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Qu'est-ce qu'une nation doit à l'État ?

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« Mais on peut se demander si l'intérêt de chaque individu pour sa sécurité crée un lien assez fort pour les amener tous à vivre ensemble.

Ce qui unit les membres d'une société, n'est-ce pas aussi ce qu'ils partagent : une langue, la terre de leurs ancêtres, des coutumes, une culture, et éventuellement une religion ? Si l'on place au premier plan ces raisons-là de vivre ensemble, on est conduit à faire de la nation le cadre naturel de l'existence collective.

Selon cette conception, les individus sont liés à la communauté nationale par le lien de la naissance (le mot nation vient du latin natus, né).

Ils appartiennent à la nation par tout ce qu'ils ont reçu sans l'avoir choisi.

La vocation de l'État est, dans ce cas, d'incarner la nation conçue et idéalisée sur ce modèle ethnique.

Le danger existe alors d'imputer toutes les difficultés que la société rencontre à la présence d'individus n'appartenant pas à la communauté nationale.

Le risque est d'en venir à confier à l'État la mission d'expulser les corps étrangers, les « parasites» qui perturbent l'harmonie sociale.

L'État est alors chargé de procéder à la purification ethnique, linguistique, religieuse, etc.

de la société. La conception républicaine de la nation s'oppose radicalement à ce modèle ethnique.

Sans nier les facteurs affectifs d'attachement à une société concrète, à son territoire, son mode de vie, à son histoire, à sa culture, on peut considérer qu'ils ne sont pas la propriété exclusive des natifs, des nationaux « de souche ».

On peut être membre d'une société par l'adhésion volontaire et réfléchie à un mode d'organisation politique, et en particulier aux valeurs incarnées par un État républicain.

C'est cette conception qu'Ernest Renan a illustrée en définissant la nation comme « un plébiscite de chaque jour ». Qu'est-ce qu'une nation ? - ERNEST RENAN (1882) La conférence que prononce Ernest Renan à la Sorbonne, le 11 mars 1882, sous l'intitulé « Qu'est-ce qu'une nation? », nous apparaît aujourd'hui comme une sorte de manifeste de la conception élective de la Nation dont l'aspiration universaliste fait référence aux Lumières (du reste, Renan renvoie explicitement au Qu'est-ce que le Tiers-Etat ? de l'abbé Sieyès).

Pourtant, il s'agit d'abord d'un texte de circonstance destiné à contrer la thèse allemande développée au début du siècle par Fichte (Discours â la nation allemande) et réactivée depuis pour justifier après 1870 l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine.

Le nationalisme allemand, parce qu'il s'appuie sur la notion de race et non pas sur un projet politique, est dangereux : « Si l'on se met à raisonner sur l'ethnographie de chaque canton — explique Renan à David-Frédéric Strauss dans sa correspondance —, on ouvre la porte à des guerres sans fin.

» Pour cesser, par conséquent, ce qu'il appelle ces « guerres zoologiques », Renan se propose de clarifier l'idée de Nation à l'esprit de ses auditeurs (une « idée claire en apparence, mais qui prête aux plus dangereux malentendus ».) Il va récuser un à un les critères sur lesquels se croit fondé le « nationalisme objectif ».

La race ? Le mot recouvre tant d'acceptions variées qu'il est presque impossible de s'entendre sur une définition opératoire.

En outre, la question de savoir s'il existe encore en Europe des « races pures », c'est-à-dire sans aucun mélange, mérite d'être posée : « La vérité est qu'il n'y a pas de race pure et que faire reposer la politique sur l'analyse ethnographique, c'est la faire porter sur une chimère.

» Renvoyé à sa dimension idéologique, le critère de la race est alors écarté.

La langue ? Fichte est plus directement visé (puisqu'il fait de la culture et partant de la littérature, donc de la langue, le ciment national).

Or la langue, si elle invite à la réunion ne peut y forcer.

Il y a quelque chose qui la transcende, quelque chose de supérieur et qu'on nommera volonté qui accomplit des prodiges que la communauté linguistique ne réalise pas.

Un exemple ? La Suisse. « La volonté de la Suisse à être unie, malgré la variété de ses idiomes, est un fait bien plus important qu'une similitude souvent obtenue par des vexations.

» La religion ? L'histoire récente la confine aux limites de la vie privée.

Le commerce ou la géographie? Ils ne tiennent pas compte de la dimension spirituelle de la nation.

La matière ne suffit pas à rassembler les peuples. Bref, Renan prépare l'auditoire à recevoir la définition, désormais très célèbre, qu'il prépose : « Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore.

Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune.

L'existence d'une Nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l'existence de l'individu est une affirmation perpétuelle de vie.

». »

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