Aide en Philo

Tout échange est-il nécessairement un marchandage ?

Extrait du document

« Notre sujet part d'un présupposé qu'indique nettement l'usage de l'adverbe « nécessairement », à savoir qu'il y a des échanges qui sont des marchandages.

L'enjeu reste toutefois de déterminer si l'échange n'est que marchandage.

En d'autres termes, la notion de marchandage épuise-t-elle celle d'échange ? Pour répondre, nous devons analyser les deux concepts en présence, afin de déterminer s'ils se superposent rigoureusement ou bien s'ils ne font que s'entrecroiser, l'échange marchand n'étant alors qu'une espèce, un cas, de l'échange lui-même. I – L'échange marchand : le marché et la marchandise P laton rattache l'échange marchand au processus de division de travail, lui-même lié à l'apparition de la cité.

En effet, c'est dans le cadre d'une vie collective que la production cesse d'être orientée vers la satisfaction des besoins propres et singuliers, chacun exerçant un métier précis (en fonction de son talent naturel selon Platon), ce qui suppose alors l'échange des produits et des services entre les hommes. L'échange marchand renvoie alors à une double dimension : celle du marché et celle de la marchandise.

Les deux restent évidemment fortement liés, si l'on considère que le marché est le lieu où s'échangent les marchandises, le but étant alors de déterminer la raison d'être de la fixité relative des proportions dans lesquelles s'échangent les objets durant une période donnée.

Si le marché désigne d'ailleurs à la fois le lieu ou l'endroit où se font les échanges (la place du marché) et un système unique d'opérations (le marché), il reste dans les deux c a s la place où s e marchande le prix des marchandises. L'échange marchand renvoie donc, grâce au marché et à la marchandise, au marchandage lui-même qui, au cours de l'échange, répond à l'exigence de déterminer un équilibre entre les termes de l'échange.

Saint T homas conférait à la coutume un rôle déterminant dans la fixation de cette équilibre : celle-ci assigne à chaque activité, à chaque travail, un prix, qui lui permet de reproduire sa propre activité productrice.

À l'inverse, l'économie politique moderne renverse cette idée du « juste prix » en plaidant pour une libre détermination du prix du travail par le marché, en fonction notamment de la loi de l'offre et de la demande. Q uoi qu'il en soit, l'échange de marchandises sur le marché correspond nécessairement à un marchandage, c'est-à-dire à la tentative de fixer le prix convenable à chaque marchandise, sans quoi telle ou telle marchandise ne pourra plus être produite, ruinant alors la possibilité même de l'échange. T outefois, cette définition est-elle vraie pour tout type d'échange ? II – L'échange et le don C e qui est certain, c'est que le marchandage ne reste pas attaché à la seule dimension de l'argent.

En effet, le troc vise, en l'absence d'argent, à établir un équilibre entre les biens ou les services échangés.

C e n'est donc pas hors de l'échange financier que nous devons chercher un type d'échange sans marchandage, mais au-delà de la recherche d'un équilibre au sein même de l'échange.

Si donc le marchandage se définit comme la recherche d'un équilibre , d'une réciprocité de valeur quant au contenu de l'échange, existe-t-il des échanges qui ne répondent pas à cette définition ? O n peut, sur ce point, penser au don.

O r, en quoi consiste-t-il ? Le don renvoie de manière fondamentale à l'acte de donner.

M ais, n'est-il que cela ? L'anthropologue Marcel M auss, dans son Essai sur le don, remarque que dans de nombreuses sociétés la circulation de biens sous la forme de don est en fait soumise à un principe de réciprocité.

C haque don appelle un contre-don, dont un exemple est ce que l'on appelle le potlatch (« action de donner » en langue chinook) pratiqué en A mérique du Nord.

Le potlatch n'engage pas les individus pris séparément, mais l'ensemble de la collectivité (tribu, clan, etc.) qui « donne » de manière outrancière à une autre collectivité (biens en tous genres : bijoux, pots, vêtements, etc.), au cours de cérémonies fastueuses dédiés à certains événements (transferts de pouvoir, funérailles, cérémonies d'héritage). C e qui nous intéresse ici, c'est l'obligation de rendre qui sous-tend le don ; précisons qu'il s'agit à la fois de l'obligation de rendre par un autre don, mais aussi de rendre ce qui a été donné.

Quoi qu'il en soit, cette obligation suscite une rivalité qui ne s'estompe qu'une fois un équilibre atteint entre les deux partis.

A insi, si l'on entend par marchandage la recherche d'un équilibre entre ce qui est donné et ce qui est reçu, force est de reconnaître que la logique du don se soumet au marchandage. L'échange économique peut être secondaire. «Dans les économies et dans les droits qui ont précédé les nôtres, on ne constate pour ainsi dire jamais de simples échanges de biens, de richesses et de produits au cours d'un marché passé entre les individus.» Mauss, Essai sur le don (1923). • L'anthropologue Marcel M auss a montré que les formes actuelles de l'échange marchand ne sont pas universelles.

On trouve des sociétés où l'échange économique utile n'est qu'une petite partie d'un système beaucoup plus global où «ce sont avant tout des politesses, des festins, des rites, des services militaires, des femmes, des enfants, des danses, des fêtes...» qui sont échangés entre tribus, sous forme de dons et de contre-dons.

Dans ce système du «potlatch », le pouvoir se mesure par la capacité à détruire ses richesses et à les distribuer, et non par l'accumulation et l'utilisation technique. • C ela ne veut pas dire que le bonheur social serait dans le renoncement aux échanges.

Sans doute la rationalisation de l'économie s'est-elle en partie bâtie à la faveur des conflits que provoquait l'économie du «potlatch».

M ais de telles études sur d'autres économies possibles nous mènent à réfléchir sur le caractère toujours symbolique de l'échange même quand il a l'air strictement utilitaire. III – Le marchandage est-il mauvais ? Il ressort de ce que nous avons dit que l'échange correspond toujours à un marchandage, dans la mesure où l'échange n'est perçu comme honnête que pour autant qu'il nous apparaît équitable, le marchandage étant le recherche d'une telle équité, d'un tel équilibre.

Et de fait, nous marchandons toujours dès que nous estimons que le prix d'une marchandise n'est pas juste. Le don n'est d'ailleurs échange marchandé que pour autant qu'il appelle un contre-don, autrement dit un échange équilibré.

Prolongeons ces remarques en disant que, tout type d'échange cherche, d'une manière ou d'une autre, à établir un équilibre.

Q u'est-ce qu'un échange de lettres quand notre correspondant ne répond p a s ? Q u ' e s t - c e qu'un échange de p o l i t e s s e s s i o n ne nous salue pas en retour ? Q u ' e s t - c e qu'un échange d'idées si mon interlocuteur ne réagit pas ? O r, même le don, nous l'avons vu, appelle implicitement un retour.

De même, lorsque j'offre des cadeaux de Noël à ma famille, j'attends – même si je ne le dis pas – des présents en retour.

M on insatisfaction sera grande si je n'obtiens rien à mon tour.

Peut-on dire, cependant, que je marchande des cadeaux contre d'autres cadeaux ? Y a-t-il échange marchand pour autant ? L'enjeu est ici de se fier à la définition du marchandage que nous avons donnée : s'il s'agit d'une procédure d'argumentation, par laquelle j'entends signifier ce que j'attends lorsque j'offre des cadeaux, alors il n'y a pas effectivement marchandage.

Mais, si on entend celui-ci comme la recherche, tacite ou avouée, consciente ou inconsciente, d'un équilibre, qui, loin de parfaire l'échange, le définit en propre, alors on peut dire qu'il y a marchandage.

En ce sens, le marchandage n'est pas mauvais, il ne ruine pas la spontanéité de l'échange, mais il le fonde. Conclusion : A insi, nous avons vu que l'échange se déroule sur le marché (qu'il s'agisse du lieu physique ou d'un milieu purement opérationnel) et se centre autour de la marchandise.

Échanger, c'est échanger équitablement, afin de garantir la possibilité de l'échange futur.

En ce sens, le marchandage correspond à l'ensemble des procédures qui vise à fixer la valeur du contenu de l'échange, c'est-à-dire à rendre l'échange juste.

C herchant alors un type d'échange qui ne soit pas marchand, nous avons rencontré le don.

C elui-ci, loin d'être un moyen de céder quelque chose sans retour, s'est avéré impliquer un contre-don. Nous avons alors vu que le don correspond à la recherche d'un équilibre, à travers laquelle nous avons reconnu le marchandage lui-même.

C 'est en ce sens que vont d'ailleurs nos dernières remarques, qui font du marchandage l'injonction implicite d'équilibrer l'échange.

Disons mieux : le marchandage, en tant qu'il assure l'équilibre de l'échange, définit l'échange lui-même.

En d'autres termes, un échange sans marchandage revient à donner ou à prendre sans contrepartie : cela est possible, mais ne constitue en rien un échange.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles