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Qu'est-ce qu'un corps social ?

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« Au peuple des pauvres de Rome, décidé à se séparer des plus riches qui profitaient de son travail, Ménénius Agrippa conta une fable symbolique : quand le corps humain n'était pas encore un tout harmonieux, leur dit-il, les membres laborieux voulurent cesser de travailler pour l'estomac qui, se nourrissant du travail de tous, ne faisait rien ; sur le point de dépérir, ils comprirent que lui seul leur communiquait la vie.

En est-il vraiment de même pour le corps social ? 1.

LA SOCIÉTÉ EST-ELLE COMME UN CORPS ? A - Le corps et l'âme de la société L'âme commanderait au corps, com me le gouvernement à la société ; sans l'âm e, le corps serait sans vie, sans gouvernement, l'État serait sans existence.

Sans la forme organisatrice d'un pouvoir, la société se dissiperait en un chaos d'individus entrant en conflit. Selon Rousseau pourtant il y a plus originaire que l'acte par lequel un peuple se donne un chef, c'est l'acte par lequel un peuple se fait un : c'est cet acte d'union volontaire, ce «plébiscite de tous les jours» de la nation (Renan), qui est l'âme d'un peuple, et l'unité d'un corps social. Qu'est-ce qu'une nation ? - ERNEST RENAN (1882) La conférence que prononce Ernest Renan à la Sorbonne, le 11 mars 1882, sous l'intitulé « Qu'est-ce qu'une nation? », nous apparaît aujourd'hui comme une sorte de manifeste de la conception élective de la Nation dont l'aspiration universaliste fait référence aux Lumières (du reste, Renan renvoie explicitement au Qu'est-ce que le Tiers-Etat ? de l'abbé Sieyès).

Pourtant, il s'agit d'abord d'un texte d e circonstance destiné à contrer la thèse allemande développée au début du siècle par Fichte (Discours â la nation allemande) et réactivée depuis pour justifier après 1870 l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine.

Le nationalisme allemand, parce qu'il s'appuie sur la notion de race et non pas sur un projet politique, est dangereux : « Si l'on se met à raisonner sur l'ethnographie de chaque canton — explique Renan à David-Frédéric Strauss dans sa correspondance —, on ouvre la porte à des guerres sans fin.

» Pour cesser, par conséquent, ce qu'il appelle ces « guerres zoologiques », Renan se propose de clarifier l'idée de Nation à l'esprit de ses auditeurs (une « idée claire en apparence, mais qui prête aux plus dangereux malentendus ».) Il va récuser un à un les critères sur lesquels se croit fondé le « nationalisme objectif ».

La race ? Le mot recouvre tant d'acceptions variées qu'il est presque impossible de s'entendre sur une définition opératoire.

En outre, la question de savoir s'il existe encore en Europe des « races pures », c'est-à-dire sans aucun mélange, mérite d'être posée : « La vérité est qu'il n'y a pas de race pure et que faire reposer la politique sur l'analyse ethnographique, c'est la faire porter sur une chimère.

» Renvoyé à sa dimension idéologique, le critère de la race est alors écarté.

La langue ? Fichte est plus directement visé (puisqu'il fait de la culture et partant de la littérature, donc de la langue, le ciment national).

Or la langue, si elle invite à la réunion ne peut y forcer.

Il y a quelque chose qui la transcende, quelque chose de supérieur et qu'on nommera volonté qui accomplit des prodiges que la communauté linguistique ne réalise pas.

Un exemple ? La Suisse. « La volonté de la Suisse à être unie, malgré la variété de ses idiomes, est un fait bien plus important qu'une similitude souvent obtenue par des vexations.

» La religion ? L'histoire récente la confine aux limites de la vie privée.

Le commerce ou la géographie? Ils ne tiennent pas compte de la dimension spirituelle de la nation.

La matière ne suffit pas à rassembler les peuples. Bref, Renan prépare l'auditoire à recevoir la définition, désormais très célèbre, qu'il prépose : « Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore.

Elle suppose un passé ; elle s e résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune.

L'existence d'une Nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l'existence de l'individu est une affirmation perpétuelle de vie.

» Ainsi, distinct du corps social comm e le comm andant du commandé, le gouvernement ne serait que la promotion d'une partie du corps social, une fois son unité décidée.

Le corps social apparaît donc comme le tout des individus obéissant à un (monarchie), quelques-uns (aristocratie) ou la majorité d'entre eux (démocratie). B - L'indépendance des membres de la société Les individus ne sont pas aussi dociles que les doigts de la main : chacun peut vouloir tout régir.

La société n'est pas un organisme, s i chacun de ses organes n'en fait qu'à sa tête, mais un ensemble d'organismes indépendants. Avant de tout faire pour conserver le corps social, l'homme fait tout pour conserver son propre corps : plutôt le sacrifier pour soi, que se sacrifier pour lui.

Qu'est-ce qu'un corps dont les membres peuvent vivre les uns sans les autres ? Les plébéiens avaient-ils besoin, comme le leur assurait Ménénius Agrippa, des patriciens pour vivre ? 2.

LA SOCIÉTÉ ORGANIQUE A - L'individu et le corps social En apparence, il n'y a d'harmonie qu'autant que les intérêts des homm es s e répondent ; hors de cette situation particulière, pas de cohésion sociale, pas de corps social.

Le principe de l'individu affronte le principe du corps social. Cependant, l'égoïsme de chacun des membres d'une société n'est-il pas le plus sûr des liens sociaux ? C'est peut-être en effet comprendre la nécessité du corps social, que de faire, à la manière de Mandeville dans sa célèbre fable comparant la société humaine à une ruche, du besoin que chacun a pour lui-même des autres la nécessité pour chacun de servir les autres en pareille mesure. Il apparaît donc nécess aire de distinguer encore deux sens du corps social : société des besoins, liée par la nécessité de l'utile et la liberté du goût, le corps social de l'économie s'oppose au corps politique de l'État, où chaque membre a le devoir de se sacrifier au salut du tout. Quels sont cependant les rapports qu'entretiennent la société des besoins et l'État ? B - L'État totalitaire et l'État gendarme C'est en vue du tout et de l'unité du corps que chacun des membres travaille, même à ses dépens.

Subordonnée au corps politique, la société des besoins n'est qu'un moyen de sa conservation ; c'est l'argument qui fonderait le totalitarisme. Il faudrait donc, faire au contraire de l'unité politique le m oyen de conservation de la société civile des besoins : réduit à la défense des individus, l'État gendarme ne prétend jamais être le but du corps social. On ne saurait donc renoncer à la métaphore du corps social.

Réduit à la société des besoins, il se fonde sur l'égoïsm e des individus et ses membres se réduisent à des classes économiques ; subordonné au contraire à l'État, le corps social a pour but premier de conserver son unité : le bourgeois doit alors endosser l'uniforme du soldat citoyen, et défendre la république qui l'a nourri.. »

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