cette question, celle qui nous est posée, sans retomber dans des redites, supprimons pour un instant les adjectifs possessifs «noire propre » et de se demander si nous pouvons avoir du passé une connaissance exacte : de la psychologie nous passons à l'histoire.

Il faudra bien revenir à la psychologie, puisqu'il s'agit de notre passé, mais en utilisant d'autres cadres : on se demande si l'historien peut avoir du passé une connaissance exacte; demandons-nous si chacun peut avoir de son propre passé une connaissance du même genre.

Il n'est plus question de cette simple connaissance immédiate que donne le souvenir mais, avec elle, de la reconstitution réalisée par l'historien à l'aide de documents objectifs et des diverses sources de renseignements dont nous pouvons disposer.

A la question ainsi posée nous ne pouvons plus répondre par une simple négation. a) Sans doute la connaissance de notre propre passé n'est pas parfaitement exacte, et en divers sens elle n'est pas exhaustive, car il y reste beaucoup de zones obscures; elle n'est guère précise, ne comportant que rarement des mesures; en ce qui concerne les causes, elle est bien souvent conjecturale.

Elle reste donc bien loin de l'exactitude qu'on obtient en astronomie et même dans les sciences physiques. b) Cependant nous pouvons dire que cette connaissance peut être aussi exacte qu'il est possible dans le domaine des sciences de l'homme.

Nous pouvons reconstituer notre passé avec beaucoup plus d'exactitude que l'historien ne reconstitue l'époque qu'il étudie.

Aux sources dont il dispose s'ajoutent, avec les souvenirs personnels, l'impression incommunicable du vécu qui pourrait faire de nos reconstitutions de véritables résurrections. Nous venons de dire ce qui pourrait être.

Chimère pour l'immense majorité, mais pas pour tous.

L'homme politique qui écrit ses mémoires en utilisant ses notes personnelles, les archives des services dans lesquels il a joué un rôle, l'histoire, les témoignages de ses contemporains, portera évidemment sur son passé un jugement plus ou moins partial; mais il faudrait qu'il soit bien aveuglé pour ne pas aboutir à connaître ce passé d'une façon beaucoup plus exacte que l'historien le plus érudit.

Si donc la connaissance que nous avons de notre propre passé n'est guère exacte, il n'est pas impossible de l'élever au niveau d'exactitude que comporte le genre de faits en question.. »

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