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Alain: La raison modifie-t-elle la perception sensorielle ?

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On soutient communément que c'est le toucher qui nous instruit, et par constatation pure et simple, sans aucune interprétation. Mais il n'en est rien. Je ne touche pas ce dé cubique. Non. Je touche successivement des arêtes, des pointes, des plans durs et lisses, et réunissant toutes ces apparences en un seul objet, je juge que cet objet est cubique. Exercez-vous sur d'autres exemples, car cette analyse conduit fort loin, et il importe de bien assurer ses premiers pas. Au surplus il est assez clair que je ne puis pas constater comme un fait donné à mes sens que ce dé cubique et dur est en même temps blanc de partout, et marqué de points noirs. Je ne le vois jamais en même temps de partout, et jamais les faces visibles ne sont colorées de même en même temps, pas plus du reste que je ne les vois égales en même temps. Mais pourtant c'est un cube que je vois, à faces égales, et toutes également blanches. Et je vois cette chose même que je touche. Platon, dans son Théétète, demandait par quel sens je connais l'union des perceptions des différents sens en un seul objet. Revenons à ce dé. Je reconnais six taches noires sur une des faces. On ne fera pas difficulté d'admettre que c'est là une opération d'entendement, dont les sens fournissent seulement la matière. Il est clair que, parcourant ces taches noires, et retenant l'ordre et la place de chacune, je forme enfin, et non sans peine au commencement, l'idée qu'elles sont six, c'est-à-dire deux fois trois, qui font cinq et un. Apercevez-vous la ressemblance entre cette action de compter et cette autre opération par laquelle je reconnais que des apparences successives, pour la main et pour l'oeil, me font connaître un cube ? Par où il apparaîtrait que la perception est déjà une fonction d'entendement [...] et que l'esprit le plus raisonnable y met de lui-même bien plus qu'il ne croit. [...] Et nous voilà déjà mis en garde contre l'idée naïve dont je parlais.

« Les données sensibles, plus immédiates et passives, permettent d'appliquer des raisonnements par induction dont la pertinence logique est tout aussi incertaine que ceux de la déduction.

Ce qui nous fait soupçonner que les erreurs des sens pourraient parfois être des illusions de la raison elle-même.

Cette dernière n'est-elle qu'un artifice ? Passer de l'idée d'avoir raison à la raison met en lumière l'importance de l'activité proprement argumentative de la raison.

On peut en gros distinguer trois acceptions principales du mot raison : 1) la raison est la faculté qui nous rend capable de réfléchir, de penser, de raisonner.

2) Elle est le motif d'une action,l'argument d'une idée, ou la cause d'un fait.

3) « Raison apparaît enfin dans « avoir raison «, qui indique une conformité — du reste assez problématique — entre le sentiment de certitude et la vérité. On peut identifier deux sources de la connaissance : les sens et la raison.

Elles semblent à la fois distinctes et inséparables.

Distinctes car elles sont contraires par un aspect essentiel : les sens saisissent immédiatement leur objet, alors que la raison ne peut saisir un objet qu'à travers des médiations, de façon indirecte.

Mais en même temps inséparables, car il est tout aussi difficile de comprendre ce que serait une raison pure – un raisonnement sans objet donné – que de comprendre ce que serait une perception pure – une sensation à laquelle ne se mêlerait aucun raisonnement, ni aucune pensée.

L'expérience de l'attention, par exemple, nous montre comment nous ne percevons parfois que ce que nous voulons bien percevoir.

La raison se distingue à la fois de l'intuition et de la sensation par son aspect volontaire, conscient et donc libre. La raison et la sensibilité ayant été clairement reconnues comme deux facultés distinctes, il reste à penser leur liaison, à les articuler entre elles.

Ce qui suppose qu'on découvre ce qu'elles ont de commun, malgré leurs différences et interférences diverses.

On tente de trouver une relation dans l'idée d'une interaction, d'une causalité réciproque, d'abord.

L'idée empirique semble dominer : la raison dériverait des sens, ses erreurs ou sa capacité à découvrir le vrai dépendant d'eux.

Ce qui pose le problème d'une possible autonomie de la raison.

Mais le fait qu'elle puisse se tromper dans les opérations qui lui appartiennent en propre, tels la logique ou le raisonnement en général, tend à confirmer cette autonomie. lain: On soutient communément que c'est le toucher qui nous instruit, et par constatation pure et simple, sans aucune interprétation.

Mais il n'en est rien.

Je ne touche pas ce dé cubique.

Non.

Je touche successivement des arêtes, des pointes, des plans durs et lisses, et réunissant toutes ces apparences en un seul objet, je juge que cet objet est cubique. Exercez-vous sur d'autres exemples, car cette analyse conduit fort loin, et il importe de bien assurer ses premiers pas. Au surplus il est assez clair que je ne puis pas constater comme un fait donné à mes sens que ce dé cubique et dur est en même temps blanc de partout, et marqué de points noirs.

Je ne le vois jamais en même temps de partout, et jamais les faces visibles ne sont colorées de même en même temps, pas plus du reste que je ne les vois égales en même temps.

Mais pourtant c'est un cube que je vois, à faces égales, et toutes également blanches.

Et je vois cette chose même que je touche.

Platon, dans son Théétète, demandait par quel sens je connais l'union des perceptions des différents sens en un seul objet. Revenons à ce dé.

Je reconnais six taches noires sur une des faces.

On ne fera pas difficulté d'admettre que c'est là une opération d'entendement, dont les sens fournissent seulement la matière.

Il est clair que, parcourant ces taches noires, et retenant l'ordre et la place de chacune, je forme enfin, et non sans peine au commencement, l'idée qu'elles sont six, c'est-à-dire deux fois trois, qui font cinq et un. Apercevez-vous la ressemblance entre cette action de compter et cette autre opération par laquelle je reconnais que des apparences successives, pour la main et pour l'oeil, me font connaître un cube ? Par où il apparaîtrait que la perception est déjà une fonction d'entendement [...] et que l'esprit le plus raisonnable y met de lui-même bien plus qu'il ne croit.

[...] Et nous voilà déjà mis en garde contre l'idée naïve dont je parlais. Avez-vous compris l'essentiel ? 1 Quelle idée commune Alain se propose-t-il de combattre ici ? 2 Quel rôle joue l'entendement dans la perception ? 3 Pourquoi l'exemple du dé est-il particulièrement bien choisi ? Réponses: 1 - L'idée que percevoir serait une pure constatation, que la sensation serait neutre. 2 - Il permet de donner une unité, celle d'un objet, à des perceptions disparates.

C'est un rôle de synthèse. 3 - Parce qu'il s'agit d'un objet que l'on ne peut jamais voir entièrement, puisque la face que nous regardons nous cache la face opposée.

Saisir la totalité de l'objet suppose toujours que l'on ajoute quelque chose que l'on ne perçoit pas actuellement à ce que l'on perçoit effectivement, ce qui nécessite la raison. Introduction. »

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