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Weil: La société se confond-elle avec la communauté ?

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Les valeurs historiques et le sacré d'une communauté tombent donc du côté opposé à celui de la technique et de la lutte avec la nature extérieure. On peut alors distinguer la communauté de la société, réservant le premier terme à ce qui est vécu dans une expérience directe de compréhension « humaine », dans le cadre d'institutions qui n'ont pas été créées ni « ré-organisées » par un organisateur rationaliste et calculateur, mais qui remontent aux « origines », aux temps immémoriaux. On peut opposer, pratiquement dans un sens analogue, le peuple à l'État considéré comme création récente, non comme aboutissement d'une évolution « organique ». On peut séparer, sur un autre plan, la race, donnée naturelle irréductible, de la nation, artificielle dans cette vue, du moins par rapport à la race - ou les croyants (quelle que soit la foi en question) des incroyants, des calculateurs, des déracinés, de ceux qui se sont détachés de la tradition pour se mettre du côté de l'efficacité technique et se déclarent prêts à abandonner les valeurs traditionnelles. [...] Il est vrai que parfois on oppose la communauté comme le bien à la société, incarnation du mal, l'une organique, l'autre artificielle. En fait, c'est la communauté historique qui a produit la société et, ce qui importe à présent, l'État, lequel, selon ces théories, tombe du côté du mal, du rationnel et du non-vital. Les communautés modernes sont modernes parce qu'elles s'organisent consciemment, parce que la raison n'y est pas seulement visible à qui connaît les résultats de leur évolution, mais est ce qui y veut et y est voulu. L'État moderne n'en est pas moins communauté ; mais il est forme consciente, et ce n'est qu'en lui (dans la tension entre société et communauté qu'il pense) que la communauté se voit comme communauté. La critique du concept de communauté du point de vue de la société, critique qui correspond à cette pseudo-critique de la société et de l'État du point de vue de la communauté, ne résiste pas mieux que celle-ci. [...] Reste qu'une tension existe entre société et communauté et, par conséquent, entre la société et l'État, tension non seulement entre des concepts mais entre des aspects réels de la réalité [...]. Mais une fois de plus, le problème n'est pas résolu quand on en nie l'existence, et c'est ce que l'on fait quand, choisissant entre communauté et société, on opte pour l'une à l'exclusion de l'autre.

« Il semble difficile pour l'homme de s'abstraire de la vie en communauté, qui le place dans des rapports constants avec les autres, qu'il s'agisse de l'existence familiale ou sociale.

La vie familiale semble aller de soi, puisqu'elle est fondée sur des relations naturelles, biologiques, où chacun joue un rôle défini.

On s'interroge davantage sur les liens qui attachent l'homme à la société, sur le sens et la nature de son engagement dans la collectivité.

Faut-il les comprendre sur le fond d'une sociabilité spontanée, voire de l'altruisme ? Ou ne s'agit-il pour nous que du jeu de l'intérêt bien compris ? Voire de la satisfaction égoïste des besoins, qui engendrent le conflit ? Quoi qu'il en soit, la société semble peser sur l'individu, hypothéquant sa liberté et l'empêchant d'être ce que bon lui semble. Une vie en société ne peut sans doute pas se concevoir sans règles ni lois, qui entravent les libertés individuelles. Celles-ci paraissent légitimées par l'utilité publique, l'intérêt commun du groupe, afin de prévenir et régler les discordes engendrées par la diversité.

Au point que ce qui est bien ou mal, dans une société, paraît souvent se limiter à cette utilité.

Disposons-nous d'une autre norme du bien et du mal, de l'utile et du nuisible, que ce qui est permis ou défendu selon qu'il favorise, ou au contraire met en danger, la cohésion sociale ? On peut toutefois se demander si les règles sociales expriment une sorte d'idéal, ou si elles ne sont au contraire qu'un pis-aller : au risque de l'arbitraire et de l'injustice, des modes de fonctionnement seraient imposés pour pallier les imperfections de l'être humain. Toute société semble produire un certain conformisme.

Elle oblige les individus à se conformer à des comportements normaux, s'opposant à toute originalité, à toute créativité. Or les hommes ont en commun d'être doués de raison, de partager une raison qui est théoriquement la même pour tous.

Faut-il en conclure que c'est en elle que l'uniformité trouve son fondement ? Que ses règles sont des principes raisonnables ? Ou alors les règles et coutumes sociales ne sont-elles que des conventions arbitraires, qui n'ont pour elles que l'argument de l'ancienneté, du poids des habitudes ? Comment une société peut-elle dès lors tolérer la critique et évoluer ? Une des principales difficultés de la philosophie politique est de concevoir les rapports entre l'État et la société.

Jusqu'à quel point l'État doit-il intervenir dans les affaires humaines ? Sa fonction régulatrice et organisatrice doit-elle avoir des limites et lesquelles ? La société civile peut-elle, pour l'essentiel, s'organiser d'elle-même, l'État n'intervenant tout au plus que dans quelques domaines bien précis, telle la justice ? Doit-il, selon la thèse "libérale", laisser jouer la libre concurrence, le " marché" ? Ou doit-on penser que le libre jeu des intérêts divergents et contradictoires des acteurs sociaux ne peut conduire qu'à la violence, au désordre et à l'inégalité ? Selon les périodes et les lieux, les perspectives se modifient, en accord avec les diverses visions en cours de l'être humain. Le problème de la violence ne trouve pas par l'instauration d'un État une solution définitive, car l'État lui-même use fréquemment de la force, substituant une violence légale à la violence naturelle ou individuelle.

Et il n'est pas toujours facile, en l'espèce, de distinguer le pouvoir et ses abus. On peut s'interroger sur la possibilité d'une société sans État.

Mais il paraît difficile d'en trouver les moyens.

Quant à la fin elle-même, elle reste problématique : cela signifierait-il un retour à la sauvagerie et au désordre, ou bien l'homme est-il réellement capable d'inventer d'autres formes d'organisation sociale ? En quoi consiste l'opposition entre réalisme et idéalisme ? Les données culturelles détermineront pour une bonne part les diverses réponses apportées à ces questions politiques. C'est sur le plan de l'administration du droit et de la justice que les rapports entre l'État et la société se révèlent complexes et problématiques.

Cela tient sans doute à ce que ces domaines sont plus que d'autres un lieu de rencontre entre le privé et le public, le moral et le politique, la liberté et l'autorité, le particulier et le général. On considère que la loi et la justice sont des attributions essentielles de l'État, mais elles concernent des faits qui relèvent de la pratique privée, ou des conflits entre individus.

IL est nécessaire que l'État légifère et fasse appliquer la loi, mais en même temps, la société et l'individu doivent aussi pouvoir conserver une certaine autonomie.

Nombreuses sont les possibilités de décalage entre l'État et la société.

Qui doit détenir la primauté ? Qui doit trancher ? Les règles sociales, nécessaires pour la vie en commun, le bon fonctionnement de la société, visent-elles seulement le bien particulier de chaque individu, un intérêt déterminé ? Vont-elles au-delà d'accords locaux, de conventions plus ou moins arbitraires, et peut-on sans illusion ou mystification leur donner une portée universelle ? Cherche-t-on l'utile ou le bien ? Au nom de quoi pourrait-on critiquer ou vouloir bouleverser une société ou une autre ? L'idée des droits de l'homme, centrée sur le respect des autres et la tolérance, prétend par exemple incarner des valeurs universelles, aussi bien sur le plan social et politique que sur le plan moral.

On peut se demander toutefois si un tel projet ne reste pas trop minimal, peu exigeant, ou inadéquat, pour répondre à tous les défis et problèmes effectifs que pose la vie en société.

A moins que cette dernière, nécessairement, ne soit jamais que le plus réducteur des compromis. EIL: Les valeurs historiques et le sacré d'une communauté tombent donc du côté opposé à celui de la technique et de la lutte avec la nature extérieure.

On peut alors distinguer la communauté de la société, réservant le premier terme à ce qui est vécu dans une expérience directe de compréhension « humaine », dans le cadre. »

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