Aide en Philo

Que pensez vous de cette condamnation portée par Marcel Aymé contre le romantisme et mise dans la bouche de M. Lepage, bourgeois imaginaire, d'opinion classique et réactionnaire : « La grande habileté du romantisme, qui est aussi son crime et son abjecti

Extrait du document

Le romantisme est accusé par beaucoup d'être un art trop sensible, trop affectif, un art des nerfs et de la faiblesse. Cette vision banale, un peu scolaire, M. Aymé la renouvelle en soutenant que ce qui est particulièrement grave dans le romantisme, ce n'est pas de peindre la faiblesse de l'homme, mais de la flatter, de la solliciter : « Son crime et son abjection, fait-il dire au bourgeois de son Confort intellectuel, a été de solliciter les régions mineures de l'humanité, de flatter les faibles dans leurs faiblesses. » Sans doute les classiques n'ont-ils pas toujours peint des actes raisonnables et volontaires, mais du moins n'ont-ils pas de complaisance pour la faiblesse, du moins ne se contentent-ils pas d'effets faciles, tirés de la sensiblerie, du système nerveux; au contraire, « la nouvelle école se tournait aux femmes, aux adolescents et visait leur sensiblerie, leur système nerveux ». Qu'il y ait eu au cours du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle un changement profond dans le niveau humain auquel s'adressait l'art, voilà qui est incontestable. Mais la phrase de M. Aymé ne résiste pas à un examen historique des conditions de l'avènement du romantisme, qui, dans son développement, allait se détourner de plus en plus de la sensiblerie et du système nerveux.

« Que pensez vous de cette condamnation portée par Marcel Aymé contre le romantisme et mise dans la bouche de M.

Lepage, bourgeois imaginaire, d'opinion classique et réactionnaire : « La grande habileté du romantisme, qui est aussi son crime et son abjection, a été de solliciter les régions mineures de l'humanité, de flatter les faibles dans leurs faiblesses.

Alors que les classiques s'adressaient à l'homme, à sa raison, à sa conscience virile, la nouvelle école se tournait aux femmes, aux adolescents et visait leur sensiblerie, leur système nerveux.

» (Le Confort intellectuel, 1949.) Introduction Le romantisme est accusé par beaucoup d'être un art trop sensible, trop affectif, un art des nerfs et de la faiblesse. Cette vision banale, un peu scolaire, M.

Aymé la renouvelle en soutenant que ce qui est particulièrement grave dans le romantisme, ce n'est pas de peindre la faiblesse de l'homme, mais de la flatter, de la solliciter : « Son crime et son abjection, fait-il dire au bourgeois de son Confort intellectuel, a été de solliciter les régions mineures de l'humanité, de flatter les faibles dans leurs faiblesses.

» Sans doute les classiques n'ont-ils pas toujours peint des actes raisonnables et volontaires, mais du moins n'ont-ils pas de complaisance pour la faiblesse, du moins ne se contentent-ils pas d'effets faciles, tirés de la sensiblerie, du système nerveux; au contraire, « la nouvelle école se tournait aux femmes, aux adolescents et visait leur sensiblerie, leur système nerveux ».

Qu'il y ait eu au cours du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle un changement profond dans le niveau humain auquel s'adressait l'art, voilà qui est incontestable.

Mais la phrase de M.

Aymé ne résiste pas à un examen historique des conditions de l'avènement du romantisme, qui, dans son développement, allait se détourner de plus en plus de la sensiblerie et du système nerveux. I Les régions mineures de l'humanité Modification évidente au cours du XVIIIe siècle (préromantisme) des visées essentielles de la littérature : en France, en Angleterre, en Allemagne, on note une évolution vers une sensibilité qui devient sentimentalisme, puis mélancolie, religiosité, goût du mystère et du surnaturel et aboutit au désespoir (G.

Michaud et Ph.

Van Tieghem dans leur volume sur Le Romantisme, Classiques France, Hachette, p.

6-11, discernent une transformation dont la loi est analogue dans les trois pays cités).

Le premier romantisme, celui de La Muse française et de l'Arsenal, se signale par son goût d'une sensibilité rêveuse et vaporeuse, chère à la jeunesse et aux lectrices des années 1820-1825.

Peuton pour autant donner raison à M.

Aymé? En fait, sentiment, sensibilité, passion ont toujours été le domaine de choix de la littérature.

Ce qu'il faut remarquer surtout, c'est que cette sensibilité entend être non seulement la matière de la littérature, mais encore son esprit général, sa manière. 1 La sensibilité (et surtout la sensibilité mélancolique et désespérée) va donner le ton aux œuvres.

Le romantisme ne se contente pas tout d'abord de présenter des héros mélancoliques ou désespérés : il lui faut encore des personnages supérieurs et exaltés par cette mélancolie ou ce désespoir; il est dominé par un climat de chute, d'affaissement, par des impressions de soir, de crépuscule, d'automne, de ruines ; la plupart des déclarations de cette époque sont un regret d'être « venu trop tard dans un monde trop vieux » (Musset, Rolla, v.

55).

Les romantiques vivent dans la conviction que les circonstances leur manquent et qu'ils valent mieux que leur destinée. Dans cet affaissement général, ils laissent l'initiative à leur « sensiblerie », à leur « système nerveux », ils se cèdent à eux-mêmes, mais, ce qui est très grave, avec orgueil, avec la conscience d'une mystérieuse supériorité au fond de leur désolation.

Ainsi le « crime et l'abjection », comme dit M.

Aymé, c'est de s'enorgueillir de ces « régions mineures » : un René, un Hernani, un Chatterton, commandés par leurs nerfs et leur sensibilité (ce qui est aussi le cas de bien des héros classiques, Hermione, Oreste, Agamemnon, Phèdre, etc.), voient en cette démission de la raison une supériorité (ce qui est proprement romantique). 2 La sensibilité va devenir le grand moyen de création littéraire.

Érigeant la sensibilité en faculté motrice de l'homme, le romantique va donc logiquement lui assigner une place de choix dans la création.

Là encore la même distinction s'impose : tous les écrivains, même les classiques, font de la sensibilité un élément essentiel de leur inspiration, mais ce qui est romantique, c'est de lui confier la direction de l'œuvre littéraire.

Dès lors elle est par elle-même créatrice: faculté supérieure, elle est, le génie : « Ah! frappe-toi le cœur, s'écrie Musset, c'est là qu'est le génie! », A mon ami Edouard B., 1832 (ce à quoi le classique répondrait que pour émouvoir il faut évidemment être ému soi-même, mais que cette émotion n'est pas en elle-même créatrice : sans doute « le cœur seul est poète », comme dit Chénier, mais faut-il encore que l'art fasse les vers).

Toutes les déclarations des romantiques convergent pour nier le rôle créateur de la raison, des techniques, des conventions.

« J'ai donné à ce qu'on nommait la Muse, au lieu d'une lyre à sept cordes de convention, les fibres mêmes du cœur de l'homme » (Lamartine.

Préface des Méditations, 1849); cela signifie que les romantiques suppriment l'invention rationnelle qu'est la « lyre » pour faire du cœur, objet de la poésie, son moyen même, son instrument : l'artiste est seul avec son cœur, matière de son art, mais aussi source créatrice de celui-ci. 3 Sensibilité et système nerveux.

Le danger, c'est que, vu l'impossibilité où est un art de se passer absolument de technique, la sensibilité, dans son travail créateur, va chercher ses moyens au niveau le moins rationnel, au niveau des nerfs.

Ainsi se créent le genre frénétique, le roman noir, le conte fantastique (Nodier écrivait: «Il faut réveiller la superstition de l'enfance ») et surtout le mélodrame.

De même que la sensibilité organise la création, c'est encore elle qui va bientôt, chez le lecteur ou le spectateur, présider à la compréhension des effets : le mélodrame. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles