Etude d'ensemble sur le sens du roman La Peau de chagrin
Publié le 30/11/2023
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«
Le sens du roman
La succession des éditions montre une évolution dans la conception du roman :
La première, en août 1831, divisée en cinquante-deux chapitres, introduit un soustitre significatif : « Roman philosophique ».
La troisième, revue et corrigée en mars 1833, comporte un ajout intéressant par son
écriture, empreinte de poésie, la description du lac du Bourget.
La quatrième, en décembre 1834, est classée dans les "Études philosophiques" : les
chapitres y sont supprimés, remplacés par les trois parties et intervient le bref «
Épilogue ».
Une édition illustrée, la première, paraît en 25 fascicules entre décembre 1837 et
juillet 1838.
Elle comporte 124 illustrations et une majuscule est attribuée pour la
première fois au titre, « La Peau de chagrin ».
Enfin, après une édition en mai 1839, qui ne revoit que la ponctuation, la dernière
édition, revue par Balzac en 1845, dite édition Furne, place le roman en tête des
"Études philosophiques", confirmant ainsi le sens que souhaite lui donner le
romancier.
Mais, parallèlement, est ajoutée la dernière phrase de l’« Épilogue » sur
Fœdora, « c’est, si vous voulez, la Société.
» De plus, en nommant, lors du banquet
notamment, les personnages jusqu’alors restés anonymes, ou en attribuant aux
personnes réelles des noms fictifs (Lamartine devint Nathan, Hugo est Canalis…),
Balzac souligne sa volonté de construire une vaste fresque, "La Comédie
humaine", en proposant un « tableau de la Société, moulée, pour ainsi dire, sur le vif
avec tout son bien et tout son mal ».
Ces modifications et infléchissements nous invitent à attribuer au roman une double
dimension, comme pour mieux répondre à la question posée par Balzac dans son « AvantPropos » à "La Comédie humaine", et qu’illustre la couverture de l’édition de 1838 : « Mais
comment rendre intéressant le drame à trois ou quatre mille personnages que présente une
Société ? comment plaire à la fois au poëte, au philosophe et aux masses qui veulent la poésie
et la philosophie sous de saisissantes images ? » La réponse en est l’articulation de deux
choix d’écriture, le réalisme et le fantastique, sources des « saisissantes images »
pour développer ce qui relève de la « philosophie ».
Le réalisme : une image de "la comédie humaine"
Une vaste fresque
Dès 1834, Balzac a l’idée d’organiser son œuvre, de la construire pour donner une
image complète de la société : « La Société française allait être l’historien, je ne devais
être que le secrétaire.
», écrit-il dans son "Avant-Propos", en 1842.
Une telle œuvre – restée
inachevée en raison de sa mort, mais plus de 90 ouvrages la composent – exige une
construction rigoureuse, que Balzac compare, dans une lettre de janvier 1845, à
l’architecture d’une cathédrale : « Vous ne vous figurez pas ce que c’est que la Comédie
humaine : c’est plus vaste littérairement que la cathédrale de Bourges architecturalement.
»
Le plan répond aux trois objectifs qu’il pose : « embrasse[r] à la fois l’histoire et la critique
de la Société, l’analyse de ses maux et la discussion de ses principes.
L’autre originalité de Balzac est d’avoir créé un véritable univers personnel, en faisant
revenir certains personnages d’un roman à l’autre, parfois en tant que protagoniste,
comme Rastignac qui finit sa vie dans La Peau de chagrin dont Le Père Goriot raconte les
débuts et l’apprentissage de la vie parisienne, ou seulement en tant que simple figurant,
comme le banquier Taillefer, dont la fille se retrouve aussi dans Le Père Goriot, comme le
docteur Bianchon qui joue un rôle plus important lors du banquet ou en tant que médecin de
Raphaël, ou encore Bixiou, le caricaturiste, déjà présent dans des récits antérieurs.
Une représentation de la société : une "étude de mœurs"
La Peau de chagrin s’insère dans les "Études philosophiques", qui se veulent explicatives,
car, explique Balzac, « après les effets viendront les causes.
» Il s’agit donc de poser les
principes qui guident les êtres dans leurs choix de vie.
Cependant, encore faut-il
représenter, avec le plus d’exactitude précise, la société de la Restauration.
Cette
représentation aurait, finalement, pu s’inscrire aussi bien dans les "Études de mœurs", dont il
mêle deux aspects : les « Scènes de la vie privée » et les « Scènes de la vie
parisienne ».
La province, elle, est réduite à quelques rapides images dans la dernière
partie, quand Raphaël se rend dans les stations thermales d’Aix-les-Bains et du Mont-Dor, se
réfugie dans une humble chaumière, puis traverse le bourbonnais avant son retour à Paris.
Si nous nous reportons à la volonté de Balzac de reproduire « tous les effets sociaux
sans que ni une situation de la vie, ni une physionomie, ni un caractère d'homme ou de
femme, ni une manière de vivre, ni une profession, ni une zone sociale, ni un pays français, ni
quoi que ce soit de l'enfance, de la vieillesse, de l'âge mûr, de la politique, de la justice, de la
guerre, ait été oublié », nous mesurons à quel point La Peau de chagrin y fait écho dans
plusieurs passages du récit.
Le banquet, qui mêle des artistes, des hommes de finance, des journalistes, où se
croisent les plus jeunes et ceux qui ont connu la Révolution et l’Empire, et, à leur côté, les
courtisanes d’origines diverses, permet à Balzac de dérouler un vaste panorama social, en
mettant en évidence le matérialisme triomphant.
L’échange des conversations,
parfois dans une totale cacophonie, entrechoque autant d’idées politiques, économiques,
juridiques, artistiques…, révélatrices des conflits idéologiques de cette époque.
Le récit met aussi en évidence les lieux du luxe parisien, tout particulièrement les
hôtels particuliers, celui du banquier Taillefer comme celui de Raphaël dans la troisième
partie, mais aussi les salons mondains, tel celui de Fœdora , et les salles de théâtre, où les
spectateurs se donnent eux-mêmes en spectacle.
Balzac s’emploie à souligner le contraste
entre ces lieux, où domine la richesse, et ceux de la misère, dont la mansarde de
Raphaël donne l’exemple.
Enfin, Balzac fait pénétrer son lecteur dans l’intimité de la vie privée, là encore en
jouant sur le contraste entre la « chambre à coucher » et le « lit voluptueux » de Fœdora, et le
modeste salon de la pension Gaudin :
[…] mais alors j’admirai dans sa réalité le plus délicieux tableau de cette nature modeste si
naïvement reproduite par les peintres flamands.
La mère, assise au coin d’un foyer à demi
éteint, tricotait des bas, et laissait errer sur ses lèvres un bon sourire.
Pauline coloriait des
écrans : ses couleurs, ses pinceaux, étalés sur une petite table, parlaient aux yeux par de
piquants effets ; mais, ayant quitté sa place et se tenant debout pour allumer ma lampe, sa
blanche figure en recevait toute la lumière.
[…] La nuit et le silence prêtaient leur charme à
cette laborieuse veillée, à ce paisible intérieur.
Une peinture réaliste
Descriptions et portraits
Cette volonté de peindre la société avec le plus d’exactitude possible explique la place
prise par les portraits et les descriptions dans le roman, puisque Balzac considère, comme les
scientifiques, tels Buffon, Cuvier ou Lavater, que l’homme est le produit de son milieu.
Chaque description, depuis le magasin de l’antiquaire jusqu’aux salons mondains, à la fois
explique et révèle la personnalité de celui qui y vit.
Ainsi, la description du logement de
Fœdora complète le rapide portrait qui la précède :
Je fus surpris à l’aspect d’un petit salon moderne, où je ne sais quel artiste avait épuisé la
science de notre décor, si léger, si frais, si suave, sans éclat, sobre de dorures.
C’était
amoureux et vague comme une ballade allemande, un vrai réduit taillé pour une passion de
1827, embaumé par des jardinières pleines de fleurs rares.
Après ce salon, j’aperçus en
enfilade une pièce dorée où revivait le goût du siècle de Louis XIV, qui, opposé à nos
peintures actuelles, produisait un bizarre mais agréable contraste.
— Tu seras assez bien
logé, me dit Rastignac avec un sourire où perçait une légère ironie.
N’est-ce pas séduisant ?
ajouta-t-il en s’asseyant.
Tout à coup il se leva, me prit par la main, me conduisit à la
chambre à coucher, et me montra sous un dais de mousseline et de moire blanches un lit
voluptueux doucement éclairé, le vrai lit d’une jeune fée fiancée à un génie.
Elle souligne la richesse, certes, mais aussi les contrastes entre la légèreté et la rigueur, tandis
qu'à travers le regard de Raphaël, la comparaison et l’image finale sont comme la promesse
de la « passion » dont il rêve.
La même analyse pourrait être faite pour les objets et encore
davantage pour les portraits.
Visages, gestes, démarches, intonations, regards, vêtements,
chaque détail se charge de sens, mais toujours en lien avec le décor, comme pour
l’antiquaire : « Les mœurs de toutes les nations du globe et leurs sagesses se résumaient sur
sa face froide, comme les productions du monde entier se trouvaient accumulées dans ses
magasins poudreux ».
Balzac,....
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