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Arthur SCHOPENHAUER (1788-1860)

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Par métaphysique, j'entends tout ce qui a la prétention d'être une connaissance dépassant l'expérience, c'est-à-dire les phénomènes donnés, et qui tend à expliquer par quoi la nature est conditionnée dans un sens ou dans l'autre, ou, pour parler vulgairement, à montrer ce qu'il y a derrière la nature et qui la rend possible. Or, la grande diversité originelle des intelligences, à laquelle s'ajoute encore la différence des éducations, qui exigent tant de loisirs, tout cela distingue si profondément les hommes qu'aussitôt qu'un peuple est sorti de l'ignorance grossière, une même métaphysique ne saurait suffire pour tous. Aussi, chez les peuples civilisés, trouvons-nous en gros deux espèces de métaphysiques, qui se distinguent l'une de l'autre en ce que l'une porte en elle-même sa confirmation et que l'autre la cherche en dehors d'elle. La réflexion, la culture, les loisirs et le jugement, telles sont les conditions qu'exigent les systèmes métaphysiques de la première espèce, pour contrôler la confirmation qu'ils se donnent à eux-mêmes ; aussi ne sont-ils accessibles qu'à un très petit nombre d'hommes et ne peuvent-ils se produire et se conserver que dans les civilisations avancées. C'est pour la multitude au contraire, pour des gens qui ne sont pas capables de penser, mais seulement de croire, que sont faits exclusivement les systèmes de la seconde espèce. La foule ne peut que croire et s'incliner devant une autorité, le raisonnement n'ayant pas de prise sur elle. Nous appellerons ces systèmes des métaphysiques populaires, par analogie avec la poésie et la sagesse populaires (sous ce dernier nom on entend les proverbes). Cependant ils sont appelés communément religions et se trouvent chez tous les peuples, excepté les plus primitifs [...]. Ces deux sortes de métaphysiques, dont les différences se résument en deux appellations : Doctrines de Foi et Doctrines de Raison, ont ceci de commun que de part et d'autre les systèmes particuliers de chaque espèce sont en guerre ensemble. Entre ceux de la première, la lutte se réduit à la discussion ou au pamphlet ; mais entre ceux de la seconde, c'est avec le feu et le glaive que l'on se combat ; plusieurs d'entre eux ne se sont guère répandus que grâce à ce dernier genre de polémique, et se sont petit à petit partagé la Terre, mais d'une façon si tranchée et si souveraine que les peuples se distinguent bien plus par là que par leur nationalité ou leur gouvernement. Arthur SCHOPENHAUER (1788-1860)

« " Par métaphysique, j'entends tout ce qui a la prétention d'être une connaissance dépassant l'expérience, c'est-à-dire les phénomènes donnés, et qui tend à expliquer par quoi la nature est conditionnée dans un sens ou dans l'autre, ou, pour parler vulgairement, à montrer ce qu'il y a derrière la nature et qui la rend possible.

Or, la grande diversité originelle des intelligences, à laquelle s'ajoute encore la différence des éducations, qui exigent tant de loisirs, tout cela distingue si profondément les hommes qu'aussitôt qu'un peuple est sorti de l'ignorance grossière, une même métaphysique ne saurait suffire pour tous.

Aussi, chez les peuples civilisés, trouvons-nous en gros deux espèces de métaphysiques, qui se distinguent l'une de l'autre en ce que l'une porte en elle-même sa confirmation et que l'autre la cherche en dehors d'elle. La réflexion, la culture, les loisirs et le jugement, telles sont les conditions qu'exigent les systèmes métaphysiques de la première espèce, pour contrôler la confirmation qu'ils se donnent à eux-mêmes ; aussi ne sont-ils accessibles qu'à un très petit nombre d'hommes et ne peuvent-ils se produire et se conserver que dans les civilisations avancées.

C'est pour la multitude au contraire, pour des gens qui ne sont pas capables de penser, mais seulement de croire, que sont faits exclusivement les systèmes de la seconde espèce.

La foule ne peut que croire et s'incliner devant une autorité, le raisonnement n'ayant pas de prise sur elle.

Nous appellerons ces systèmes des métaphysiques populaires, par analogie avec la poésie et la sagesse populaires (sous ce dernier nom on entend les proverbes).

Cependant ils sont appelés communément religions et se trouvent chez tous les peuples, excepté les plus primitifs [...].

Ces deux sortes de métaphysiques, dont les différences se résument en deux appellations : Doctrines de Foi et Doctrines de Raison, ont ceci de commun que de part et d'autre les systèmes particuliers de chaque espèce sont en guerre ensemble.

Entre ceux de la première, la lutte se réduit à la discussion ou au pamphlet ; mais entre ceux de la seconde, c'est avec le feu et le glaive que l'on se combat ; plusieurs d'entre eux ne se sont guère répandus que grâce à ce dernier genre de polémique, et se sont petit à petit partagé la Terre, mais d'une façon si tranchée et si souveraine que les peuples se distinguent bien plus par là que par leur nationalité ou leur gouvernement.

" SCHOPENHAUER Approche générale La métaphysique a d'abord pris le sens de « philosophie première », c'est-à-dire d'un type de démarche et de construction intellectuelle visant les principes les plus fondamentaux de l'être, de la connaissance, et de l'action.

C 'est ce sens que lui donne Aristote, mais aussi Descartes dont les Méditations métaphysiques ont pour titre latin Meditationes de prima philosophia.

Si l'objet de la métaphysique tend à dépasser l'expérience, à s'affranchir de ses limites pour tenter de saisir ce qui est inconditionné, et ainsi peut valoir comme fondement ou référence idéale, la recherche métaphysique n'en est pas moins de nature rationnelle.

Une certaine ambivalence de signification de sa démarche a pu paraître rapprocher la métaphysique des doctrines théologiques, à ceci près que dans ces dernières la raison est soumise à la foi, alors que l'exigence rationnelle prévaut dans les métaphysiques philosophiques.

La version théologique de la métaphysique n'a donc pas l'autonomie de principe de la réflexion métaphysique d'essence philosophique.

C'est qu'elle tend à s'ordonner à ce que ceux qui y croient appellent « religion révélée.

» D'où une différence très sensible de nature, de démarche et de raison d'être, entre métaphysique rationnelle et religion.

Les conflits entre religions se sont souvent traduits par des luttes temporelles et une intolérance parfois sanglante (Croisades, Sainte Inquisition) alors qu'en principe la discussion rationnelle entre métaphysiques opposées ne peut pas prendre une telle tournure.

Le texte de Schopenhauer s'attache à développer la distinction de ce qu'il appelle « deux espèces de métaphysique », et à référer cette distinction à l'inégale distribution du savoir et de la culture entre les hommes. Construction du texte Premier moment (les deux premières phrases). Définition générique de la métaphysique comme « connaissance dépassant l'expérience » et annonce de la différenciation nécessaire en types de métaphysique distincts. Deuxième moment (les six phrases suivantes). Déploiement de la destruction entre « deux espèces de métaphysiques » respectivement dévolues à deux catégories d'hommes. • L'une, de nature intellectuelle et réflexive, réservée de fait (et non nécessairement de droit) aux hommes qui disposent de loisir et de culture. • L'autre, dite « métaphysique populaire », et privilégiant la croyance, conçue pour la multitude.

Une telle métaphysique a pour nom plus commun « religion ». Troisième moment (les deux dernières phrases du texte). Opposition des deux types de conflits, et de leurs modalités respectives, qui se déroulent d'une part entre les métaphysiques rationnelles (« Doctrines de Raison ») et d'autre part entre les religions (métaphysiques théologiques).

La discussion raisonnée pour les premières, la guerre pour les religions, qui tendent d'ailleurs, selon Schopenhauer, à définir des différences caractéristiques entre les peuples. SCHOPENHAUER (Arthur).

Né à Dantzig en 1788, mort à Francfort-sur-le-Main eu 1860. Il fit des études de médecine à Göttingen, puis suivit les cours de Fichte à Berlin.

Il rencontra Goethe, voyagea en Italie, devint privat-dozent de l'Université de Berlin en 1820, voyagea encore, puis, en 1833, se retira dans sa maison de Francfort.

— Il a subi l'influence conjuguée de Kant et de la philosophie hindoue.

Le monde « est ma représentation » ; il contient le sujet et l'objet, il est une illusion produite par une Volonté aveugle et absurde.

Le corps est « la volonté devenue visible », à travers laquelle on découvre l'absolu, la V olonté Une qui est la racine des choses.

— Le substratum du monde phénoménal est le vouloir-vivre, auquel est soumise l'intelligence.

La vie n'est que maux et souffrances, une « histoire naturelle de la douleur».

C'est par l'intelligence que l'homme anéantit le vouloir-vivre ; la chasteté et l'ascétisme lui permettent d'atteindre le nirvâna hindou.

— Solitaire, indifférent, pessimiste, Schopenhauer fonde sa morale sur la pitié.

Il a fortement influencé Nietzsche. Œuvres principales : La quadruple racine de la raison suffisante (1813), Le monde comme volonté et comme représentation (1819), Sur la volonté dans la nature (1830), Essai, sur le libre arbitre (1841), Fondement de la morale (1841), Parerga et Paralipomena (1851), A phorismes sur la sagesse dans la vie (posth.).. »

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