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Alors qu'on pouvait lire dans la Revue « Le Réalisme », publiée vers 1860 : « Le Réalisme conclut à la reproduction exacte, complète, sincère du milieu social, de l'époque où l'on vit... », Montherlant a écrit : « Il ne faut pas qu'un écrivain s'intéress

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En présentant comme contradictoires la conclusion publiée dans la revue Le Réalisme (« Le Réalisme conclut à la reproduction exacte, complète, sincère du milieu social, de l'époque où l'on vit... ») et l'objection formulée par Montherlant (« Il ne faut pas qu'un écrivain s'intéresse trop à son époque, sous peine de faire des œuvres qui n'intéressent que son époque »), l'énoncé du sujet ne respecte pas strictement la forme logique de la contradiction. D'une part, Montherlant ne demande pas à l'écrivain de se désintéresser tout à fait de son temps, d'autre part, il introduit une dimension qui n'est pas présente dans la première proposition, celle du public que vise ou atteint l'écrivain.  Une double série de problèmes anime donc le sujet : celle qui concerne les rapports que l'écriture entretient avec le réel et celle qui règle les relations que le romancier souhaite tisser avec ses lecteurs présents ou à venir.  Résoudre la première est-ce du même coup apporter une solution à la seconde? Autrement dit, est-ce que l'écrivain, en ordonnant les liens qui unissent sa fiction au réel, définit son public? Ou, au contraire, faut-il considérer qu'il y a là deux problématiques strictement indépendantes ?

« Alors qu'on pouvait lire dans la Revue « Le Réalisme », publiée vers 1860 : « Le Réalisme conclut à la reproduction exacte, complète, sincère du milieu social, de l'époque où l\'on vit...

», Montherlant (1896-1972) a écrit : « Il ne faut pas qu\'un écrivain s'intéresse trop à son époque, sous peine de faire des œuvres qui n'intéressent que son époque.

» Commentez et discutez ces deux points de vue contradictoires concernant la tâche du romancier. En présentant comme contradictoires la conclusion publiée dans la revue Le Réalisme (« Le Réalisme conclut à la reproduction exacte, complète, sincère du milieu social, de l'époque où l'on vit...

») et l'objection formulée par Montherlant (« Il ne faut pas qu'un écrivain s'intéresse trop à son époque, sous peine de faire des œuvres qui n'intéressent que son époque »), l'énoncé du sujet ne respecte pas strictement la forme logique de la contradiction.

D'une part, Montherlant ne demande pas à l'écrivain de se désintéresser tout à fait de son temps, d'autre part, il introduit une dimension qui n'est pas présente dans la première proposition, celle du public que vise ou atteint l'écrivain. Une double série de problèmes anime donc le sujet : celle qui concerne les rapports que l'écriture entretient avec le réel et celle qui règle les relations que le romancier souhaite tisser avec ses lecteurs présents ou à venir. Résoudre la première est-ce du même coup apporter une solution à la seconde? Autrement dit, est-ce que l'écrivain, en ordonnant les liens qui unissent sa fiction au réel, définit son public? Ou, au contraire, faut-il considérer qu'il y a là deux problématiques strictement indépendantes ? Le roman, dans son sens moderne est une œuvre de fiction.

E.

Littré, dans son Dictionnaire de la langue française (1863-1872) le définit comme une « histoire feinte, écrite en prose, où l'auteur cherche à exciter l'intérêt par la peinture des passions, des mœurs, ou par la singularité des aventures ». La fiction est un double du réel qui peut adopter différents états, depuis celui de l'hypothèse — ce qui revient à anticiper une certaine organisation de la réalité en vue d'une vérification — jusqu'à celui de l'hallucination — la fiction s'étant alors substituée au réel lui-même. Mais, quoi qu'il en soit de la fiction, elle est le fruit d'un acte.

Dans la simple reproduction du réel, il y a précisément la médiation de l'acte de reproduire le réel : le réel reproduit ne sera jamais le réel lui-même. « Créer, c'est pour Dieu, tirer quelque chose du néant ; pour le poète, pour l'artiste, c'est ajouter quelque chose au monde par une opération, on aimerait presque dire, par une manipulation appropriée, portant sur les sons, les couleurs, les formes ou les mots » écrit R. Caillois dans Rencontres (1978). Dans la volonté réaliste la plus intransigeante, il y a toujours, tapi en son creux, cet acte créateur qui la déborde et la dépasse.

Ainsi, le réalisme n'est jamais purement réaliste.

Maupassant, dans la Préface de Pierre et Jean (1887) n'écrit-ii pas : « Faire vrai consiste à donner l'illusion complète du vrai, suivant la logique ordinaire des faits, et non à les transcrire servilement dans le pêle-mêle de leur succession.

J'en conclus que les Réalistes de talent devraient s'appeler plutôt des Illusionnistes [...].

» Aussi, alors que Zola exige du romancier qu'il s'impose les qualités de rigueur de l'observateur et de l'expérimentateur, il s'abandonne lui-même à un lyrisme épique que trahit ce passage de la Bête humaine (1890, chap.

X), après le déraillement provoqué par Flore : « On n'entendait plus, on ne voyait plus.

La Lison, renversée sur les reins, le ventre ouvert, perdait sa vapeur, par les robinets arrachés, les tuyaux crevés, en des souffles qui grondaient, pareils à des râles furieux de géante.

Une haleine blanche en sortait, inépuisable, roulant d'épais tourbillons au ras du sol ; pendant que du foyer, les braises tombées, rouges comme le sang même de ses entrailles, ajoutaient leurs fumées noires.

» La locomotive n'est certes pas un objet — n'est-elle pas la Lison ? — mais un symbole épique comme on peut en trouver dans toute l'œuvre de Zola.

Symbolique par laquelle les romans du naturaliste Zola excèdent le particularisme d'une époque donnée ou d'un milieu social limité.

Son ambition n'est-elle pas d'ailleurs d'épouser le mouvement du siècle, de l'histoire, de la vie elle-même, et non simplement de réfléchir, d'une manière étriquée, son temps.

Ambition que les moyens du réalisme plat ne sauraient servir. Quant à Valéry, en prétendant qu'il ne pouvait écrire une phrase comme : « La marquise demanda sa voiture et sortit à cinq heures », il ne marquait pas une exigence que le roman se devait dès lors de respecter, mais révélait seulement qu'aucun grand roman jamais ne fut et jamais ne sera la réduplication d'une réalité le plus souvent peu attrayante, même lorsqu'il prétend obéir, dans les règles de sa construction, aux préceptes du réalisme. Retenons aussi la leçon que nous donne Gide dans Les Faux Monnayeurs (1925).

Edouard invite ses interlocuteurs à imaginer « une pièce d'or de dix francs qui soit fausse » pour tenter de leur expliquer les lois de la construction romanesque. « [...] Elle vaudra dix francs tant qu'on ne connaîtra pas qu'elle est fausse.

Si donc je pars de cette idée que... — Mais pourquoi partir d'une idée ? interrompit Bernard impatienté.

Si vous partiez d'un fait bien exposé, l'idée viendrait l'habiter d'ellemême.

Si j'écrivais Les Faux Monnayeurs, je commencerais par présenter la pièce fausse, cette petite pièce dont vous parliez à l'instant... et que voici.

[...] Mais maintenant que vous l'avez examinée, rendez-la-moi ! Je vois hélas ! que la réalité ne vous intéresse pas. — Si, dit Bernard; mais elle me gêne.

» (Les Faux Monnayeurs, 2e partie, chap.

3.) La réalité gêne le romancier, non parce qu'il doit la dissimuler ou l'évacuer mais parce qu'elle n'est pas le point de départ du travail romanesque : ce dernier doit se réaliser comme pur acte de création. A ce titre le romancier en appelle au lecteur.

Puisqu'il ne se soucie guère de la réalité pour valider le produit de son activité, la reconnaissance du lecteur lui devient indispensable : un roman qui n'est pas lu ne mérite pas un tel titre, quoiqu'il en soit des raisons légitimes ou illégitimes de son insuccès. « Puisque la création ne peut trouver son achèvement que dans la lecture, puisque l'artiste doit confier à un autre le soin d'accomplir ce qu'il a commencé, puisque c'est à travers la conscience du lecteur seulement qu'il peut se saisir comme essentiel à son œuvre, tout ouvrage littéraire est un appel.

Ecrire, c'est faire appel au lecteur pour qu'il fasse passer à l'existence objective le dévoilement que j'ai entrepris par le moyen du langage.

Et si l'on demande à quoi l'écrivain fait appel, la réponse est simple [...].

[Il] en appelle à la liberté du lecteur pour qu'elle collabore à la production de son ouvrage.

» (J.-P.

Sartre, Qu'est-ce que la littérature?, 1948). L'écrivain ne peut manquer dès lors d'éprouver, dans l'indifférence ou dans la mauvaise conscience, l'écart existant entre son « public réel » et son « public virtuel », un public rêvé qu'il s'efforce ou non de rencontrer.

Un tel effort est premier et promeut les différents procédés romanesques.

Le réalisme se définit ainsi dans son projet comme un moyen de toucher le plus grand nombre.

« En un mot, nous travaillons avec tout le siècle à la grande œuvre qui est la conquête de la nature, la puissance de l'homme décuplée.

Et voyez à côté de la nôtre, la besogne des écrivains idéalistes qui s'appuient sur l'irrationnel et le surnaturel, et dont chaque élan est suivi d'une chute profonde dans le chaos métaphysique.

C'est nous qui avons la force, c'est nous qui avons la morale.

» (E.

Zola, Le Roman expérimental, 1880).

Et qui méritons de gagner le cœur des hommes, avons-nous envie d'ajouter.

Le réalisme, loin de renoncer à convaincre la totalité des hommes, affirme à travers ce projet sa véritable vocation et devance la réplique de Montherlant. Sans doute le réalisme a-t-il produit des œuvres fades, sans doute a-t-il erré de manière coupable — que l'on songe aux déboires des écrivains qui ont cru devoir suivre les diktats du réalisme socialiste par fidélité au « génial Staline » — mais ne recèle-t-il pas une profonde compréhension de la réalité humaine ? Se montrer soucieux de son époque ne signifie pas en être prisonnier.

La réalité humaine ne se réalise-t-elle pas à travers les particularités historiques, sociales, psychologiques ? Modalités auxquelles se montre sensible le réalisme qui peut prétendre, par cette attention vigilante, intéresser un public universel.. »

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