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A quel crime son châtiment ?

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« A chaque crime... Le châtiment est un instrument destiné à « aider » la mémoire collective : ce que grave dans la chair du supplicié le bourreau, c'est toujours le texte de la loi, parfois non écrite, qui a été transgressé.

Le châtiment ressemble ainsi toujours à celui qu'imagine F.

Kafka dans la nouvelle La colonie pénitencière : une machine à écrire inscrit sur le corps du condamné l'article du code qui n'a pas été respecté.

De fait, on comprend pourquoi M.

Foucault ouvre Surveiller et punir sur le récit détaillé du supplice réservé à Damien, après l'attentat manqué contre la personne du roi Louis XV : mutilations, brûlures, démembrement...

rien du terrible déroulement de l'exécution n'est épargné au lecteur.

L'horreur codifiée du châtiment est à la démesure du crime — le régicide.

Foucault, fidèle lecteur de Nietzsche, n'a pas oublié La généalogie de la morale, ouvrage dans lequel le philosophe allemand identifie la douleur comme principe efficace de mémorisation. ...

suffit sa peine. Mais ce que ces châtiments exemplaires apprennent aussi au peuple, ce sont les trois impératifs qui règlent toute législation pénale. Pour être efficace le châtiment doit être légal, utile et proportionnel. Il faut attendre cependant 1764 et le marquis de Beccaria pour que ces trois idées fondamentales fassent l'objet d'une analyse et soient diffusées dans un court essai intitulé en français Traité des délits et des peines.

Beccaria y rappelle la nécessité de la légalité des peines : « Seules les lois peuvent fixer les peines qui correspondent aux délits et ce pouvoir ne peut être détenu que par le législateur, qui représente toute la société réunie par le contrat social.

» Et comme l'écrit Beccaria à la même époque dans son célèbre ouvrage Des délits et des peines, «si un châtiment égal frappe deux délits qui portent à la société un préjudice inégal, rien n'empêchera les hommes de commettre le délit le plus grave des deux» (chap. VI).

Donc le châtiment prononcé par la justice doit être en harmonie avec la gravité du crime, qui' consiste dans le dommage causé à la société.

Couper la main à celui qui est jugé pour vol, à cet égard, paraît tout à fait disproportionné. En outre, l'équivalence entre le crime et la peine va contre l'égalité stricte qui n'est pas nécessairement juste.

En ce sens on ne peut en rester à la loi du talion, car ce serait une justice bien cruelle et même injuste que celle qui suivrait à la lettre ce commandement.

La justice en vient donc à remplacer la peine comme souffrance par une peine comme amende.

Il y a là un progrès indéniable dans la conception du châtiment. Et Lévinas, pour sa part, n'hésite pas à interpréter ainsi la loi du talion, à laquelle il fait dire que «dent pour dent est une peine d'argent, une amende ».

Quoi qu'il en soit de cette lecture, la justice se substitue à la vengeance, car elle établit qu'une peine ne doit pas être nécessairement ce qui fait souffrir. On peut payer sa dette autrement que par la souffrance nue.

L'esprit de vengeance participe de l'esprit de violence.

La vengeance exige le plus souvent son tribut de sang et de férocité, là où la justice admet qu'il y ait des peines douces. Et même, souligne Beccaria, «un des moyens les plus sûrs de réprimer les délits, ce n'est pas la rigueur des châtiments, mais leur caractère infaillible» (chap.

XXVII).

Ceci explique que Beccaria et bien d'autres écrivent contre la torture, qui relève selon eux d'un autre âge.

Y compris parmi les partisans de la peine de mort, on plaide pour une exécution indolore.

La guillotine est l'instrument idéal, pour les révolutionnaires, d'une justice purifiée de toute cruauté inutile et inhumaine.

Chez les philosophes et les juristes de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, on assiste à une même protestation contre les supplices.

Il s'agit bien dès lors de punir, non de se venger, comme cela avait pu être le cas dans l'Ancien Régime.

Lorsque la peine prend la forme du supplice ou de la torture, lorsqu'elle est érigée en spectacle, nous ne sommes pas loin d'une justice vengeresse, effet de l'arbitraire du prince. C'est évidemment récuser la lettre de cachet qui procède du seul « bon plaisir ».

En outre le législateur ne saurait prescrire que des peines utiles à la société.

Le châtiment n'est pas une fin en lui-même.

De même qu'on ne peut l'appliquer à la répression des fautes qui ne mettent pas en cause l'ordre public.

Ainsi tous les délits religieux (hérésie, profanation, etc.) ne sont-ils pas susceptibles d'être « châtiés », du moins « ici-bas », évidemment.

Enfin Beccaria formule le principe de la proportionnalité des peines : « Les obstacles qui détournent les hommes de commettre des délits doivent être d'autant plus forts qu'ils sont contraires au bien public. Il doit donc y avoir une proportion entre les délits et les peines.

» « On ne peut déterminer rationnellement [...] si, pour être conforme à la justice, il faut, pour un délit, infliger [...] une peine de prison de un an ou de trois cent soixante-quatre jours ou encore de un an et un, deux ou trois jours.

Pourtant, [...] une semaine ou un jour de prison en trop ou en moins sont déjà une injustice.

» Hegel, Principes de la philosophie du droit, 1821. « Vous avez entendu qu'il a été dit : oeil pour oeil, et dent pour dent.

Et moi je vous dis de ne pas résister à celui qui vous fait du mal.

Au contraire, si quelqu'un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l'autre.

» Nouveau Testament, Evangile selon Matthieu. « Le châtiment a pour but de rendre meilleur celui qui châtie.

» Nietzsche, Le Gai Savoir, 1883. « Si peine et récompense disparaissaient, du même coup disparaîtraient les motifs les plus puissants qui détournent de certaines actions et poussent à certaines autres; l'intérêt de l'humanité en exige la perpétuation.

» Nietzsche, Humain, trop humain, 1878. « Le bagne, les travaux forcés ne relèvent pas le criminel; ils le punissent tout bonnement et garantissent la société contre les attentats qu'il pourrait encore commettre.

» Dostoïevski, Souvenirs de la maison des morts, 1862.. »

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