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Y a-t-il du romancier dans l'historien ?

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« Un romancier est celui qui pratique l'art du roman, genre littéraire aux contours mouvants, caractérisé pour l'essentiel par une narration fictionnelle plus ou moins longue, ce qui le distingue de la nouvelle (celle-ci étant traditionnellement un genre littéraire de faible durée).

Le roman peut également être défini comme un ouvrage en prose, laissant une forte place à l'imaginaire.

Milan Kundera le caractérise comme « forme exploratoire de la vie » en tant qu'il se rapporte aux incarnations diverses de la vie humaine au cours de l'histoire, dont il essaye de traduire, au moins formellement, la singularité. Un historien est un spécialiste de la discipline Historique, c'est-à-dire du discours qui prétend reconstituer la trame et le sens des événements qui ont eu lieu dans le passé.

La qualité d'Historien s'acquière en fonction de critères variables selon les pays, mais qui discriminent ceux et celles qui ont droit de le porter a partir d'évaluations universitaires (concours, niveau d'études…). La question « y a-t-il du romancier dans l'historien ? » peut nous apparaître particulièrement pertinente dans la mesure où elle concerne indirectement la dimension scientifique de la discipline historique.

En effet, le propre de l'art du romancier est de mettre en ordre un discours essentiellement fictif : créateur des personnages et des évènements dont il est question dans son œuvre, il ne prétend nullement dire la vérité exacte de ce qui est advenu dans le passé, mais à créer un récit capable de s'affranchir de la norme absolue et contraignante de la vérité.

A contrario, l'historien est celui qui prétend faire une ascèse à fin de dire la vérité du passé, de ne rien mêler de subjectif à sa présentation dépassionnée et aussi complète que possible de ce qui est advenu.

Cependant, malgré cette ambition, il semble bien souvent que quelque chose de l'art du romancier entre dans l'écriture de l'historien, dans la mesure où ce dernier, à l'image de l'auteur de romans, doit organiser des faits dans un récit, les mettre en scène et, ce faisant, s'expose à les gauchir peu ou prou.

Mais nous verrons que précisément, tout l'effort de la discipline historique est de creuser l'écart entre le romancier et l'historien, d'évacuer tout ce qui peut être romanesque dans l'écriture historique afin que celle-ci puisse susciter notre conviction. La question au centre de notre travail sera donc de déterminer dans quelle mesure l'historien parvient à éviter l'entrée de toute composante romanesque dans son écriture, de sorte à faire correspondre son travail à des normes de scientificité. I. Il y a nécessairement du romancier dans l'historien a.

Pour une analogie entre histoire, roman et autobiographie fondée sur le concept de fictionnalité Nous commencerons par dire qu'il y a nécessairement du romancier dans l'historien, car il y a forcément une dimension de fictionnalisation dans l'écriture historique.

Pour montrer cela, nous pouvons passer par une analogie entre autobiographie, roman et histoire.

En effet, l'histoire est semblable à l'autobiographie dans ses rapports au roman, dans la mesure où l'autobiographie prétend dire la vérité et elle seule, alors que toutes les protestations de respect de la vérité dans le roman ne valent jamais que comme artifices littéraires (pensons à ce propos à l'ouverture du roman épistolaire Les liaisons dangereuses).

Or, il y a dans tout texte autobiographique un fort degré de fictionnalisation qui tient à l'écriture littéraire elle-même.

En écrivant les évènements bien réels de sa vie, l'autobiographe a tendance à user de matériaux et de procédés littéraires appartenant à des genres variés tels que le théâtre et le roman.

Ce faisant, il gauchit insensiblement son récit, s'éloigne de cette vérité de lui-même et des faits qu'il s'était engage à nous donner.

Par exemple, Rousseau décrit sa première rencontre avec Madame de Warens dans les Confessions en utilisant les moyens rhétoriques et stylistiques du roman, de telle sorte que cette scène décrivant un évènement réel a pu être comparée à la première rencontre du Prince de Nemours et de la Princesse de Clèves dans le roman qui porte son nom.

L'autobiographie est donc le théâtre d'une fictionnalisation du vécu : comme l'écrit Philippe Lejeune dans son ouvrage fameux « Le pacte autobiographique » : « L'autobiographie est un cas particulier du roman ».

Il en va rigoureusement de même pour l'histoire par rapport au roman.

L'historien, comme l'autobiographe, parce qu'il écrit un récit en prose est conduit à utiliser des artifices littéraires pour les commodités, la lisibilité de son propos, qui gauchissent les faits et leur fond perdre de leur rigoureuse exactitude : pensons à ce propos à l'œuvre historique de Michelet, entrée dans la bibliothèque de la Pléiade parce qu'elle est littéraire, sinon romanesque.

Il y a donc du romancier dans tout historien.. »

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