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Qu'est-ce qu'expliquer ?

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« Loin de fournir une définition de l'explication, qui serait aussi une explication et ainsi à l'infini, il faudrait s'interroger sur son statut et aux domaines auxquelles elle s'applique.

Expliquer, c'est donner les causes, rester aux plans des phénomènes et en rendre raison. Aussi, pour les mêmes phénomènes, il a existé plusieurs explications successives et parfois concurrentes.

Mais, cela évite encore le problème plus fondamental, qui est ce sur quoi porte l'explication, sur les causes.

Mais connaissons-nous les causes ? Avons-nous une idée du moteur de toutes choses ? N'est-ce pas faire preuve de prétention de connaître les causes dernières des choses ? Aussi, la science ne devrait se contenter que de décrire les choses et non de les expliquer.

Il faudrait délimiter les domaines de la connaissance. 1) Expliquer et comprendre dans les sciences. Qu'est-ce qu'expliquer ? La science cherche une « explication », c'est-à-dire l'insertion de la réalité qu'elle décrit dans un système abstrait de concepts, débordant les faits singuliers que l'expérience nous propose.

Une explication ainsi entendue suppose que les faits à expliquer soient transposés d'abord sous la forme d'un « modèle » abstrait, dont les éléments puissent être définis par leurs relations mutuelles et, pour certains d'entre eux, par un protocole de rapports avec l'expérience.

Aussi, anciens et médiévaux expliquent en termes de substances et de causes : ils admettent des atomes, des agents (causes efficaces et transitives), des supports d'actions causales (fluides propagateurs, vertus sympathiques, espèces sensibles émanées ou reçues, etc.), des formes facteurs d'unité et d'activité (formes substantielles).

À l'époque suivante, on a vu, dans ces substances, formes et actions, autant d'abstractions réalisées, d'ailleurs peu sûres : les énoncés sur ces entités sont invérifiables et n'ouvrent la voie à aucune activité pratique.

Descartes admet encore deux substances qui se diversifient entre les phénomènes individuels.

Dans le cadre du paradigme cartésien (l'explication par figure et mouvement), on ne peut pas comprendre comment la modification de l'état d'un corps a pour effet la modification d'un autre corps.

Leibniz et Malebranche montrent que les relations importent plus que les substances.

À l'action d'une substance qui se transporte dans une autre, et qui est inintelligible, Leibniz substitue une harmonie, c'est-à-dire une loi de correspondance entre les modifications d'individus (les monades), tous reliés entre eux.

Les rationalistes classiques ne pouvaient être que très sélectifs en matière d'admission de causes, puisqu'ils exigeaient qu'elles fussent en même temps des raisons : « causa sive ratio », l'expression se trouve dans Spinoza et dans Leibniz, peut-être déjà dans Descartes (Newton lui-même emploie les termes cause ou raison pour désigner la recherche d'une explication).

Les analyses psychologiques de Hume vont dans le même sens que l'épuration effectuée par l'école cartésienne ; elles suppriment la causalité transitive et ne conservent que des successions ou des concomitances constantes.

Tous préparaient, à leur insu, le positivisme de l'époque suivante, qui élimine tout bonnement les causes.

La réussite de la physique newtonienne contribue à faire délaisser la recherche des causes agissantes pour celles des relations quantitatives entre les phénomènes.

Mais la loi n'explique pas, elle décrit une corrélation (en l'idéalisant), indique un rapport entre des conditions et un conditionné.

Les épistémologues positivistes soutiennent que les idées de cause et de force sont anthropomorphiques, et que d'ailleurs nous pouvons nous dispenser d'en admettre.

« Quand les sciences sont très développées, elles emploient de plus en plus rarement les concepts de cause et d'effet, car ils sont provisoires, incomplets et imprécis.

Dès qu'on arrive à caractériser les faits par des grandeurs mesurables, ce qui se fait immédiatement pour l'espace et le temps, ce qui se réalise par des détours pour les autres éléments sensibles, la notion de fonction permet de représenter beaucoup mieux les relations des éléments entre eux... 2) L'explication, thèse métaphysique ? La méthode que le fondateur du positivisme, Auguste Comte a eu le mérite de reconnaître comme imposée à la physique, en ces termes : renonciation à la recherche des causes, réduction de la science à la détermination des lois des phénomènes.

» La science n'a pas à expliquer ; elle ne le pourrait qu'en supposant des substances et des actions : les premières sont insaisissables, les secondes inintelligibles.

Elle se contentera de décrire.

D'ailleurs, ajoute Duhem, les explications sont toujours caduques ; ce qui survit des théories, ce sont les lois systématisées en langage mathématique, non pas les hypothèses réalistes, qui ne procurent qu'une illusion passagère d'intelligibilité : ce qui est recevable au titre de causes (formes substantielles médiévales, forces, fluides impondérables et tourbillons, du XVIIe au XIXe siècle) dépend de dispositions psychologiques, d'habitudes de pensée variables suivant l'époque.

Comte recommandait de s'abstenir de ces hypothèses, sauf en vue de « relier les faits ».

À l'époque contemporaine, le recul des causes et de l'explication causale est lié à deux facteurs : d'une part la considération d'états de choses microscopiques où interviennent une multitude d'agents que nous sommes incapables d'isoler et d'individualiser, d'une autre part la difficulté de connaître l'état initial d'une façon exacte, en sorte que la causalité serait « sans contenu physique ».

S'y est ajouté le règne d'une idéologie athéiste ou existentialiste pour laquelle le déterminisme impliquerait la croyance en un Dieu qui aurait prédéterminé la série de tous les événements à l'infini dans le passé et dans l'avenir. 3)La vraie place de l'explication. On ne saurait saisir la teneur du projet du philosophe allemand Dilthey (1833-1911) pour qui « Nous expliquons la nature, nous comprenons la vie psychique » : elliptique, la célèbre formule peut égarer.

En réalité, Dilthey ne réduit nullement l'histoire à la compréhension.

Les objets de l'historien, situés dans l'espace et le temps, font eux aussi partie de la nature et se trouvent soumis à ses lois, à commencer par le principe de causalité.

Toutefois, les phénomènes historiques, tout en partageant la soumission de la nature au déterminisme, sont aussi des phénomènes signifiants ; comme tels, ils évoquent l'idée d'une causalité intentionnelle, celle des acteurs sociaux dont il faudrait, pour cerner cette dimension du sens, reconstituer les choix, sédimentés dans l'historicité.

Ce pourquoi, en tant que la réalité historique, effet de causes antécédentes, présente aussi des « effets de sens », la démarche cognitive devra articuler explication et compréhension : une approche compréhensive doit venir compléter l'investigation causale dès lors que l'objet ne relève pas seulement de la nature, mais s'inscrit dans ce que Dilthey désigna comme « monde de l'esprit ».

Au demeurant, la notion n'évoque ici nul « monde intelligible », ni un quelconque « univers nouménal », et renvoie simplement à cette sphère du sens qui est la trace de l'activité mentale (« spirituelle ») des sujets vivants et agissants. Conclusion. L'explication, la description, la compréhension sont des notions intriquées.

L'explication n'est pas qu'un domaine métaphysique, l'explication pour être valide doit être insérée dans un protocole scientifique d'expérimentation.

L'explication est le but de la science, mais celle-ci ne s'y réduit pas, comme dans la science du passé.

Décrire, c'est le travail de l'expérimentation, travail qui servira à expliquer un phénomène.

Quand le matériau est humain, on ne peut parler d'explication, mais de compréhension.. »

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