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Y a-t-il une pensée au-delà du langage ?

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« Y a-t-il une pensée au-delà du langage? Au-delà du discours (et du langage), il y aurait cependant un acte de penser, un sujet-qui-pense.

L'École de Wurzbourg avec Watt, Messer, Buhler, autour de 1900, Binet en France (1857-1911) et les intellectualistes essayèrent de montrer que la pensée déborde infiniment l'image et le mot : « Nous avons une pensée de 100 000 francs pour une image de 4 sous » (Binet). — I — Une analyse plus approfondie des aphasies entreprise par le Docteur Pierre Marie mit en évidence une diminution intellectuelle dans ces troubles.

Ce n'étaient pas les mécanismes du langage que les aphasiques avaient perdus, c'était la faculté de s'en servir. Si on demande aux malades de classer des échantillons de couleurs selon la teinte fondamentale, ils commettent des erreurs incompréhensibles, constatent Goldstein et Gelb ; si, par exemple, le dernier ruban bleu est d'une nuance pâle, ils poursuivent en joignant au tas des bleus un vert-pâle ou un rose-pâle, comme s'il leur était impossible de subsumer les sensations sous une idée. L'épreuve d'assortiment met en évidence le trouble fondamental qui est un trouble de l'intelligence; l'acte de nommer suppose en effet une « attitude catégoriale », c'est-à-dire l'aperception du genre sous l'individuel.

«Ce que le mot apporte », dit Brice Parain (in « Recherches sur la nature et les fonctions du langage » 1942), « ce n'est pas une constatation d'existence, mais une affirmation d'existence, ce n'est pas l'indication d'un individu, c'est la signification d'un genre ». — II — Le langage, expression de la pensée conceptuelle : telle était la thèse que soutenait en 1930 H.

Delacroix dans son livre célèbre « Le langage et la pensée ».

Pour lui, la part de l'automatisme est grande, mais ne doit pas et ne peut pas faire oublier « qu'il y a un esprit humain ».

Au début de la formation du langage, chez l'enfant, les mécanismes sensori-moteurs sont associés à la représentation d'objets, mais, à mesure que l'intelligence se développe, le mot cesse d'être un double de la représentation pour devenir le symbole de l'idée.

Et comme notre intelligence en se développant se meut davantage parmi les concepts et les rapports entre concepts, il arrive que le mot perd de son importance, s'assimile de moins en moins à la chose et ne se comprend que par son « contexte ». — III — Cette relation étroite entre le langage d'une part, l'intelligence et la pensée conceptuelle d'autre part, fit tomber le langage sous le coup des critiques contre l'intelligence. Bergson dans les « Données immédiates », « Matière et Mémoire », « l'Évolution créatrice », repris par Edouard Le Roy dans « La pensée intuitive », associe le langage à l'opération abstractive et généralisante par laquelle notre intelligence découpe le réel pour les besoins de l'action.

Le langage est tout fait, impersonnel, reflet des idées générales, de l'intelligence conceptuelle.

Il est, comme elle, incapable par nature d'exprimer la pensée, personnelle, originale, intuitive.

De là le mépris du langage et la méfiance vis-à-vis de lui.

« L'art de l'écrivain consiste à nous faire oublier qu'il emploie des mots.

L'harmonie qu'il cherche est une certaine correspondance entre les allées et venues de son esprit et celles de son discours, correspondance si parfaite que, portées par la phrase, les ondulations de sa pensée se communiquent à la nôtre et qu'alors chacun des mots pris individuellement ne compte plus.

» Bergson (« L'énergie spirituelle » conférence sur « l'âme et le corps »). Le langage sert à chaque individu pour trouver son rôle et sa place dans la société.

Les signes du langage sont à la fois généraux et mobiles.

Ils permettent aux objets de passer de l'ombre à la lumière, ils les font devenir choses.

Mais pratiquant le langage, l'intelligence applique des formes qui sont celles-mêmes de la matière inorganisée.

Le langage pétrifie le monde, le durcit en le découpant en fonction de nos besoins et de nos habitudes.

De par sa généralité, il use des mêmes vocables, pour ce qui, chez chacun, est pourtant un état psychologique ou un sentiment unique.

Chacun de nous a sa manière propre d'aimer et de haïr, et pourtant, nous sommes obligés de parler tous le même langage.

Il ne peut donc que fixer l'aspect objectif et impersonnel de l'amour, ou de tout sentiment qui nous traverse.

La pensée authentique demeure donc incommensurable au langage, dans lequel nous associons nos idées en les juxtaposant les unes aux autres, sans pouvoir exprimer leur compénétration ni leur lien intime.

Alors que les idées s'engendrent les unes des autres de manière vivante, le langage ne peut faire autrement que les accoler les unes derrière les autres.

A l'égard du monde, les mots sont comme des étiquettes que l'on collerait sur les objets, et qui tout en les nommant, les dissimulent.

Tous les mots, à l'exception des noms propres désignent des genres, soit des généralités. La critique bergsonienne nous fait toucher du doigt le vice de l'intellectualisme isolant le langage de la vie pour en faire un système de signes représentant chacun un jugement, alors que le langage est, selon le mot de MerleauPonty « un cas particulier de l'expressionisme humain » et implique un comportement total : geste, ton, rythme, accent.... »

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