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Un objet est-il pensé ou senti ?

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« « Objet » (du latin objicere) désigne « ce qui est jeté devant », ce dont la constatation impose une limite invincible à notre moi : en d'autres termes, ce qui se pose comme distinct de moi, comme une chose, avec une forme définie, que je retrouverai. .

Ainsi compris, l'objet paraît évidemment devoir nous parvenir par le chemin des sensations.

Car n'est-ce pas par elles que nous sommes avertis de ce qui est extérieur à nous, de ce qui est rebelle à l'activité organisatrice de notre Pensée ? Aussi n'y a-t-il rien d'étonnant à ce que le sens commun identifie effectivement objet et donné sensoriel, jusqu'à croire que les sensations constituent purement et simplement les objets.

— Pourtant à y bien réfléchir, les impressions sensibles sont des états du moi, leur diversité ne répond qu'aux diverses manières d'éprouver qui caractérisent un sujet, et c'est pourquoi, si nous étions réduits à l'appréhension de sensations à peu près pures, si nous assistions au défilé kaléidoscopique d'une série de taches colorées, nous ne ferions sans doute que vivre de telles impressions, que notre réflexion devrait reconnaître comme purement subjectives. Il manquerait en effet à un semblable afflux sensoriel, pour s'objectiver, un certain ordre d'unification, si humble fût-il : celui par exemple que nous admettons en parlant d'une « continuité colorée ». En somme, pour que nous pensions avoir affaire à un objet, il faut que nous nous trouvions en face d'une construction mentale constituant un tout et possédant une signification. Un objet ne se définit et ne se libère qu'en s'organisant. Or, c'est là un résultat que la sensation réduite à elle-même, est hors d'état de nous apporter. D'abord un objet ne prend une signification que par la correspondance d'impressions appartenant à divers domaines de sens. Cette table saisie par ma vue par exemple n'est une table que si je peux m'appuyer sur elle, la parcourir du doigt, entendre le son qu'elle rendra si je la heurte.

— Si une de ces données venait à manquer, je douterais de la réalité des autres; si je n'étais pas capable d'établir entre elles une coordination je n'aurais pas plusieurs objets au lieu d'un, je n'aurais plus d'objet du tout. Aucun de nos sens pourtant n'est capable de grouper ces divers renseignements. D'autre part (et cela même si nous nous adressons à un ordre de sensations privilégié comme la vue qui fournit dans une seule intuition de larges ensembles), nous constatons que, dans son propre domaine, une telle variété d'impressions sensibles est loin de nous fournir des indications suffisantes. Je suis incapable de voir une statuette sous tous ses angles à la fois.

Un aspect de l'objet efface l'autre et ce qui me permet de savoir que ces visions se complètent n'est-ce pas quelque chose d'abstrait leur convenant a toutes, ou pour employer le langage de Platon, une « Idée » par participation à laquelle les données sensibles prennent un sens significatif ? Du reste, les sens seraient-ils en état de nous donner autre chose que des aperçus fragmentaires, nous ne serions pas encore hors d'embarras, car pour achever la construction d'une totalité il faut aussi en fixer la limite; autrement dit, dans le cas présent, il est nécessaire de savoir à partir de quel moment, un objet étant réalisé, on risque d'empiéter sur les objets voisins. Faut-il m'arrêter au bosquet,"à l'arbre, à la branche, à la feuille ? L'écume doit-elle être séparée de la vague ? Où est la chose ? Où est le fond ? Un tel discernement serait évidemment arbitraire, faute d'un ordre de relations entre des objets qui tirent leur sens de leurs mutuels rapports.

Or, la sensation est évidemment impropre à définir une chose et aussi bien pour cela à l'unir au reste de l'Univers qu'à opérer la synthèse de ses éléments constitutifs. Autant de considérations nous amenant à chercher sous le donné sensoriel formant la matière des objets l'intervention d'une activité qui unifie et sépare, pose des rapports et discerne les termes qu'elle relie; et n'est-ce pas là définir « la Pensée » ? Mais ce n'est pas assez de noter la présence d'une certaine tendance à l'unité pour en placer la source dans l'organisation intellectuelle. Rien a priori ne s'opposerait en effet à ce que le processus unificateur dérivât des impressions ellesmêmes.

Certaines sensations se faisant ordinairement cortège tendraient à se souder, constituant ainsi un objet. Une couleur rougeâtre par exemple, un contact frais, souple et granuleux, un parfum acide se présentant toujours en môme temps s'associeraient de manière à former l'orange sans qu'aucune intervention unificatrice fut nécessaire. Pour que se révèle l'entrée en ligne de la Pensée il faut non seulement qu'il y ait unification, mais unification selon un ordre, cet ordre reflétant les exigences et la structure de l'intellect. Or, n'est-ce pas là ce que démontre la perception des objets, et ce, depuis le cas le plus pauvre où l'unification intellectuelle traduit une simple exigence de stabilité jusqu'aux conditions les plus complexes où les impressions devront s'ajuster à un monde abstrait de rapports, comme si par une influence réciproque les structures rationnelles prenaient vie et réalité au contact des impressions sensorielles, les données issues des sens prenant à leur tour indépendance et objectivité au contact des cadres qui les sous-tendent ? Essayons d'apporter quelques précisions touchant cette armature de relations créatrices des « choses ». Entendons-nous bien.

C'est un fait que certaines impressions, se donnant habituellement à nous en simultanéité, tendent naturellement à former un tout isolé du reste de l'Univers, au point que, si une de ces impressions se présente à nous isolément, nous la tenons pour un signe nous avertissant de la présence prochaine des sensations qui lui sont ordinairement unies. Cette multiplicité de facettes sur lesquelles la lumière se brise, je sais qu'elle se prolonge par d'autres. »

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