Qu'est-ce qu'être maître de soi ?
Extrait du document
«
Position de la question.
Tous les moralistes ont préconisé la maîtrise de soi comme un aspect essentiel de la
moralité personnelle.
Nous avons ici à déterminer en ce quoi consiste exactement cette maîtrise de soi et à
quelles conditions elle peut être réalisée.
I.
Le « moi profond ».
A.
— Bergson a donné le nom de « moi profond » à cette partie de notre «
moi » qui est toute spontanéité, qui est subjectivité pure et qui n'est pas
soumise aux nécessités de l'action pratique.
De l'aveu même de BERGSON
(Données immédiates, p.
98), ce «moi profond» est «confus, infiniment
mobile et inexprimable ».
Il est caractérisé par une « absurdité
fondamentale » (Ibid., p.
101) en ce sens qu'il ne se prête pas à la logique
de l'intelligence.
— La psychanalyse, elle aussi, nous a montré que, sous le
« moi » proprement dit, il existe un « soi » (ou, comme a dit Freud, un «ça
») formé de toutes les forces inconscientes, de tous les instincts qui sont
le fond de l'être humain.
B.
— Il faut se hâter d'ajouter que ce moi « profond » ou inconscient n'est
pas notre vrai moi.
Il ne présente aucun des caractères de la personnalité
véritable.
Il manque de cohérence et d'équilibre; il s'impose à nous de
façon impulsive plutôt que nous ne le gouvernons vraiment ; il est fait de
forces obscures qui s'opposent à la lucidité de la pensée consciente : «
C'est là, a écrit G.
BELOT, qu'on rencontre, au lieu de la liberté,
l'automatisme; au lieu du vouloir, des impulsions aveugles ; au lieu de
l'harmonie et du consensus, les incohérences, les contradictions, les
obscures batailles de la vie intérieure».
Comment soutenir que nous serions
véritablement maître de nous-même si nous nous abandonnions à ces
forces instinctives et inconscientes ? Nous apercevons ainsi une première condition de la maîtrise de soi : c'est
que nous sachions dominer ces forces impulsives, les soumettre à la loi de la raison et à la discipline de notre
volonté, être, en un mot, une personne au lieu de rester un être tout d'instincts.
L'homme qui est vraiment
maître de soi, est celui qui est capable de commander à ces impulsions, celles des instincts physiques comme
aussi celles de l'émotivité irréfléchie.
II.
«L'homme des masses».
A.
— L'homme vit en société, et il y a toute une partie de lui-même qu'il tient de ses attaches sociales.
Trop
souvent même, il se borne à refléter les idées, préjugés, sentiments, manières d'agir, etc., qu'il a reçus ainsi de
son milieu, et alors il en est aussi esclave qu'il peut l'être, par ailleurs, de ses instincts et des forces
inconscientes du moi profond ».
Il en est souvent ainsi dans les sociétés primitives où la personnalité
individuelle est peu développée et où «tout le monde admet ce que personne n'a réellement pensé ».
Mais le
même résultat risque de se produire dans nos sociétés modernes où l'homme devient de plus en plus «l'homme
des masses », où la propagande sous toutes ses formes (journal, publicité, radio, télé, etc.) met en danger son
sens critique, où enfin, par suite de la multiplication des groupes sociaux qui l'enserrent et de la « mécanisation
sociale » (comme a dit le sociologue mexicain L.
MENDIETA Y NUNEZ, Théorie des groupements sociaux, p.
193) qui en résulte, l'individu est atteint d'une véritable « dépersonnalisation », devient incapable d'agir et de
juger par lui-même, bref ne s'appartient plus.
Ajoutons-y ces "mouvements irréfléchis " des foules, ces
entraînements collectifs, dont l'historien DAUNOU disait déjà en 1829 que, grâce à eux, «les prestiges passent
pour des réalités, les déviations pour des découvertes et les pas rétrogrades pour des marches triomphales ».
B.
— Là est peut-être le plus grand danger qui menace la maîtrise de soi chez l'homme moderne.
Il ne pourra y
parer qu'en veillant soigneusement à conserver son autonomie et son esprit critique ; en résistant à ces
entraînements irréfléchis des masses ; et, tout en satisfaisant aux obligations de la vie sociale, en se refusant
énergiquement à tout ce qui menace de l'asservir et de le réduire au rôle de rouage dans cet immense
mécanisme.
Conclusion.
L'homme doit être maître de soi parce qu'il doit être une personne, et non l'esclave de ses
impulsions ou le simple reflet de son milieu social.
Mais il ne peut l'être qu'à condition de faire prédominer en lui
la raison et la pensée claire sur toutes les impulsions plus ou moins troubles, d'où qu'elles viennent..
»
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