Qu'est-ce qu'un homme civilisé ?
Extrait du document
«
Introduction.
— Nombre de citadins, quelques modestes que soient leur culture et leur situation sociale, s'estiment
supérieurs aux gens de la campagne qui, souvent, manifestent plus de personnalité dans leurs jugements et une plus
grande distinction naturelle dans leurs rapports sociaux.
C'est que, en milieu urbain, les occasions de s'affiner, de
s'instruire, de se mettre au courant de la marche du progrès sont plus fréquentes.
Aussi des mots qui, dans les
langues anciennes, désignaient la ville, sont dérivés des termes valorisateurs : « urbs » a donné urbanité ; « civitas
», civilisation ; c'est aussi « civilisation » que, autrefois, signifiait « police » dérivé du grec « polis », et, de nos jours
encore, « policé » est à peu près synonyme de « civilisé ».
A cause, sans doute de cette origine, civilisation et civilisé se disent surtout des groupes humains et des peuples.
On les applique bien aussi aux individus, mais on peut se demander si alors ils ne changent pas quelque peu de sens.
C'est pourquoi, après avoir rappelé ce qu'on entend par « peuple civilisé », nous nous demanderons ce qui
caractérise un individu civilisé.
I.
— UN PEUPLE CIVILISÉ
Les ethnologues entendent par « civilisation » le genre de vie propre à un pays ou à une société.
Le mot évoque,
non seulement la religion, les moeurs, l'organisation familiale ; le mode de production, mais encore les coutumes
vestimentaires et alimentaires, l'habitation, etc.
En ce sens tout peuple a une civilisation.
Toutefois dans l'usage
ordinaire le mot prend une acception valorisatrice.
On dira, par exemple, que l'Europe a apporté aux autres
continents la civilisation et non une civilisation nouvelle.
Ainsi la civilisation est dans le sens du progrès et on ne
rattache à la civilisation que des manières d'être ou d'agir tenues pour supérieures par celui qui parle.
« Civilisé » n'est jamais utilisé qu'en ce sens.
Bien qu'on parle de la civilisation de la pierre polie, on ne dira pas que
les hommes de cet âge étaient civilisés : leur genre de vie et leur mentalité sont trop frustes, leurs rapports sociaux
d'une structure trop élémentaire.
A.
Pour beaucoup, pour un trop grand nombre ce sont les conditions de la vie matérielle qui distinguent un peuple
civilisé de celui qui ne l'est pas.
Avec la civilisation, habitat, vêtements, alimentation s'améliorent, tendant à satisfaire, au-delà des besoins
organiques, d'autres besoins de nature supérieure : besoins esthétiques, besoin de ne pas se distinguer des autres
ou, au contraire, de se faire une personnalité...
Mais, de nos jours, par suite du développement accéléré des techniques, un peuple est tenu pour civilisé dans la
mesure où la machine vient à l'aide de l'homme ou même prend sa relève.
Le primitif ne peut compter que sur ses mains pour subvenir à ses besoins.
D'importants progrès résultèrent de
l'invention d'outils qui prolongeaient la main et augmentaient sa puissance ; puis de la domestication des animaux
dont la force musculaire, grâce au joug, remplaça dans une grande mesure celle de l'homme.
Mais la révolution
industrielle qui se produisit dans les pays civilisés résulta de la captation des énergies naturelles qui peu à peu
remplacèrent les animaux : vent, eau, houille, pétrole et bientôt la désintégration atomique...
De nos jours beaucoup
tiennent qu'un peuple est d'autant plus civilisé que chacun de ses membres dispose en moyenne d'un plus grand
nombre de kilowats ou, comme on dit, d'esclaves mécaniques.
En somme, c'est d'après le degré de mécanisation d'un peuple que beaucoup jugent de sa civilisation.
Voit-on dans
les champs un ouvrier qui retourne la terre à la bêche ou même avec une charrue traînée par une paire de boeufs,
doit-on ralentir sur la route, pour se plier à l'allure de carrioles tirées par un âne ou par un cheval, on se dit que ce
pays n'est pas encore bien civilisé.
Au contraire, un réseau serré de fils électriques sillonnant la campagne, le bruit
des moteurs dans les champs et dans les fermes, la traînée que laisse après lui dans le ciel un avion à réaction,
l'embouteillage des carrefours aux heures de pointe..., voilà quelques indices qui nous font croire que nous vivons au
milieu d'un peuple civilisé.
Mais nous n'avons vu jusqu'ici qu'un côté de la civilisation : sa face extérieure ou superficielle, l'aspect que prennent
les choses.
Or la civilisation est essentiellement humaine.
C'est donc surtout l'organisation des rapports humains qui
distingue un peuple civilisé.
B.
Ne peut être dit civilisé qu'un peuple de solide institutions encadrant les individus ou plutôt dans lesquelles les
individus s'encadrent : car on hésiterait à tenir pour vraiment civilisé un peu dans lequel quelques familles
aristocratiques, ayant le monopole de la culture et du pouvoir, imposeraient aux autres une certaine manière de
penser et de vivre ; la classe dirigeante serait alors civilisée, mais pas le peuple.
Les institutions les plus importantes sont les institutions politiques grâce auxquelles il y a une cité («polis», en
grec).
Un peuple civilisé constitue un Etat : il est régi par des lois ou par des coutumes reconnues par l'ensemble de
la population ; un gouvernement assure l'application de ces lois et veille à promouvoir le bien commun ; enfin
l'organisation judiciaire punit la transgression des lois et arbitre les conflits entre particuliers.
Toutefois, l'étymologie
du mot (« civis », citoyen), nous le suggère, à mesure qu'un peuple se civilise, ses membres deviennent capables de
participer à l'organisation de leur pays et y participent soit indirectement par le vote soit directement en assumant
une charge dans les services publics.
Le développement de cette capacité suppose tout un ensemble d'institutions culturelles et éducatives.
Un peuple
cultivé fournit à sa jeunesse de grandes possibilités de s'instruire, de se former le goût par l'initiation aux arts, de
développer harmonieusement son organisme par le sport, surtout de s'attacher aux vraies valeurs : l'éducation
véritable est d'abord et normalement liée à la religion, ce qui suppose aussi des institutions religieuses.
Cette éducation ouvre les coeurs au souci des autres.
D'où tout un complexe d'institutions sociales.
Elles s'inspirent
du sentiment de la valeur des personnes et de leur égalité foncière.
D'où le souci de protéger les faibles, d'assurer à.
»
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