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Sommes-nous prisonniers du temps ?

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« Tandis que l'espace est réversible (je peux aller de Cherbourg à Paris et de Paris à Cherbourg), le temps est irréversible, ne peut être parcouru que dans une direction.

Ici je ne peux pas revenir en arrière, je ne peux pas revivre l'année précédente ; je ne cesse au contraire de m'en éloigner, le souvenir même que j'en ai évolue et se transfigure.

Le temps emporte tout sans retour, il m'empêche de fixer quoi que ce soit.

Héraclite, sensible au changements perpétuel de l'univers (« on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve »), a senti l'indifférence destructrice du temps, cet « enfant qui s'amuse à jouer aux dames ». On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.

HÉRACLITE Héraclite défend une conception du monde selon laquelle le monde est en éternel devenir, en éternel changement et; pour nous le faire comprendre, prend l'image du fleuve toujours changeant. Et ce, avec la conséquence suivante : « C'est justement cette grâce de la deuxième fois qui nous est refusée... chaque fois est à la fois première et dernière, et pour cette raison nous la disons primultime ».

Telle est pour Jankélévitch la « primultimité » du temps, conséquence de son irréversibilité. [Le temps m'enferme dans les limites étroites d'une durée irréversible qui va de ma naissance à ma mort. Le temps ne peut se parcourir que dans un seul sens.

Prisonnier d'un flux irréversible que je ne peux ni ralentir ni accélérer, je voudrais échapper aux limites qu'il m'impose, mais ce voeu est irréalisable.] Je ne peux jamais revenir en arrière Autant nous pouvons agir sur l'espace, ou du moins dans l'espace (le parcourir dans tous les sens, manipuler les objets, etc.), autant nous sommes démunis vis-à-vis du temps: nous ne pouvons échapper à son écoulement continu, ni l'accélérer ni le retarder, encore moins l'arrêter ou revenir en arrière.

Le temps " nous emporte ", ainsi que tout ce qui nous entoure, nous arrache ce à quoi nous tenons, il est facteur d'usure, de vieillissement - et finalement nous amène à la mort.

Le temps ne nous serait pas débiter par un caissier mais par un bourreau.

De plus, bien que nous y soyons immergés (comme nous le sommes dans l'espace), nous ne savons pas ce qu'il est : il est immatériel et, par son écoulement même, nous ne pouvons pas le " saisir " comme un objet pour l'examiner.

Nous sommes sous l'emprise du temps sans avoir de prises sur lui.

«Le temps est le maître absolu des hommes; il est, tout à la fois, leur créateur et leur tombe» (William Shakespeare, Périclès). Le temps passe, c'est son caractère essentiel, il fuit, et nous ne pouvons le retenir.

Dans sa fuite, il emporte tout, il nous arrache à nos moments heureux, à nos habitudes.

Il est ce qui apporte l'usure, l'érosion, le vieillissement, la dégradation, l'oubli (" et la mer efface sur le sable les pas des amants réunis ").

Inversement, il ne se laisse pas accélérer lorsque nous voudrions échapper à des moments malheureux, ou à l'ennui, ou à l'attente impatiente.

La littérature a abondamment développé ces thèmes.

Nous pouvons rien faire contre le temps et ses effets : nous ne pouvons pas l'arrêter, pas même l'accélérer ou le ralentir.

Nous pouvons accélérer ou ralentir ou arrêter un mouvement mais non le temps lui-même.

On connaît la supplice de Lamartine ("Oh! Temps suspends ton vol") et la malicieuse réplique d'Alain: "Mais pour combien de temps, le temps...".

Notre supplice est sans réplique, notre désespoir sans espoir: "Avec le temps tout va, tout s'en va...".

Nous n'avons aucune prise sur le temps, nous ne pouvons que le subir (cf l'étymologie de " patience " : patior, supporter, subir). Le temps est l'obstacle majeur que rencontre ma liberté Le temps m'impose doublement son rythme.

Je suis incapable de modifier le passé, même si je regrette certains de mes actes.

Je dois attendre que les événements adviennent pour les découvrir.

A la torture du remords qui exprime mon impuissance à l'égard du passé répond la torture de l'attente qui signifie la même impuissance face à l'avenir. De plus, dans cet avenir, la mort est à notre horizon, comme le destin inéluctable de toute vie.

Cf.

Pascal : " Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste : on jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais ".

L'avenir nous apparaît comme limité, bien court, et devant elle nos actions et nos projets nous apparaissent dérisoires.

Et ce n'est pas seulement nous, en tant qu'individus, qui sommes mortels, nous savons maintenant que les civilisations aussi sont mortelles.

Et peut-être même l'univers tout entier ( idées religieuses de la " fin du monde ", idée scientifique de la possibilité d'un " big crash " correspondant au " big bang ").

Pouvons-nous alors nous consoler de notre mort en comptant sur une postérité qui conservera nos oeuvres et nos traces ? Le temps nous apparaît donc comme essentiellement fluent, insaisissable, fuyant comme de l'eau entre nos. »

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