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Qu'est-ce que s'orienter ?

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« Lorsque nous ne savons pas quel chemin prendre il nous faut prendre un point de repère, une décision, réfléchir, s'orienter c'est avant tout choisir.

Mais comment s'oriente t-on ? Et ne faut-il pas d'abord se perdre pour faire l'épreuve de l'orientation ? S'orienter c'est devoir se confronter à un dehors encore inconnu, au sens propre ou au figuré, c'est-à-dire que nous avons aussi à nous orienter dans la pensée.

Or justement, lorsque nous sommes désorientés intellectuellement, y a-t-il encore des cartes pour nous guider ? Nous verrons que c'est en dernière analyse le Je, corps ou esprit, qui fonde le sol d'une orientation possible. I- S'orienter c'est se repérer par rapport à un objet du dehors. Le langage parle d'un sens de l'orientation, on pourrait y voir une façon peu claire et approximative pour désigner notre capacité à nous orienter ; mais au lieu de cela il faut sans doute y lire un fond de vérité, s'orienter n'est pas une opération mécanique de simple calcul. Les machines peuvent nous servir à nous orienter (balise gps, boussole, radar…) mais ne s'orientent pas ellesmêmes.

Pourtant s'orienter est encore irréductible à l'usage que nous pouvons apprendre à faire des techniques citées.

Les moyens techniques facilitent l'orientation mais ne la créent pas, il nous faut donc réfléchir à ce qu'est s'orienter de soi-même. Pourtant même quand la technique nous fait défaut il semble que l'on prenne toujours appui sur un élément du dehors pour nous retrouver, même si nous sommes perdus dans un endroit inconnu et dont nous ne savons rien lire (le désert, la forêt vierge) nous pouvons encore essayer de nous orienter grâce aux bruits, à la position d'une une étoile, grâce un détail dans le paysage.

Aussi désespérée qu'elle soit la tentative d'orientation réclame et nécessite des appuis réels, des points de repères.

On ne s'oriente pas dans la nuit mais seulement si nos sens ont une matière à lire. II- La faculté d'orientation est avant tout corporelle. Ce n'est pas le dehors, la matière, qui rend possible l'orientation mais le corps, les sens, peut-être même qu'ils nous suffisent pour nous orienter dans la nuit, en effet, ce n'est pas seulement notre vue mais également notre ouïe, notre odorat et notre toucher qui peuvent nous permettre de nous orienter.

Il est vraisemblable que les animaux n'utilisent pas autant que nous la vision pour se repérer.

C'est tantôt leur mémoire spécifique qui est mise à contribution lors des migrations, l'ouïe ou l'odorat permettant par exemple de localiser une menace invisible. Mais au-delà de cette multiplicité c'est, en tout cas chez l'homme, sur l'épreuve du corps propre que se fonde la possibilité de l'orientation.

Dans le Cours sur la nature Merleau-Ponty écrit : « Mon corps est à la fois objet et sujet.

Comment réconcilier ces deux points de vue ? C'est une chose qui a un rapport particulier avec les choses, et qui nous fournit le degré zéro de l'orientation, son modèle.

Mon corps est ici l'absolu.

C'est de lui que procèdent tous les lieux de l'espace (…) Je pourrais ensuite déplacer les normes, mais l'idée de norme a été fondée par mon corps.

L'absolu dans le relatif, voilà ce que mon corps m'apporte.

». Les normes spatiales du haut et du bas, de la droite et de la gauche, sont fondés à partir de l'éprouver que je fais de mon propre corps, avant même d'être fonction des sens la possibilité de s'orienter se conjugue à la possibilité de la motricité.

Quoique relatif, objet parmi le monde, plus fragile qu'un autre, c'est à partir de mon corps que se déploie la normativité de l'espace, en ce sens il n'y a littéralement d'espace que pour un corps. III- Les écueils de l'orientation. Souvent nous parlons d'orientation intellectuelle, nous apprenons des méthodes plus ou moins scolaire et préfabriquées pour nous diriger dans notre travail, nos choix et nos pensées.

Il est vital de savoir s'orienter dans un territoire où se perdre peut être mortel, (s'orienter est finalement intimement lié au fait de se rassurer, on peut rappeler l'usage qui est fait dans les contes ou dans les mythes du fait de se perdre, qui a donc quelque chose de terrifiant : le petit poucet, hansel et gretel,…).

Mais est-il viable pour la pensée de toujours être orientée ? Il est incontestable que faire de la philosophie est impossible si l'on a pas reçu l'éducation des auteurs, si l'on ne s'est pas confronté aux difficultés, aux problèmes des grands textes. Or, penser c'est savoir s'écarter des sentiers battus dans lesquels aucune réflexion n'est possible, que la redite de ce qu'on a appris.

L'écueil de l'orientation se manifeste dans l'exercice de la pensée, penser ce n'est pas parcourir un chemin d'idée toute faites (Cioran écrit dans ses cahiers, de façon certes allusive, « l'histoire de la philosophie est la négation de la philosophie »).

C'est-à-dire que la pensée ne naît qu'en bordure du déjà pensé, il y a une aventure vitale de la pensée, c'est en ce sens que les grandes figures de la philosophie sont des hommes à part dans la cité, qui ne vont pas dans le sens indiqué et imposé (Socrate, Spinoza, Rousseau…). Penser c'est donc tout autant se désorienter, s'égarer, afin de construire soi-même de nouveaux points de repères, les concepts sont ceux-là en philosophie.

On retrouve quelque chose de l'antagonisme cartésien entre le doute hyperbolique au service de l'activité intellectuelle (seule l'évidence doit être tenue pour indubitable) et le fait de devoir tenir de façon ferme et résolue une décision quoique objectivement incertaine si elle concerne un problème non gnoséologique mais pratique (sortir de la forêt, cf Le discours de la méthode).

S'orienter peut donc, appliqué à la penser, signifier tourner en rond, tandis que c'est une nécessité d'un point de vue pratique. Conclusion : S'orienter est une opération proprement corporelle, même si les indices dont nous nous servons nous sont extérieurs c'est le corps-sujet qui fonde la possibilité de lire de tels indices.

C'est avant tout par nos mouvements que nous déchiffrons l'espace et pouvons nous l'approprier.

S'orienter n'est pas une faculté rationnelle mais charnelle. Toutefois l'orientation peut elle-même devenir sclérosante, en effet il n'y a peut-être d'invention possible, intellectuelle ou esthétique, que si l'on ignore les chemins balisés, en ce sens une nouvelle pensée ou un nouveau courant artistique est désorientant pour l'opinion.

Même pour s'orienter dans l'histoire de la philosophie c'est à soi qu'en revient la possibilité, au sens où c'est en faisant en première personne la réflexion de l'auteur qu'on est capable de se repérer et de s'approprier sa pensée (c'est manifeste pour la philosophie française, par exemple Descartes, Maine de Biran ou Merleau-Ponty et encore Spinoza, Hegel, Fichte, Husserl…).. »

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