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Sans l'art, parlerait-on de beauté ?

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« [Introduction] Il arrive fréquemment que l'on s'extasie devant la beauté d'un paysage, d'une personne, d'un coucher de soleil, et l'on semble alors sous-entendre que des objets ou spectacles « naturels » recèlent en eux une incontestable beauté.

On peut toutefois se demander si la beauté ainsi repérée l'est indépendamment de toute connaissance ou référence artistique.

Lorsque Malraux affirme que l'on devient peintre, non en contemplant la nature, mais en visitant les musées, il indique que, pour l'artiste, le beau ne se conçoit d'abord que relativement à l'art et à son histoire.

Doit-on admettre qu'il en va de même pour tout individu, même s'il n'en prend pas nécessairement conscience, ou s'il s'illusionne sur le caractère spontané de sa conception de la beauté ? [I.

La beauté sans l'art] Pour Platon, le Beau est une Idée parfaite et éternelle, qu'une représentation matérielle ne peut qu'évoquer lointainement, et dégrader — précisément en raison de son inscription dans la matière imparfaite.

Dans cette optique, l'art lui-même, dans ses réalisations humaines, est nécessairement postérieur à l'existence de la beauté.

En prenant appui sur une telle conception, on en vient à considérer que la beauté d'un être naturel est plus proche de la beauté idéale que celle qui pourra se rencontrer dans une oeuvre d'art, puisque cette dernière ne sera qu'une «copie de copie », double dégradation de l'Idée transcendante. Il paraît pourtant difficile de s'en tenir à une telle définition de l'art, condamné à seulement « imiter » le monde sensible, car l'histoire de l'art, y compris lorsqu'il est bien figuratif, montre qu'on ne peut rendre compte des oeuvres par la notion restrictive d'imitation : le peintre, le sculpteur, le dessinateur ajoutent à ce qu'ils perçoivent des éléments qui modifient l'objet ou le spectacle « représenté ».

De telles modifications ne sont pas suscitées par la motif, mais bien par les exigences de la représentation artistique, c'est-à-dire par des règles d'organisation et de construction, culturellement variables, qui définissent les « écoles » ou les « styles » artistiques.

Kant soulignait dans ce sens que l'oeuvre n'est pas la représentation d'une belle chose, mais qu'elle constitue la belle représentation d'une chose, ce qui indique clairement que la beauté artistique est inédite, mais n'affirme pas cependant que ce soit elle qui constitue l'origine de toute notion de beauté. En fait, le problème considéré consiste à se demander si la beauté ne peut apparaître ou être conçue que grâce à l'art — dont l'inexistence aurait, entre autres conséquences, notre incapacité à évoquer si peu que ce soit et où que ce soit la présence du beau.

Ce qui semble rendre le problème difficile à résoudre, c'est qu'on admet qu'il existe des pratiques artistiques très tôt dans les sociétés humaines — puisqu'on en trouve des preuves dès les groupes de la préhistoire —, et que nous avons peu de chance de rencontrer une société ignorant l'art pour examiner si elle pourrait, malgré cela, parler de beauté. [II.

Les activités pratiques prioritaires] On peut toutefois considérer que l'art, même s'il naît rapidement, n'est sans doute pas une activité immédiate ou première de l'homme.

Les sociétés « originelles » ont dû d'abord résoudre leurs problèmes de survie — abri, alimentation, etc.

—, c'est-à-dire combler des besoins primaires, relativement auxquels le « besoin d'art » apparaît pour ainsi dire superflu ou « luxueux » : ce n'est qu'après un usage certainement très long des armes de chasse que l'on a commencé à les inciser et les décorer dans la préhistoire.

Et pour décorer les parois des grottes, il fallait d'abord que l'on y soit en sécurité, et que l'alimentation ne pose plus de problèmes. On peut d'ailleurs constater, encore aujourd'hui, que des sociétés traditionnelles, dans lesquelles des expressions artistiques existent bien, semblent ne guère être sensibles à ce que nous nommons les beautés de la nature — ce qui peut indiquer qu'un « paysage » est d'abord un espace de déplacement, de chasse, ou de danger, avant d'être contemplé « esthétiquement ».

Le regard esthétique implique un détachement relativement aux fonctions éventuelles de ce qui est regardé, et il n'est pas vraisemblable que ce détachement puisse avoir lieu dans un univers « primitif » où abondent les puissances et les esprits, où un végétal, un animal, un lieu sont d'abord des séjours du « surnaturel », pour n'être ensuite que des objets présentant éventuellement un intérêt fonctionnel.

Dans de telles conditions, il n'est pas étonnant que l'art de ces sociétés ne se réfère pas à la nature et ne soit guère interprétable en terme d'« imitation » : les aborigènes australiens, dans leurs peintures collectives (ou individuelles plus récemment), recourent volontiers à des signes abstraits, à des codes de représentation désignant des lieux ou des animaux, sans qu'un regard extérieur y trouve la moindre « ressemblance » avec ce qu'ils évoquent.

Dans ce cas, il semble difficile d'admettre l'existence d'une beauté présente dans ces lieux ou ces animaux avant leur représentation, dont la signification est fondamentalement mythique, liée à des récits et définie par des symboles qui n'empruntent pratiquement rien à leurs apparences ordinaires.. »

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