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Saint AUGUSTIN et le langage

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Voilà toute la portée des mots : à mettre les choses au mieux, ils ne font que nous avertir pour que nous cherchions les choses, ils ne nous les présentent pas pour que nous les connaissions. Celui-là en revanche m'enseigne quelque chose, qui me présente ce que je veux connaître soit aux yeux ou à quelque autre sens corporel, soit à l'esprit lui-même. Par les mots donc nous n'apprenons que des mots, moins que cela : le son et le bruit des mots ; car si les sons qui ne sont pas des signes ne peuvent être des mots, même à entendre un mot, je ne sais que c'est un mot que lorsque je sais ce qu'il signifie. C'est donc la connaissance des choses qui achève aussi la connaissance des mots ; mais à entendre des mots, on n'apprend même pas des mots, car nous n'apprenons pas les mots que nous savons ; et ceux que nous apprenons, nous ne pouvons affirmer que nous les avons appris qu'après en avoir saisi la signification, ce qui résulte non pas de l'audition des sons de voix, mais de la connaissance des choses signifiées. C'est un raisonnement très vrai et il est très vrai de dire que, lorsque des mots sont proférés, ou bien nous savons ce qu'ils signifient ou bien nous ne le savons pas ; si nous le savons, nous nous le rappelons plutôt que nous ne l'apprenons ; si nous ne le savons pas, nous ne nous le rappelons même pas, mais peut-être sommes-nous avertis pour le rechercher. Saint AUGUSTIN.

« Ce texte de st Augustin constitue une réflexion sur le rapport des mots aux choses, c'est-à-dire sur la notion de signification.

Loin que ce soit l'apprentissage des mots qui nous permette de saisir le monde et de nous y rapporter, de l'organiser en connaissance, c'est la connaissance des choses qui fonde celle des mots : le langage est un moyen mais il n'est pas inné, les mots se construisent sur la base de correspondances entre des sons et des choses que l'on y associe.

Toutefois, nous le verrons, le texte s'ouvre et se ferme sur une même idée, celle d'une fonction indicative du mot, malgré un défaut de connaissance quant à la signification de ce dernier n'est-il pas possible d'y voir la chose s'y esquisser ? La première phrase du texte ne prendra en fait tout son sens qu'au terme de l'explication, comprenons là dans un premier temps comme une annonce programmatique : les mots sont peut-être des indices de choses « ils ne font que nous avertir pour que nous cherchions les choses » mais ne nous en donnent pas la connaissance « ils ne nous les présentent pas pour que nous les connaissions ».

C'est à l'éclaircissement de la seconde partie de cette thèse que l'auteur procède ensuite. Les mots peuvent se présenter à nous sous divers rapports : nous pouvons les appréhender par la vision, l'ouïe ou par la pensée « me présente ce que je veux connaître soit aux yeux ou à quelque autre sens corporel, soit à l'esprit lui-même », (aujourd'hui les aveugles lisent grâce au braille qui sollicite le toucher, quant aux signaux animaux, dont on débat pour savoir s'il s'agit de langage, ils procèdent aussi au moyen d'ultrasons ou d'odeurs).

Or, la lecture, l'ouïe ou la pensée ne construisent pas des mots ex nihilo ; le mot pris sans la signification qu'il enveloppe n'est qu'une succession de sons « Par les mots donc nous n'apprenons que des mots, moins que cela : le son et le bruit des mots » ; il suffit de penser à ces occasions où nous entendons une discussion tenue dans une langue qui nous est tout à fait étrangère : nous ne percevons aucune cohérence, seulement un brouhaha.

Pour que les mots soient remplis de sens, il faut que nous les ayons associé à des choses suivant certaines règles. Il faut donc dire avec St Augustin que c'est la signification qui fonde le mot, nous sommes ici devant une situation paradoxale : la connaissance des choses ne procède pas de celle des mots, c'est plutôt l'inverse qui est vrai.

st Augustin écrit en effet « même à entendre un mot, je ne sais que c'est un mot que lorsque je sais ce qu'il signifie.

C'est donc la connaissance des choses qui achève aussi la connaissance des mots ».

Il faut bien voir en quoi une telle thèse apparaît paradoxale, pensons par exemple à la situation du très jeune enfant qui apprend à parler : n'a-t-on pas le sentiment qu'il apprend en même temps le sens des choses ? Or, précisément nous sommes victimes d'une illusion, ce n'est pas parce que l'enfant apprend à associer un mot (arbitraire) à une chose, par exemple à associer le mot « prise » à l'objet « prise de courant » qu'il comprend à quoi sert une prise.

La connaissance des mots n'est pas ici thématisée comme permettant à l'homme d'organiser pratiquement son environnement mais c'est sa possibilité, ses conditions, qui sont interrogées.

Un mot, même si l'enfant l'associe automatiquement à une chose, est encore vide de sens tant qu'il ne connaît pas la fonction de la chose.

C'est seulement lorsque l'enfant va comprendre que la prise n'est pas qu'un objet interdit mais ce qui permet de faire fonctionner les appareils ménagers, les lampes, la télévision, que le mot « prise » va réellement se remplir de tout son sens, comme le dit st Augustin c'est la connaissance de la chose qui achève celle du mot.

L'habitude que l'on a de croire que l'apprentissage d'un mot nous délivre la connaissance de la chose est donc ici remise en cause, les mots par eux même ne sont d'aucune efficacité.

Le mot est comme en retard sur lui-même : il exprime le sens d'une chose, mais tire sa valeur de sens uniquement de ce que nous connaissons la chose, y aurait-il une connaissance des choses antérieure au langage ? Ici le langage apparaît comme secondaire dans l'ordre de la connaissance. L'auteur insiste sur la priorité de la connaissance des choses sur celle des mots : le mot entendu qui n'est associé à rien n'a pas de sens et n'est donc pas un mot.

Ce qui fait que le mot a valeur de mot c'est qu'il est emplit d'une signification, or celle-ci ne nous est délivrée que par la connaissance des choses « nous ne pouvons affirmer que nous les avons appris qu'après en avoir saisi la signification, ce qui résulte non pas de l'audition des sons de voix, mais de la connaissance des choses signifiées ».

La signification est moins le rapport d'expression entre un mot et une chose que la connaissance d'une chose qui, en retour nous permet de donner son sens au mot qui y correspond.

Ce qui nous dérange à la lecture d'une telle thèse, dont la logique semble imparable, c'est évidemment que ce que nous nommons « connaissance des choses » est toujours thématisé par le biais du langage, il nous est difficile de dissocier la connaissance d'une chose des mots qui expriment cette connaissance.

Or, en réalité la connaissance d'une chose n'implique effectivement pas la connaissance des mots décrivant cette connaissance.

Je peux effectivement savoir me servir de telle ou telle chose sans avoir appris ou songer à la nommer.

Par exemple untel aura appris à jouer aux échecs en regardant des parents y jouer mais sans savoir nommer ni le nom des ouvertures ni les pièces (que l'on ne nomme pas lorsque l'on joue). Pour finir l'auteur expose deux situations : « et il est très vrai de dire que, lorsque des mots sont proférés, ou bien nous savons ce qu'ils signifient ou bien nous ne le savons pas ; si nous le savons, nous nous le rappelons plutôt que nous ne l'apprenons; si nous ne le savons pas, nous ne nous le rappelons même pas, mais peut-être sommes-nous avertis pour le rechercher ».

Si nous connaissons le sens d'un mot, il ne s'agit pas d'une réactualisation d'association, je ne réapprends pas le sens d'un mot chaque fois que je le prononce, c'est bien plutôt une mémoire automatique qui est ici sollicitée.

La spécificité du langage humain est que la chose est présentée par le mot, autrement dit que on peut parler d'une chose en son absence, cet aspect symbolique du langage (je parle d'une personne absente en disant « il », d'un événement passé…) serait impossible sans la mémoire. Le second cas nous permet d'ouvrir le texte, puisqu'il concède quelque efficacité au langage pris en lui-même et fait écho à la toute première phrase de notre texte.

Le mot, seul, ne nous permet pas de connaître la chose, mais peut-être en est-il un indice, peutêtre nous indique t-il en filigrane à quoi il correspond.

Le mot, par lui-même, pourrait donc nous guider vers la chose.

Il faut ici penser aux possibilités d'associations sur la base d'une correspondance sémantique entre un son et une signification.

Par exemple j'ai le mot allemand « Gegenstand », j'ignore ce qu'il signifie mais je sais que « gegen » signifie « contre » et « stand » fait penser à « standen » qui veut dire « tenir debout » : je dispose donc d'indices pour déduire ou du moins approcher du sens véritable du mot, qui signifie en fait « objet ».

Autre exemple : je rencontre dans un texte de Nietzsche de La généalogie de la morale le terme de « dyspepsie », j'ai beau en ignorer le sens, le contexte semble m'indiquer qu'il s'agit d'un trouble physiologique (précisément c'est l'incapacité de digérer). La connaissance du mot n'est donc achevée que par celle de la chose, les sons forment un mot cohérent et rempli de sens seulement lorsque je comprend tout de la chose à laquelle il est associé.

La fonction du mot, lorsque nous ne connaissons pas sa signification, n'est pas de nous délivrer la connaissance de la chose mais de nous indiquer ce qu'elle peut-être.

Le mot est donc gros de signification soit par le contexte dans lequel on le trouve, soit par sa sonorité qui, décomposée, nous fournit peut être quelque indice sémantique, soit peut-être encore par sa tonalité.

Le mot indépendamment de la chose n'est donc pas tout à fait inefficace, son allure m'averti de la chose à laquelle il correspond.. »

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