A quelles conditions l'évidence n'est-elle pas un préjugé ?
Extrait du document
«
Introduction
On dit qu'il faut «se rendre à l'évidence », qu'on n'est pas raisonnable si on «nie l'évidence».
Mais l'évidence est
parfois mise en question : il était, par exemple, évident que le Soleil tournait autour de la Terre.
L'évidence ne
risque-t-elle donc pas de nous faire prendre pour des vérités de simples opinions préconçues? Il faut donc se
demander à quelles conditions l'évidence n'est pas un préjugé.
Les ambiguïtés de l'évidence
L'évidence comme préjugé
La question donne à penser, par sa formulation, que l'évidence est souvent préjugé.
Un préjugé, au sens ordinaire,
est un jugement (une opinion, une idée) qu'on tient pour vrai avant d'avoir réfléchi pour savoir s'il est ou non
justifié.
Dans la mesure où le préjugé n'est pas nommé comme tel par celui qui le soutient (ce serait reconnaître
qu'on n'a pas réfléchi, donc n'être plus tout à fait sur le plan du préjugé), l'idée de préjugé enveloppe l'idée d'une
certaine évidence qui s'impose au sujet.
Soit, par exemple, le préjugé ethnocentriste : celui qui appartient à une
société tend à juger les autres sociétés selon les valeurs de sa propre société, sans être d'abord conscient de la
relativité de celles-ci.
On peut dire que les valeurs de notre culture sont plus «évidentes» pour nous, que celles des
autres cultures.
C'est d'ailleurs dans un même mouvement que préjugé et sentiment d'évidence sont ébranlés parla
réflexion.
Mais l'évidence est-elle réductible au préjugé ?
L'évidence ambiguë
Le mot évidence contient d'abord l'idée d'une soumission de l'esprit, qui ne pourrait éviter de donner son accord, en
présence d'un fait ou d'une idée.
On voit qu'on risque alors de tenir pour vrai ce qui ne l'est pas, d'être victime du
préjugé, et on comprend que Bachelard puisse écrire: «Toute vérité nouvelle naît malgré l'évidence» (Le Nouvel
Esprit scientifique, PUF, p.
7).
Mais Bachelard oppose ailleurs «l'adhésion immédiate à un objet concret», attitude
préscientifique, à «l'évidence rationnelle» (La Formation de l'Esprit scientifique, Vrin, p.
240).
Il y a donc évidence et
évidence.
Il faut approfondir l'analyse.
L'évidence, critère du vrai
Précipitation et prévention
Elles constituent, selon Descartes, les deux sources principales de nos erreurs.
Il y a précipitation lorsque l'esprit
tient une idée pour vraie avant l'examen qui permettrait de fonder cette décision : il se laisse emporter par ce qu'on
pourrait nommer des évidences immédiates non critiquées.
La prévention est, plus directement encore, le préjugé :
l'esprit pose comme vraie une opinion qu'il a simplement reçue de son éducation, de la coutume ou de ses passions.
La véritable évidence est tout autre.
L'évidence philosophique
Descartes propose une règle permettant d'éviter le préjugé et par conséquent
d'atteindre le vrai: «Ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la
connusse évidemment être telle: c'est-à-dire d'éviter soigneusement la
précipitation et la prévention et de ne comprendre rien de plus en mes
jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon
esprit que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute» (Discours de la
Méthode, II).
Cette règle, dite « de l'évidence», ne signifie pas du tout que
toute évidence et vraie, mais que le vrai s'impose à la conscience sous la
forme d'une certaine évidence.
Pour Descartes, connaître c'est voir (évidence
vient du latin videre, voir) ; l'esprit, en présence de l'objet, est passif en
dernière analyse, et comme illuminé par lui.
La vision ou intuition intellectuelle,
toutefois, n'a ce caractère d'évidence qu'à la condition que l'esprit soit
attentif à l'objet, qu'il soit vraiment en présence immédiate de lui.
Là se
trouve la difficulté, si elle est surmontée, l'esprit ne peut pas ne pas
reconnaître ce qui est vrai.
Notons que la règle est négative : « ne recevoir
jamais aucune chose pour vraie, que...
».
Il s'agit précisément de rejeter les
évidences superficielles.
D'où le doute, à travers lequel Descartes découvre
l'évidence philosophique.
On peut douter, si on le juge nécessaire (doute
philosophique, non doute ordinaire) :
– des évidences sensibles (informations qui viennent des sens, du corps, et
que, d'ordinaire, nous tenons raisonnablement pour vraies immédiatement).
Leur caractère évident ne résiste cependant pas à un doute qui cherche une
évidence absolue : rien ne m'assure que je ne rêve pas...
– des évidences rationnelles elles-mêmes, telles que les vérités mathématiques, si on imagine, comme on le peut, un
«malin génie, non moins rusé et trompeur que puissant» qui emploie «toute son industrie à [(nous) tromper]».
»
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