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Violence et vérité sont-elles nécessairement incompatibles ?

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« Il s'agit ici de s'interroger sur la vérité et sur la violence, à propos du rapport qu'elles peuvent éventuellement entretenir.

Est-ce qu'elles sont nécessairement incompatibles ? Le sujet le présuppose d'une certaine manière puisqu'il donne presque comme acquise cette incompatibilité.

Il convient donc de justifier ce point de vue pour ensuite le relativiser.

De fait, tout semble opposer la vérité et la violence.

La vérité se donne sans violence, elle n'en n'a pas besoin.

Au contraire, l'illusion ou le mensonge sont une forme de violence, une violence faite précisément à la vérité.

Toutefois, on peut cependant penser la vérité sur le mode de la violence dans la mesure où elle semble en partager certains aspects.

La vérité s'impose (elle ne se décrète pas), elle ne souffre pas la contradiction, elle exige une adhésion sans conditions.

Mais c'est là une métaphore...

Car la vérité suppose toujours un accord rationnel de celui qui la découvre et qui ne s'y soumet que parce qu'il y reconnaît ce qui doit logiquement être effectivement reconnu. [Là où il y a violence, il ne saurait y avoir vérité.

La violence est imputable aux désaccords entre les hommes.

La vérité est universelle aussi implique-t-elle l'unanimité.

C'est l'usage du dialogue qui permet l'accord entre les hommes.] Dialogue et vérité Le langage est pour les hommes un moyen essentiel d'établir des rapports ; on peut même dire que le langage est la condition fondamentale, en même temps que la conséquence, de l'existence de l'ensemble des rapports sociaux.

Le langage est ce qui permet aux hommes d'entrer en relations, en tant qu'ils sont des êtres pensants ; c'est par le langage que nous échangeons avec autrui des paroles, qui sont immédiatement des pensées ; car il n'existe chez l'homme aucune indépendance entre le fait de penser et celui de parler. C'est surtout en tant qu'il est le véhicule de la pensée rationnelle que le langage apparaît comme une issue alternative à la violence.

Le recours au langage est en effet l'espoir que s'instaure un dialogue, c'est-à-dire une relation qui, à travers le discours, vise non à un triomphe mais à un accord.

Le langage est, en tous les sens de ce terme (il y en a au moins trois), ce qui permet aux hommes de s'entendre.

En dialoguant avec l'autre, je montre que je ne recherche plus une suprématie sur lui, mais un résultat qui vaille pour les deux partenaires du dialogue pris ensemble. Dès que le dialogue s'installe, c'est la raison qui triomphe.

Non seulement parce qu'il est « raisonnable » de discuter plutôt que de se taper dessus, mais surtout parce que, dans le dialogue, chaque interlocuteur s'est engagé - en acceptant de se placer sur ce terrain - à légitimer rationnellement ce qu'il avance.

Il n'est donc pas exagéré de dire que toute volonté sincère de renoncer à la violence ne peut passer que par un recours au langage, dans la forme du dialogue. Sophistique et violence C'est la politique qui donne à voir le plus clairement le risque majeur que court le langage : n'être qu'un instrument de pouvoir, n'être qu'une force et, donc, n'être que violence.

C'est à partir de la politique qu'il faut analyser l'une des tentatives de perversion les plus étonnantes dont ait été victime le langage : la sophistique.

Comprenant que la démocratie donne le pouvoir à celui qui, dans l'assemblée, sait persuader, les sophistes faisaient profession des techniques de la persuasion.

Dans Gorgias, Platon fait parler l'un de ces professeurs de rhétorique; le sophiste ne fait aucun usage du langage en vue du vrai, qu'il tient d'ailleurs dans un solide mépris.

Son but est ailleurs : capter - autant dire capturer - l'assentiment de l'interlocuteur, même et surtout si la thèse défendue est fausse.

Gorgias se fait fort de dissuader un malade de prendre un médicament prescrit par le médecin ! Il ne s'agit plus d'avoir raison contre un interlocuteur, mais d'avoir raison de lui; le sophiste ne veut pas convaincre, mais vaincre.

Un tel usage du langage traite les mots comme des armes, dont il faut seulement apprendre le maniement ; le dialogue fait place à un combat oratoire où la stratégie s'appelle rhétorique. La perversion sophistique du langage montre donc que ce dernier ne constitue pas par lui-même un rempart contre la violence.

S'il est dialogue, le recours au langage est bien la seule issue lorsqu'on a, de part et d'autre, renoncé à la violence.

Mais le langage ne donne pas nécessairement lieu au dialogue ; peut-être même cette possibilité n'est-elle qu'exceptionnelle et requiert-elle une volonté lucide de s'engager dans une voie différente, où le succès n'est pas assuré. On peut à bon droit parler d'un usage violent du langage lorsque ce dernier est réduit à l'état d'instrument pour le triomphe d'une force ; lorsqu'il ne fonctionne plus lui-même que comme une force jetée, en raison de son efficacité spécifique (dont les politiques sont assez conscients), contre d'autres forces.

On a cité l'exemple de la politique, mais il y en aurait bien d'autres.

Alain avait soigneusement recensé, sous le nom de bourgeois, tous ces hommes qui « vivent de persuader » : le notaire, le médecin, l'enfant:, l'homme politique n'est pas le seul à connaître le pouvoir des signes et à l'utiliser.. »

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