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Qu'est-ce que la connaissance de son passé apporte à un peuple ? ?

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« [Introduction] Dans un roman d'anticipation, 1984, l'écrivain anglais George Orwell avait imaginé une société dans laquelle le dirigeants interdisaient au peuple de connaître exactement son histoire en la falsifiant au gré de leur volonté politique.

Qu'apporte donc d'essentiel l'examen des événements de passé? Quelles conséquences l'ignorance de son histoire entraînerait-t-elle pour un peuple? Cette dernière n'est-elle pas l'instrument de la liberté des peuples? Mais, même s cette connaissance s'avère essentielle, un trop fort attachement au passé ne risque-t-il pas d'être une entrave à l'action des peuples? N'est-il pas, dans certaines situations, indispensable de s'affranchir de l'histoire? Quel pourrait être pour un peuple le bon usage à faire de l'histoire? [I.

Qu'adviendrait-il d'un peuple privé de son histoire ?] Comment définir précisément ce qu'est un peuple? Ernest Renan dans son discours de 1882, Qu'est-ce qu'une nation ?, s'est efforcé de répondre à cette question.

Après avoir écarté certaines hypothèses jugées insuffisantes pour définir un peuple (la langue, le territoire, la religion...), Renan finit par répondre: un peuple se définit par un passé revendiqué en commun.

Être du même peuple, c'est avoir le sentiment d'avoir souffert ensemble.

Cela ne signifie pas que les hommes aient effectivement vécu tous la même chose, mais qu'ils reconnaissent dans ce passé la marque de leurs racines.

Un peuple, c'est d'abord une histoire revendiquée en commun.

A insi, un peuple sans histoire perdrait-il bien autre chose qu'une somme de connaissances acquises, il perdrait tout ce qui fait son identité.

De la même manière qu'on ne peut concevoir un individu sans passé, on ne peut concevoir un peuple sans histoire. Qu'est-ce qu'une nation ? - ERNEST RENAN (1882) La conférence que prononce Ernest Renan à la Sorbonne, le 11 mars 1882, sous l'intitulé « Qu'est-ce qu'une nation? », nous apparaît aujourd'hui comme une sorte de manifeste de la conception élective de la Nation dont l'aspiration universaliste fait référence aux Lumières (du reste, Renan renvoie explicitement au Qu'est-ce que le Tiers-Etat ? de l'abbé Sieyès).

Pourtant, il s'agit d'abord d'un texte de circonstance destiné à contrer la thèse allemande développée au début du siècle par Fichte (Discours â la nation allemande) et réactivée depuis pour justifier après 1870 l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine.

Le nationalisme allemand, parce qu'il s'appuie sur la notion de race et non pas sur un projet politique, est dangereux : « Si l'on se met à raisonner sur l'ethnographie de chaque canton — explique Renan à David-Frédéric Strauss dans sa correspondance —, on ouvre la porte à des guerres sans fin.

» Pour cesser, par conséquent, ce qu'il appelle ces « guerres zoologiques », Renan se propose de clarifier l'idée de Nation à l'esprit de ses auditeurs (une « idée claire en apparence, mais qui prête aux plus dangereux malentendus ».) Il va récuser un à un les critères sur lesquels se croit fondé le « nationalisme objectif ».

La race ? Le mot recouvre tant d'acceptions variées qu'il est presque impossible de s'entendre sur une définition opératoire.

En outre, la question de savoir s'il existe encore en Europe des « races pures », c'est-à-dire sans aucun mélange, mérite d'être posée : « La vérité est qu'il n'y a pas de race pure et que faire reposer la politique sur l'analyse ethnographique, c'est la faire porter sur une chimère.

» Renvoyé à sa dimension idéologique, le critère de la race est alors écarté.

La langue ? Fichte est plus directement visé (puisqu'il fait de la culture et partant de la littérature, donc de la langue, le ciment national).

Or la langue, si elle invite à la réunion ne peut y forcer.

Il y a quelque chose qui la transcende, quelque chose de supérieur et qu'on nommera volonté qui accomplit des prodiges que la communauté linguistique ne réalise pas.

Un exemple ? La Suisse. « La volonté de la Suisse à être unie, malgré la variété de ses idiomes, est un fait bien plus important qu'une similitude souvent obtenue par des vexations.

» La religion ? L'histoire récente la confine aux limites de la vie privée.

Le commerce ou la géographie? Ils ne tiennent pas compte de la dimension spirituelle de la nation.

La matière ne suffit pas à rassembler les peuples. Bref, Renan prépare l'auditoire à recevoir la définition, désormais très célèbre, qu'il prépose : « Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore.

Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L'existence d'une Nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l'existence de l'individu est une affirmation perpétuelle de vie.

» La connaissance du passé apporte aux hommes, ainsi que l'a montré Schopenhauer dans son texte, une meilleure intelligibilité du présent.

Ce que nous avons sous les yeux, c'est-à-dire l'actualité d'une génération, ne prend très souvent toute sa signification que parce qu'elle est mise en relation avec des éléments du passé.

La connaissance de l'histoire [II.

Mais la connaissance du passé n'est-elle pas pour un peuple la source de quelques désavantages ?] L'écrivain Paul V aléry s'est montré très sévère à l'égard de l'histoire dans ses Regards sur le monde actuel: « L'histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l'intellect ait élaboré.

Ses propriétés sont bien connues.

Il fait rêver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au délire des grandeurs ou à celui de la persécution, et rend les nations amères, superbes, insupportables et vaines.

» L'histoire contient, en effet, tant d'exemples qu'elle peut permettre de justifier absolument tout ce que l'on veut.

Les exemples ne manquent pas de cet usage négatif de l'histoire: sitôt qu'un tyran veut fanatiser un peuple, il commence toujours par lui rappeler sa gloire passée et les prétendus responsables de sa chute présente.

Les tyrans usent de l'histoire de la façon qui les arrange. D'ailleurs peut-on vraiment tirer du passé des leçons utiles pour le présent ? Hegel, dans La Raison dans l'histoire, en doutait fortement: « Chaque époque, chaque peuple se trouve dans des conditions si particulières, forme une situation si particulière, que c'est seulement en fonction de cette situation unique qu'il doit se décider.

» Le présent, en effet, n'est-il pas toujours inédit? En face de lui, les leçons du passé ne risquent-elles pas d'apparaître comme « un pâle souvenir [...] sans aucun pouvoir sur le monde libre et vivant de l'actualité »? Ainsi Hegel se moquait-il des références aux exemples grecs et romains que faisaient les Français pendant la Révolution. Pour pouvoir agir librement sur le présent, ne doit-on pas parfois s'affranchir du poids de l'histoire? Les peuples français et allemand auraient-ils pu dès le lendemain de le guerre construire les bases de ce qui allait devenir l'Union européenne s'ils étaient restés les prisonniers d'un passé fait de haine et de querelles ? Clore la porte du passé peut être un moyen de construire l'avenir. [III.

Quel bon usage un peuple peut-il faire de son histoire?] Il ne saurait être question de nier l'intérêt de la connaissance de l'histoire pour les peuples; c'est en elle qu'ils puisent leur identité.

Mais il convient que cette connaissance soit raisonnée.

De la même manière qu'un homme peut aller puiser dans son passé les rancoeurs, les ressentiments et toutes les nostalgies qui lui interdiront d'agir librement dans le présent, les peuples peuvent aussi faire de leur histoire un usage qui leur soit préjudiciable. C'est pour cela que la connaissance du passé ne doit pas se faire sans précaution.

Tout le travail de l'historien consiste dans ce difficile effort de dégager les faits des passions qui les accompagnent.

En restituant la connaissance la plus objective du passé, les historiens offrent aux hommes la possibilité d'en faire un usage véritablement critique. [Conclusion] Un peuple sans histoire perdrait jusqu'à son identité.

C'est par une connaissance objective et critique de leur passé que les peuples peuvent espérer agir efficacement et librement sur leur présent.. »

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