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A l'artiste, tout est il permis?

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« Un artiste est un individu qui pratique cette activité singulière qu'est l'art.

Jusqu'au dix-huitième siècle, le terme « art » désignait l'ensemble des techniques de production d'artefacts : tel était encore le cas dans le Discours sur les sciences et les arts (1750) de Jean-Jacques Rousseau.

Aujourd'hui, par art nous entendons plutôt une activité créatrice gratuite, mais sérieuse, qui représente dans des œuvres un état de la sensibilité et de la pensée d'une époque, en s'opposant à la fois à la disgrâce qui frappe les activités techniques utilitaires, jugées serviles, et à la futilité des activités ludiques vouées au divertissement.

Ni labeur, ni distraction, l'œuvre d'art incarne et suggère un sentiment de la vie. Avant de chercher à proposer une réflexion sur cette question, nous devons d'abord prendre garde à sa considérable extension.

En effet, si nous nous demandons si « à l'artiste tout est permis ? » ce « tout » englobe une extrême pluralité de questions : parlons-nous de permissions uniquement dans le domaine artistique ? Ou bien dans le domaine de l'action dans le monde, ce qui nous inviterait à questionner la singularité du personnage social qu'est l'artiste, à nous demander s'il détient des permissions d'actions et de pensées inconnues aux autres hommes ? Nous prendrons le parti de limiter notre réflexion à ce qui fait la spécificité de l'être sur lequel nous avons à réfléchir, c'est-à-dire, nous nous bornerons à explorer les permissions qu'il détient dans la pratique de son art. Le concept de permission désigne une autorisation donnée par une autorité, officielle ou morale, d'agir d'une certaine manière et de poursuivre certains buts.

A première vue, notre concept contemporain d'artiste semble entièrement étranger à cette dimension d'autorisation, dans la mesure où l'artiste incarne généralement à nos yeux le détenteur d'une liberté radicale qui ne reconnaît pour seule autorité que la sienne.

Néanmoins, cette conception n'est-elle pas historiquement datée, et des règles de l'art n'ont-elles pas été édictées pour légiférer sur le permis et l'interdit en art ? Nous nous demanderons donc si la liberté de l'artiste est irréductible à toute permission et toute interdiction, ou si, en dépit de cet affranchissement prétendu relativement à l'autorité officielle et morale, il ne demeure pas des règles définissant un domaine limité de permissions artistiques ? I. L'activité artistique, subordonnée à des règles dirigeant la création ? a.

La pratique artistique s'inscrit dans des cadres formels prédéfinis Si nous réfléchissons à ce que signifie créer pour un artiste, cela revient à s'inscrire dans un cadre formel prédéfini. Un artiste va écrire un roman, une tragédie, une comédie ; il va peindre un nu, une nature morte, un paysage ; composer une sonate, une symphonie… Toute production artistique s'inscrit dans un espace formel déjà illustré par le passé, déjà pourvu d'exemples fameux et de références….

Certes, la possibilité de l'innovation et du renouvellement existe bel et bien, mais comme hybridation des possibles préexistants : un écrivain va par exemple renouveler le roman, en introduisant dans son écriture une dimension théâtrale… Il semble donc qu'à l'artiste tout n'est pas permis, car il n'intervient pas dans un univers vierge : toute son activité est orientée non seulement par les œuvres antérieures à la sienne, par ce que l'on nomme en termes techniques « l'horizon d'attente » (c'est-à-dire ce que l'expérience de l'art a permis de juger prévisible) mais également par les règles légiférant sur les genres investis par l'artiste.

Ecrire une tragédie, par exemple, impose de respecter des règles précises légiférant ce type de production artistique. b.

La pratique artistique est surveillée par les pairs Nous développerons ce dernier point en montrant que pratiquer un genre revient nécessairement à respecter les règles qui le déterminent.

Par exemple, toute la littérature de l'âge classique a révéré l'héritage d'Aristote et d'Horace, qui avaient édicté des règles définissant une pratique adéquate du théâtre relativement à l'effet qu'il lui appartient de produire.

A l'artiste tout n'est pas permis, puisque son activité doit prendre en compte des nécessités extérieures à son art lui-même, mais aussi parce qu'il est soumis à la surveillance de ses pairs, de ceux qui incarnent aux yeux du champ littéraire une autorité morale qui peut également être une autorité officielle (pensons au rôle déterminant de l'Académie Française, fondée par Richelieu).

Par exemple, Corneille a subi les foudres de l'Académie parce que le Cid ne satisfaisait pas à l'exigence des trois unités, ce qui prouve qu'à l'artiste tout n'est pas permis, parce qu'il se meut parmi des interdictions dont la transgression même est une limitation de sa liberté (transgresser une loi implique la reconnaissance de son caractère impératif). II. A l'artiste tout est permis, car il crée simultanément un artefact et sa règle de production a.

La création de l'artefact et de sa règle Néanmoins, tous les exemples que nous venons de prendre appartiennent significativement à l'âge classique, c'està-dire à une période de l'histoire de l'art où l'affranchissement de l'artiste par rapport à toute forme de règle était proprement impensable.

Notre pensée contemporaine de l'art est tributaire de la réflexion menée au tournant des Lumières, notamment par Kant dans la Critique de la faculté de juger.

Pour simplifier à l'extrême sa pensée, nous dirons que Kant démontre que l'activité artistique est fondamentalement distincte de l'artisanat, parce qu'elle est une activité qui produit à la fois la règle de production et l'artefact.

A l'inverse, l'artisanat est cette activité de. »

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