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Peut-on augmenter le champ de la conscience ?

Publié le 27/05/2024

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« Peut-on augmenter le champ de la conscience ? La conscience est le savoir réflexif, caractéristique de l'homme d'après René Descartes.

Elle accompagne toutes nos pensées, toutes nos perceptions et tous nos actes.

Lorsque nous voyons par exemple un objet, nous savons en même temps que nous le voyons, nous en sommes conscient. Pour l'opinion commune, la conscience est immédiate : elle s'impose à nous sans aucune intervention particulière de notre part, elle n'a rien de volontaire, elle serait un fait psychologique auquel nous ne pouvons rien changer, et grâce à elle nous saisirions directement à la fois le monde extérieur (conscience du monde), mais aussi notre propre présence et identité subjective (conscience de soi).

Se demander si l'on peut augmenter le champ de la conscience revient à supposer que la conscience a des limites, en extension ou en compréhension (réalités auxquelles notre conscience peut s'étendre / informations que notre conscience peut comprendre) ; cela nous interroge sur notre capacité à repousser ces limites, par un effort particulier, voire une méthode spécifique.

Il convient donc de nous demander quelles sont les limites rencontrées par la conscience, limites provisoires ou structurelles.

Et s'il est possible de les repousser, comment peut-on procéder ? Ce questionnement donnera lieu à des développements sensiblement différents, si l'on étudie la conscience du monde, ou la conscience de soi : voilà pourquoi nous étudierons ces deux objets de la conscience en deux temps séparés. Le champ de la conscience du monde peut-il être augmenté ? A priori, notre conscience du monde est directe, sans filtre, nous saisissons le réel extérieur à nous sans difficulté majeure.

Certes, notre champ de vision est limité, mais il suffit de modifier notre point de vue pour dépasser cet obstacle. Par exemple, il est impossible de voir en même temps les six faces d'un dé, mais l'on peut le faire tourner sous nos yeux pour y parvenir.

Il est donc toujours possible de voir plus, et a priori, déplacer son regard suffit à augmenter le champ de la conscience.

Or cette thèse, assez commune, mérite une sérieuse discussion. D'abord, notre conscience comporte peut-être des degrés.

Ce qui signifie qu'il y a peut-être des choses que nous voyons, mais dont nous ne prenons pas vraiment conscience.

C'est ce phénomène qui est mis en évidence par Henri Bergson, dans Le rire.

La plupart du temps, notre conscience est naturellement sélective, nous ne prenons vraiment conscience que des détails utiles pour agir et coopérer, ce qui limite le champ de notre conscience.

Or il y a un moyen d'augmenter ce champ : l'on peut être conscient de davantage d'éléments en adoptant un rapport différent au monde qui nous entoure.

En effet, en adoptant une perspective contemplative sur le monde extérieur, comme peuvent le faire les artistes, nous prenons conscience de plus de détails.

Toutefois, il faut remarquer que même si nous pouvons ainsi rendre notre conscience plus riche, elle restera limitée : car avoir conscience, c'est délimiter un champ de notre attention, c'est donc fatalement circonscrire notre attention, la limiter. La conscience rencontre peut-être par ailleurs des limites incompressibles.

C'est ce qu'affirme Leibniz dans les Nouveaux Essais sur l'Entendement Humain.

Les « petites perceptions » nous enseignent clairement que notre conscience sensorielle est rendue possible lorsque certaines conditions sont réunies.

Il faut que les perceptions soient suffisamment intenses et contrastées par exemple.

Notre conscience n'accède donc au réel qu'à une certaine échelle, et dans certaines circonstances particulières.

Comment augmenter le champ de la conscience ? Comment entendre le bruit de chaque vague composant le « mugissement de la mer » ? Mission impossible a priori. Toutefois, dans une certaine mesure, il est possible d'éduquer nos sens, de leur apprendre à discriminer des saveurs subtiles, à distinguer des sons que la plupart des gens ne peut entendre que globalement.

Le chef d'orchestre a appris à distinguer, dans un orchestre symphonique, à dissocier le son de chaque violon, même s'ils sont nombreux et jouent exactement les mêmes notes.

Avec de la pratique, l'on peut percevoir les différences entre des réalités qui paraissent à première vue identiques.

Les parents de jumeaux savent généralement distinguer leurs enfants... Par ailleurs, il faut remarquer le fait que la conscience est un processus complexe, faisant intervenir plusieurs variables.

Le langage est l'une d'elles.

Hegel pense que « c'est dans les mots que nous pensons ».

Ce qui veut dire que les mots nous aident à concevoir clairement le réel, à l'identifier.

Or prendre conscience, c'est savoir qu'une chose existe, mais aussi savoir ce qu'elle est.

Donc, prendre conscience de cet objet qui est là devant moi, par exemple, c'est être capable de lier ma perception à un concept.

Par exemple, je sais que cet objet est une table, or « table » est un concept, et aussi un mot...

Ainsi le langage serait-il le moyen, mais aussi la condition, de la conscience.

Comment dès lors augmenter le champ de la conscience ? En faisant progresser sa connaissance, et en trouvant les mots pour identifier ce que sont les choses, des mots nouveaux parfois lorsqu'il s'agit de désigner des choses nouvelles, prendre conscience de réalités jusqu'alors inconnues.

En sciences par exemple, l'augmentation de la connaissance passe par la construction des concepts scientifique.

Par exemple, le concept de « gène » a été forgé par le botaniste anglais William Bateson, au XIXe siècle.

Il donne ainsi un nom à la découverte de Mendel sur les causes de la transmission héréditaire de caractères physiques.

L'invention du mot permet d'identifier la chose, et augmente notre connaissance, mais finalement aussi notre conscience de la réalité.

Les hommes se sont rendus compte du fait que l'hérédité trouvait ses causes dans la matière organique au niveau microscopique, et non pas dans je ne sais quelles causes immatérielles.

Comment la connaissance finit-elle par structurer notre conscience quotidienne de la réalité ? Lorsqu'une connaissance devient le filtre structurant de notre rapport au réel, elle modifie la conscience : par exemple, lorsque nous regardons le soleil aujourd'hui, nous ne voyons plus une divinité comme le faisaient les Egyptiens, nous voyons une réaction nucléaire.

Le savoir a changé la conscience. Toutefois, ce rôle du langage peut être ambivalent : Bergson a montré comment les mots peuvent devenir des « étiquettes », des simplifications subjectives de la réalité.

Le langage peut donc aussi limiter le champ de la conscience.

Dans 1984 de George Orwell, le gouvernement totalitaire au pouvoir impose une « novlangue », afin d'empêcher certaines prises de conscience.

Le mot « liberté » disparaît par exemple du dictionnaire dans ce pays fictif...

En 1940, le maréchal Pétain choisit le mot « adversaire » pour désigner l'envahisseur nazi : ce mot cherche à produire, dans la conscience collective, l'idée selon laquelle il n'y a pas de haine à avoir contre les nazis, ces derniers ne sont pas des ennemeis mais des « adversaires », c'est-à-dire ceux qui ont simplement gagné au « jeu » de la guerre, en faisant preuve de fair play.

Donc c'est avec le même fair play que les Français doivent maintenant se soumettre : pas de Résistance, donc... Augmenter le champ de la conscience du monde est donc possible, nous avons repéré quelques moyens de le faire : adopter un rapport contemplatif à ce que nous voyons, augmenter le champ de notre savoir, retravailler le langage en conséquence, et donc aussi nous méfier des mots. Mais avons-nous le pouvoir de faire de même concernant la conscience de soi ? Le Cogito cartésien définit le sujet humain comme le rapport parfaitement transparent d'un esprit à lui-même.

« Je pense donc je suis » : cela signifie que notre identité, notre « moi » réside exclusivement dans notre esprit, notre moi est un « moi intérieur », et nous avons parfaitement conscience de ce que nous sommes, comme nous sommes parfaitement conscient de penser lorsque nous le faisons.

Ainsi, il n'y aurait pas besoin de chercher à augmenter le champ de la conscience de soi : le sujet sait ce qu'il.... »

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