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A-t-on le droit de se contredire ?

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« Introduction : Lorsque l'on formule un jugement, on s'efforce de ne pas faire état de contradictions.

Entendons par là que nous ne souhaitons pas faire une relation entre l'affirmation et la négation d'un même élément de connaissance.

L'effort s'exprime à deux niveaux : ne pas contredire l'opinion commune, et ne pas se contredire.

Mais, dans les deux situations, le rapport à la vérité est différent.

Le jugement, structuré par une dialectique (il n'existe pas d'idée sans son contraire), est enclin à la contradiction, consciemment comme inconsciemment, par erreur ou volontairement.

Face à l'opinion publique, la contradiction place à la marge, elle isole.

Mais dans une logique personnelle, dans le développement d'une seule et même pensée, n'a-t-on pas le droit de se contredire ? Si dans un cadre logique strictement rationnel, la contradiction est un écueil à éviter, autrement formulée la contradiction n'est-elle pas souhaitable ? Se contredire, serait-ce la preuve d'une infinie liberté ? I.

La contradiction, un écueil logique ? - Les philosophes grecs ont structuré leur analyse du monde dialectiquement.

C'est-à-dire, pour reprendre un mot d'ordre sceptique, qu'une idée n'existe pas sans son idée contraire, sans sa négation.

Afin de pouvoir discerner le vrai du faux, on doit appliquer la règle de non-contradiction, c'est-à-dire veiller à ne pas délivrer de jugement contradictoire en affirmant ensemble deux idées contraires, afin que la cohérence et la continuité du raisonnement soient préservées. - La contradiction est effectivement perçue comme une impasse logique, qui infirme l'affirmation ou le jugement.

Schopenhauer, dans son Art d'avoir toujours raison, explique qu'il faut, dans le discours, pousser son adversaire à la contradiction, afin d'invalider sa thèse.

Il faut découvrir dans le discours la contradiction ad rem ou bien ad hominem, « soit qu'elle contredise la nature des choses, soit qu'elle s'oppose aux autres affirmations de l'adversaire lui-même.» - On peut soupçonner ici qu'entre ad rem et ad hominem, la contradiction n'est pas exactement la même.

Car si il semble que nous n'ayons pas le droit de contredire la nature des choses, au risque de paraître fou, se contredire soi-même semble relever d'une appréciation plus souple de la logique.

En effet, dans l'individu, comme dans le monde, se trouvent des contradictions, mais leur existence peut y sembler moins problématique. II.

La règle de non-contradiction a ses exceptions. Freud a écrit, à son propos, qu'il avait rêvé une joie et un soulagement à la mort de son père, alors que dans les faits il en était profondément affecté.

Comment joie et tristesse, qui comme le chaud et le froid doivent s'exclure, sont-elles rassemblées dans un psychisme ? Si inconsciemment des contradictions peuvent coexister, consciemment l'individu sait aussi qu'il existe contre son projet des restrictions, des objections, une manière différente de procéder.

L'individu est l'axe de symétrie des idées contraires, il est la preuve vivante de la contradiction. - Le tour de force de Baudelaire fut de faire de sa poésie une correspondance des contraires, une ode à l'état de contradiction, qui unit dans une même situation amour et haine, beauté et laideur, etc.

Une Charogne en est la parfaite illustration : « Et le ciel regardait la carcasse superbe/Comme une fleur s'épanouir.

/La puanteur était si forte, que sur l'herbe/Vous crûtes vous évanouir.

».

Dans l'homme se rejoignent les contraires, et la contradiction est surmontée, rendue possible dans un ordre supérieur. - Hors de la logique du seul monde humain, où la contradiction est inacceptable, il existe une autre logique, où la contradiction n'est pas une erreur, où elle est réalisable, où elle n'est qu'une étape dans le cheminement d'une pensée.

Il faut voir dans quelle mesure la contradiction est un droit précieux pour l'individu. III.

les contradictions existent dans l'homme, qui les surmonte. - La création du monde, selon La Genèse, fut en réalité une qualification contradictoire des choses : la terre et l'eau, la lumière et les ténèbres, le bien et le mal.

Mais cette capacité de faire tenir côte à côte des contradictions est une prérogative divine, en aucun cas l'homme ne doit tenter de parvenir à ce type de connaissance, sous peine de se voir exclu de l'Eden… - Nicolas de Cues a cherché à démontrer qu'en Dieu, de par sa volonté infinie, coïncident les opposés, qu'il n'y a pas de contradiction en lui.

Sans se prévaloir d'une logique divine, l'homme peut en lui-même réunir des affects contraires, des jugements contradictoires, et dans une logique poétique, esthétique, psychologique, peut surmonter ces contradictions. - En philosophie des sciences, une énigme magnétique illustre cette problématique.

Si l'on coupe un aimant en son milieu, on n'isole pas pour autant un pôle négatif et un positif, on obtient toujours deux éléments avec deux pôles opposés.

Chaque chose est donc double, ambivalente, contradictoire, chaque chose est comme un vase, on peut la prendre par une anse ou par l'autre.

Plus qu'un droit, la contradiction est une donnée originaire, elle est le fondement d'une pensée, elle est nécessaire. Conclusion : Dans l'argumentation et la dispute dialectique, la contradiction est un piège qu'il faut éviter ou pour soi et une opportunité de l'emporter sur son adversaire s'il fait la faute. Mais la règle de non-contradiction ne peut s'appliquer dans l'individu créateur, qui peut réunir des contradictions, et les surmonter. L'homme a le droit de se contredire, car c'est une des qualités de son esprit, celle d'embrasser toutes les idées, de les confronter, et de trouver aux apparentes contradictions une solution supérieure.. »

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