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Une langue bien faite mettrait-elle fin à toute discussion ?

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« Remarques Une telle question suppose une analyse préalable de la nature du langage.

L'expression « bien faite » appelle en outre un commentaire particulier : faut-il comprendre que la langue « bien faite » serait celle qui ne prêterait qu'une seule signification à chacun des éléments qui la constitueraient ? C'est ce que semble induire la fin de la question ; en effet, dans ce cas, le problème des malentendus nés d'une marge d'incertitude dans la langue, disparaît : l e sens devient indiscutable.

Certains systèmes de communication tendent vers un tel idéat, le code de la route par exemple.

Que serait un tel code s'il existait une ambiguïté, une possibilité de malentendu ! Effectivement, on ne discute pas avec les panneaux, on prend connaissance des renseignements qu'ils nous fournissent, éventuellement on obéit à leurs injonctions. Mais on peut s'interroger sur la perfection d'une langue semblable dans l'usage quotidien : comment produire une œuvre littéraire avec un tel instrument ? Comment rendre le symbolisme ? Ceci conduit à une seconde réflexion sur le sujet.

Cette langue « mettrait fin à toute discussion » en un second sens de l'expression : on ne pourrait plus échanger avec une telle langue, on ne pourrait plus discuter.

Ainsi, par une sorte d'ironie, le sujet lui-même joue sur deux sens possibles de son libellé.

L'expression « mettre fin à toute discussion » peut s'entendre comme synonyme de « mettre fin à tout problème d'interprétation, à toutes les sortes de malentendu » ou de « mettre fin à tout échange de paroles », au sens où Saussure utilise le terme.

En effet, le mot discussion peut renvoyer à l'interprétation nécessaire lorsque le sens n'est pas clair, ou à l'acte de communication entre deux individus.

On le voit, le sujet apporte, d'une certaine manière, une réponse secrète à sa propre question. Introduction Les langues naturelles sont souvent considérées comme imparfaites parce qu'elles ne permettent pas, très souvent, d'éviter l'ambiguïté. Le mode de communication qu'elles autorisent est donc soumis à l'incertitude, le malentendu, l'erreur, autant de formes propices à la discussion.

Peut-on dire alors qu'une langue bien faite mettrait fin à toute discussion ? 1 - La discussion comme signe de l'imperfection a) L'incertitude L'expression « bien faite » utilisée par le sujet, et rapportée à la «fin de toute discussion » semble indiquer que celle-ci résulte d'une insuffisance de la langue.

Effectivement, la langue naturelle est ambiguë, elle est source de malentendu, elle contient une certaine dose de déperdition potentielle, de « bruit » selon l'expression des théoriciens de l'information.

La discussion peut donc être conçue comme un moyen d e lever les ambiguïtés : « s'entendre sur les mots », pourrait définir une discussion.

Lorsque Jakobson distingue la fonction métalinguistique du langage, il reconnaît implicitement le phénomène, puisque cette fonction est destinée à vérifier le code que l'on utilise dans l'acte de communication. En un sens, lorsque Socrate dialogue avec ses interlocuteurs sur le marché d'Athènes, il cherche à préciser la signification des mots.

Ainsi lorsqu'il s'entretient avec Polos ou CALLICLÈS dans le Gorgias, c'est bien à lever des ambiguïtés qu'il s'emploie. Les incertitudes qui traversent les langues naturelles conduisent à s'interroger sur les conditions de possibilité d'une langue « bien faite », c'est-à-dire qui pourrait éviter ces inconvénients. b) La monosémie Cette langue « bien faite » serait alors monosémique, puisqu'elle éliminerait toute incertitude.

Il existerait une adéquation parfaite entre l'intention de l'émetteur, la constitution du message et la réception de l'interlocuteur.

Ce type de langue n'est pas inconnu : les langages mathématiques, ou des systèmes comme le code de la route, tendent vers cet idéal d'une communication transparente.

Les informations véhiculées par ce type de langages ne prêtent pas à discussion puisque la signification ne fait pas problème, dès lors que les interlocuteurs possèdent la connaissance du code. c) Une langue bien faite ? Les avantages d'une langue dénuée d'ambiguïtés sont nombreux.

Ils expliquent d'ailleurs la prolifération des systèmes de communication tendant vers cet idéal.

Il est certain, par exemple, qu'il vaut mieux, dans le cas du code de la route, que la part de « bruit » soit la moins forte possible.

Mais on peut se demander si les langues artificielles qui éliminent tout malentendu ne sont pas seulement propres à un certain type de communication, limité à un objet précis.

On doit s'interroger, par conséquent, sur les fonctionnements de tels langages. 2 - La mort de l'échange a) L'exclusion des sujets Pour que le discours monosémique soit possible, il faut que toutes les sources possibles d e malentendu soient éliminées.

Est-il concevable alors que l'expression de la subjectivité puisse se faire avec un tel instrument ? Les cas limites de langues « bien faites » sont des exemples qui supposent un énoncé sans sujet.

N'importe qui à ma place déchiffre les signaux du code de la route de la même façon que moi, pourvu qu'il connaisse le système ; de même dans un énoncé mathématique.

Dans les deux cas également, l'émetteur s'efface en tant que personne singulière : à la limite, dans le code de la route, son identité n'a plus aucune importance ; seul compte le contenu du message.

La discussion est exclue parce que la communication se fait en dehors d e toute énonciation particulière.

Ceci explique d'ailleurs qu'une langue de type artificiel ne puisse pas évoluer autrement que par adjonction d e nouveaux signes (par exemple d e panneaux dans le code de la route) ou par bouleversements, jamais par déformation progressive comme dans les langues naturelles.

En effet, les déformations sont des actes individuels qui deviennent ensuite éléments du code, mais elles prennent source dans renonciation, ce qui ne peut être le cas dans les langues artificielles. b) L'exclusion du symbole Le langage-monosémique ne peut plus assurer de fonction symbolique : un discours fondé sur la pluralité du sens comme la poésie ou la littérature n'est plus possible, puisqu'il tire ses effets de l'ambiguïté, de l'interprétation, de la lecture.

Certains modes de communication s'appuient sur cette propriété polysémique du langage ; ils vivent du malentendu, de l'ambiguïté, du bruit.

Mais leur conception du sens diffère profondément d e celle des langues monosémiques.

Il ne s'agit plus ici d e concevoir la langue comme véhicule de contenus stables, clairs, parfaitement délimités.

Un présupposé se dégage à ce stade de la réflexion : quels sont les rapports de la langue et du sens, implicitement posés par la formulation du sujet ? c) La fin de toute discussion Si la langue « bien faite » est monosémique, elle n'autorise plus l'échange.

Toute la dimension subjective ou symbolique d'une énonciation, toute parole au sens de Saussure est impossible.

En effet, aucune appropriation personnelle du code par le locuteur ou le récepteur ne peut exister.

Sans marge de liberté pour user du code à sa convenance, on en est réduit à le faire fonctionner, mais en restant extérieur à lui.

En d'autres termes, je ne peux me constituer en sujet de mon propre discours.. »

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