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Y a-t-il du hasard dans les sciences ?

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« a) Pour le savant la notion de déterminisme équivaut en pratique à celle de prévisibilité.

Louis de Broglie nous dit que pour le physicien « il y a déterminisme lorsque la connaissance d'un certain nombre de faits observés à l'instant présent ou aux instants antérieurs jointe à la connaissance de certaines lois de la nature, lui permet de prévoir rigoureusement que tel ou tel phénomène observable aura lieu à telle époque postérieure ». b) On parlera de hasard pour désigner un fait qui échappe à tout pouvoir humain de le déterminer d'avance, un fait imprévisible, sans pour cela vouloir dire que le fait attribué au hasard est un fait sans cause.

Par exemple, j'ai gagné un lot à la loterie nationale C'est un hasard.

Mais soulignons avec Vassails que « Loin de signifier l'absence de relations, de lois nécessaires, le hasard manifeste au contraire leur trop d'abondance, leur trop de complexité eu égard à nos possibilités pratiques d'information et de prévision.

» Le hasard n'est pas la contingence, il se réduit à mon ignorance d'un déterminisme qui existe.

Et comme l'avait vu Spinoza, le hasard n'est pas l'absence de nécessité, mais l'ignorance de la nécessité. c) Cependant la science la plus moderne donnerait droit de cité, d'après certains, à la contingence.

Une partie du réel échapperait au jeu des lois naturelles.

L'hypothèse déterministe ne serait plus recevable à l'échelle de la microphysique.

Tandis qu'en mécanique classique la connaissance de la position et de la vitesse d'un mobile à l'instant t permet en principe de calculer la vitesse et la position d'un mobile à un autre instant, en microphysique on ne peut pas préciser simultanément la position d'un corpuscule et sa quantité de mouvement (la quantité de mouvement est le produit mV de la masse m du corpuscule par sa vitesse V).

Heisenberg a montré que si Dx est l'erreur sur la position du corpuscule et Dp l'erreur sur la quantité de mouvement, il existe entre Dx et Dp une relation dite d'incertitude telle que Dx.

Dp ³ h. Le produit des deux incertitudes est au moins égal à la constante universelle h.

Cette « incertitude » ne fait pas obstacle au déterminisme macrophysique parce qu'elle est à cette échelle « noyé dans la statistique », parce que la macrophysique opère sur des phénomènes qui mettent en cause des milliards de photons ou d'électrons.

Mais le microphysicien est incapable de déterminer la trajectoire des corpuscules individuels.

Il ne peut préciser la position qu'en augmentant l'imprécision sur la quantité de mouvement et réciproquement.

Eclairer l'électron c'est troubler son mouvement en le bombardant avec des photons.

La position du corpuscule sera d'autant mieux précisée que la radiation lumineuse exploratrice aura une longueur d'onde plus courte, mais du même coup la fréquence est augmentée, donc l'énergie et la quantité de mouvement transmise au corpuscule étudié.

Le fait même de l'observation fait échec à l'observation du fait. Mais si la position ou la vitesse d'un corpuscule ne sont pas exactement déterminables dans l'état actuel de la science, cela ne veut pas dire qu'elles soient indéterminées en elles-mêmes.

Le fait qu'on ne puisse fixer à la fois la position d'un corpuscule et sa vitesse ne nous autorise pas à dire qu'il n'y a pas de causes qui déterminent cette position et cette vitesse.

On nous rétorquera qu'en l'absence de toute possibilité de vérification scientifique le déterminisme devient au même titre que l'indéterminisme une simple hypothèse métaphysique.

Mais le principe du déterminisme nous paraît au contraire lié à l'esprit scientifique qui ne saurait renoncer, sans se détruire lui-même, à affirmer qu'il existe des conditions nécessaires, des « raisons suffisantes » à l'apparition des phénomènes.

De grands esprits comme Langevin, Einstein, Plank n'ont pas cru devoir rejeter, à cause des difficultés de la microphysique, le principe du déterminisme.

De Broglie lui-même, après avoir soutenu que les incertitudes de Heisenberg sont « irréductibles », est devenu moins affirmatif : « La physique quantique restera-t-elle indéterministe ? ». d) On pourrait cependant concilier la contingence et le déterminisme, admettre l'existence d'un véritable hasard qui ne serait pas seulement l'ignorance du déterminisme, tout en continuant à affirmer le principe du déterminisme.

Il nous suffirait pour cela d'adopter la théorie de Cournot.

Nous pouvons l'exposer très simplement à partir d'un exemple concret.

M.

Dupont se lève de bon matin et va chez son dentiste ; sa sortie est déterminée : déterminisme pathologique (carie dentaire), déterminisme psychologique (confiance en le dentiste) , déterminisme social (l'heure du rendez-vous). Dehors il fait une tempête déterminée par des conditions météorologiques et d'ailleurs prévue.

C onformément aux lois de la mécanique le vent détache d'un toit une énorme tuile branlante.

La tuile selon la loi de la chute des corps.

Seulement et c'est ici qu'apparaît ce que Cournot nomme le hasard, la tuile tombe juste sur la tête de M.

Dupont.

Le hasard serait donc d'après Cournot le point de rencontre de deux séries de phénomènes dont chacune est déterminée mais qui sont indépendantes l'une de l'autre.

D'autre part il y a toute la série des événements qui aboutissent à la sortie de M.

Dupont (le mal aux dents, le rendez-vous), d'autre part l'enchaînement des faits qui déterminent la chute de la tuile à l'instant t.

Le hasard, c'est ici la rencontre d'un déterminisme psycho-patho-sociologique et d'un déterminisme météorologique et mécanique. e) Cournot fait donc une place à la contingence sans renier le déterminisme.

Toute la théorie repose sur l'idée que les séries de phénomènes déterminées sont indépendantes les uns des autres : si vous tombez malade juste le jour de l'examen vous direz que c'est un fâcheux hasard parce que le déterminisme administratif qui a fixé la date du bac et le déterminisme pathologique par lequel un virus attaque votre organisme sont indépendants l'un de l'autre.

en langage leibnizien, on pourrait dire que dans chaque série causale l'ordre des successions est déterminé, les parties du temps sont liées entre elles ; les parties de l'espace au contraire, considérées comme l'ordre des coexistences, ne le sont point.

Affirmer le hasard, c'est pour Cournot nier la solidarité des séries causales. Certains objecteront à Cournot que les diverses séries causales peuvent n'être indépendantes qu'en apparence.

Par exemple, le mal de dent de M.

Dupont n'est peut-être pas indépendant de la tempête (il a été peut-être victime d'un refroidissement).

L'histoire de la science semble montrer que tôt ou tard des phénomènes que l'on croyait indépendants se révèlent interdépendants.

Passant à la limite, ne pourrait-on admettre le déterminisme universel tel que l'exprimait Laplace : « Une intelligence qui pour un instant donné connaîtrait toutes les forces de l'univers et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs, elle était assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle et l'avenir comme le passé seraient présents à ses yeux.

» Mais Cournot répondrait que tout n'influe pas sur tout.

« Personne ne pensera qu'en passant la terre du pied il dérange le navigateur qui voyage aux antipodes ou qu'il ébranle le système des satellites de Jupiter.

» f) Mais la définition que Cournot nous propose du hasard ne répond pas tout à fait à ce que réellement les hommes mettent en général sans ce mot.

La rencontre inattendue de deux séries déterminées indépendantes ne suffit pas à définir un « hasard ».

Supposons que la tuile détachée par le vent tombe non sur la tête de Dupont mais sur un petit caillou gris qui se trouve sur la chaussée.

Personne ne songera à invoquer le hasard et pourtant les causes qui ont amené le caillou gris à un tel endroit du trottoir sont indépendantes des causes qui ont déterminé la chute de la tuile ! Bien mieux, si quelqu'un parlait encore de hasard en ce cas ce ne serait pas en fonction de la rencontre de la tuile et du caillou mais en fonction de Dupont ! Je dirai par exemple qu'il s'en est fallu de peu que Dupont ne soit atteint, il a eu de la chance.

Que le hasard soit vu dans la rencontre ou dans la non-rencontre de la tuile et de Dupont c'est toujours, comme l'a dit Bergson, à partir d'un « intérêt humain » qu'on parle du hasard.

L'élucidation du concept de hasard relève ici beaucoup plus de la psychologie que de la logique.. »

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