A quoi servent les artistes ?
Extrait du document
«
Le préjugé qui veut que les artiste ne servent à rien, qui considère que les artistes sont comme en dehors de la
société, n'y participent pas, est courant.
Ce préjugé a, malgré sa simplicité presque grossière, un intérêt dans ce
qu'il a de critiquable mais également dans ce qu'il exprime de vrai.
Mais pour analyser cela, il nous faut d'abord partir du sens du verbe servir sur lequel repose la question posée.
Considérer une réalité sous l'angle du servir, c'est voir sa fin non en elle-même mais dans une autre réalité qu'elle
permet de réaliser.
Ainsi, la stratégie militaire sert à faire la guerre.
Si l'artiste sert à quelque chose, c'est que ce
qu'il fait, à avoir des oeuvres d'art, vaut comme moyen d'une autre chose.
C'est parce que ce que fait l'artiste a
une utilité, comme le moyen d'autre chose, que ce dernier peut avoir une fonction au sein de la société.
C'est cet
« autre chose » que l'art qui donne son sens à l'art que le sujet semble nous inviter a penser.
Traditionnellement,
c'est le terme de représentation qui a permis de désigner le but du travail de l'artiste.
Une sculpture, une peinture,
une tragédie proposent une représentation d'une réalité.
Mais cette représentation n'a pas simplement pour but
d'imiter le réel, elle le synthétise, elle en retient une interprétation, Ainsi, la tragédie donne une représentation de
l'existence humaine face à la nécessité du destin à travers la mise en scène de personnages nobles qui attirent
notre compassion.
Cette synthèse interprétative a pour but de rendre visible aux spectateurs une dimension de la
réalité dont ils n'étaient pas conscients.
L'artiste a donc un pouvoir au sein d'une société.
Ce pouvoir, dans
l'exemple de la tragédie, est moral puisque le spectacle touche ici a l'édification des ceux qui y assistent.
Mais ce
pouvoir peut aussi être moral ou politique.
Sous cet angle de vue, l'artiste sert bien à quelque chose, à savoir qu'il a
pour fonction de rendre sensible aux hommes certaines dimensions de la réalité, prise de conscience qui peut
modifier le comportement de ces derniers.
Mais cette conception de l'utilité de l'artiste pose de nombreux problèmes.
Tout d'abord, ce schéma de la
représentation semble difficilement applicable à des arts comme la musique ou la danse qui ne repésentent pas de
réalités extérieures.
De plus, il est facile de voir en quoi l'utilité de l'artiste peut être dangereuse, ce dernier ayant
un pouvoir sur les comportements des membres d'une société.
L'utilisation de l'art et la manipulation des artistes au
sein des régimes totalitaires est en ceci exemplaire.
Si cette remarque ne suffit pas à elle seule à disqualifier la
conception évoquée ci-dessus, elle permet néanmoins d'appréhender le problème central que pose la représentation,
à savoir celui, justement, de l'utilité.
Car si comme nous l'avons vu, l'artiste sert une réalité à laquelle son oeuvre
renvoie, c'est l'art en lui-même que l'on risque de vider de son sens particulier.
En effet, si la technique désigne bien
une activité qui ne trouve sa justification et sa signification hors d'elle-même, dès lors en quoi l'art se différencierait
t'il de cette dernière? Ne faut-il pas chercher l'essence du travail de l'artiste au sein même de son oeuvre ? Il est
effectivement possible de considérer que le propre de l'art est de livrer aux regards ou à l'écoute une oeuvre qui
vaut pour elle-même et ne rentre pas dans un système d'utilité.
Ce qui constituerait la fin interne de cette oeuvre
serait sa beauté, à savoir la cohérence interne qui est la sienne et qui, si elle reste de l'ordre du sensible, touche à
l'universalité dans le jugement esthétique.
La tâche de l'artiste serait dès lors de faire oeuvre de beauté.
Notons
que cette conception du travail artistique a le mérite de donner à penser des arts comme la musique ou la danse qui
manifestent bien ce souci d' « harmonie », de cohérence interne, sans référence à un extérieur qu'il s'agirait de
représenter et auquel l'art serait comme redevable.
Cependant, si nous suivons cette conception, l'artiste ne sert plus à rien dans la mesure où son activité trouve sa
fin en elle-même.
L'activité de l'artiste apparaît dès lors comme spécifique puisqu'elle sort du système de l'utilité et,
seule, se constitue dans sa gratuité.
Si l'artiste sert à quelque chose, ce n'est pas à autre chose qu'à l'art lui-même
dans sa vocation à présenter le beau comme manifestation gratuite.
Les Parnassiens, en prenant pour devise
l'expression « l'art pour l'art » font leur cette conception.
L'artiste apparaît dès lors dans une position marginale au
sein d'une société fondée sur l'utilitaire, voire, de nos jours, sur l'utilitarisme (où la consommation ne sert qu'à
pousser à consommer plus, à utiliser plus, sans fin.)
Mais un nouveau problème est posé par cette idée de gratuité du travail artistique.
En effet, quels seront les
critères du beau si ce dernier ne vise que lui-même ? Le problème qu'il y a à faire de cette réalité gratuite l'essence
et la fin en soi de l'oeuvre d'art est de risquer de vider la beauté de son sens même en la privant de critères.
Il
s'agit donc de se demander si nous ne sommes pas allés trop loin en refusant de considérer le travail de l'artiste
comme le moyen d'autre chose.
Dès lors, une question plus profonde se pose : servir à, est-ce nécesairement
s'asservir à, faire sens, est-ce forcément rentrer dans le schéma de l'utile ? Enfin, considérer le travail artistique
comme le moyen d'autre chose est-ce forcément manquer ce qui fait sa particularité et son essence ? Ne peut-on
pas en effet penser que si l'artiste n'est pas utile au sens où il propose des oeuvres qui sortent du fonctionnement
souvent aveugle de l'utilité, il sert néanmoins homme en rendant visible des dimensions de son existence auxquelles
il reste parfois sourd.
Si l'artiste a bien des contraintes, il exprime cependant la dimension de liberté présente dans
la création, le surgissement d'un sens original.
En cela, l'artiste sert non par la représentation du réel mais par
l'évocation, voire l'invocation (en grec, kalos, le beau, vient du verbe kalein, appeler), incarnation de ce qui reste en
l'homme, irréductible à l'ordre de l'utile.
Dès lors, l'art trouverait son sens dans ce travail de l'artiste qui fait oeuvre
de liberté.
1)
L'artiste au service de la représentation
a.
L'artiste a pour fonction non pas simplement d'imiter mais de représenter le réel.
« Quelle vanité que la peinture, qui attire l'admiration par la ressemblance des choses dont on n'admire point les
originaux ! » Pascal, Pensées.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- A quoi servent les artistes ?
- Sujet n°1: des artistes pourquoi faire ?
- Essai littéraire: Pourquoi les artistes cherchent-ils à dévoiler ce qui est caché en nous ?
- Les aspects comiques du théâtre ne servent-ils qu'à faire rire ?
- A l'aide d'exemples tirés de votre expérience de lecteur, de spectateur, d'auditeur, commentez cette opinion d'Alexandre Soljenitsyne : « Les artistes peuvent surmonter la faiblesse caractéristique de l'homme qui n'apprend que de sa propre expérience tan