Qu'est-ce qu'être maître de soi ?
Extrait du document
«
Introduction
• Qu'est-ce que déployer une force et un dispositif stratégique s'appliquant à soi, au sujet lui-même? Être maître de
soi désigne, en effet, en première approximation, la mise en jeu d'un pouvoir.
« Être maître de», c'est bel et bien
actualiser un pouvoir.
Mais que désigne, en profondeur, cet exercice d'un pouvoir sur soi, sur le sujet, sur la
conscience, pouvoir exercé par cette conscience sur elle-même ? Que représente cet effort de l'homme pour se
faire lui-même ? Tel est le sens de l'intitulé de sujet.
Que désigne le pouvoir sur soi ?
• Omniprésente dans le langage quotidien, cette notion de pouvoir, suggérée implicitement dans l'intitulé — qui nous
interroge sur une forme de pouvoir — est l'une des plus complexes et diverses qui soient.
Le pouvoir, d'essence
sociale, peut-il concerner le sujet lui-même et la conscience? Le dispositif stratégique et le déploiement d'une force
peuvent-ils s'appliquer à la conscience? Tel est le problème soulevé par l'intitulé, qui interroge sur la validité de la
notion de pouvoir quand elle s'applique à la conscience agissant sur la conscience.
N'y a-t-il pas là quelque
paradoxe ?
• L'enjeu est évident car le problème est en connexion avec des thèmes pratiques.
« Être maître de soi » n'est pas
(d'abord) une notion spéculative, mais pratique: enveloppant une liberté possible du sujet humain.
A.
Être maître de soi, c'est se connaître : savoir ce que nous sommes
«Je suis maître de moi comme de l'univers; Je le suis, je veux l'être.
Ô siècles, ô mémoire, Conservez à jamais ma
dernière victoire!» CORNEILLE, Cinna, acte V, scène III.
À côté, en effet, de la maîtrise sur les choses, du pouvoir politique et social, ne peut-on parler d'une maîtrise de soi
et d'un pouvoir sur soi? Et que désignent-ils exactement ?
Maîtriser un processus, c'est organiser une stratégie vitale pour soumettre à une force ce processus.
Or, qu'est-ce
que le « soi» ? C'est le sujet lui-même, la conscience du sujet.
Ce sujet, cette conscience exigent une maîtrise ou
un pouvoir, l'exercice d'une force.
Pourquoi? Parce que le « soi », s'il n'est pas maîtrisé, ne peut que se perdre dans
le chaos ou le vide, dans l'écoulement incessant des pulsions, des désirs ou des passions.
Si je n'agis pas sur le «
soi », alors je me perds moi-même, je m'égare.
Le soi s'écoule, pris dans un flux et un flot irrationnels.
Qu'est-ce
donc qu'être maître de soi ? N'est-ce pas d'abord se saisir, se connaître, appréhender ses passions, mesurer leur
impact et leur sens, les interpréter et les comprendre? N'est-ce pas parcourir le champ qui va de l'opaque au
transparent? Spinoza nous le dit fort bien: une passion cesse d'être une passion quand nous en formons une idée
claire et distincte.
A.
Mécanisme des passions
C'est en effet l'imagination qui préside au développement des passions.
Elle procède par rapprochements,
associations, ressemblances vagues, causalités illusoires, — loin de tout rapport conforme à l'ordre réel des choses.
Subir des passions, c'est avoir l'âme passive, c'est-à-dire ignorante des causes.
Voyons à l'oeuvre la logique passionnelle.
Si j'ai vécu mon plus grand chagrin au printemps, cette saison sera cause
de tristesse, sans raison qui tienne au printemps lui-même.
De même, si je subis un outrage d'un homme membre
d'une communauté quelconque, je garderai une méfiance irrationnelle envers tous les membres de cette
communauté, par simple généralisation.
Si une chose qui m'agace a une ressemblance avec une autre que j'aime, je
la haïrai et l'aimerai en même temps : c'est le flottement de l'âme, ou ambivalence.
B.
L'homme passionnel
Entraînés par ces associations automatiques, nous sommes réduits en esclavage par nos passions.
Passifs, nous
sommes séparés de notre puissance, rendus étrangers à nous-mêmes.
Les passions tristes en particulier nous
amenuisent, nous détruisent.
Nous pensons, par exemple, à la mort, ce qui est contraire à toute sagesse, car la mort est une idée inadéquate,
étrangère à notre nature qui n'implique qu'affirmation d'elle-même dans le conatus.
En ce sens, le sage doit vivre
comme s'il n'allait jamais mourir.
Dès lors, être maître de soi, n'est-ce pas se connaître de mieux en mieux, forger des idées adéquates du soi,
interpréter le sens de nos conduites, comme d'ailleurs le montre Freud (cf.
ci-dessous), rejoignant Spinoza?
L'interprétation n'est-elle pas d'abord connaissance ?.
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