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Qu'est ce que désirer . ?

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« Le désir est une expérience singulière, qui semble être, pour le sujet désirant, l'épreuve d'une constante frustration.

En effet, à l'inverse de ce qui se passe pour le besoin, le désir n'est pas comblé par l'obtention de l'objet qu'il vise, ce dernier semble bien davantage servir de relais pour le désir qu'il n'en assouvit le manque.

Autrement dit le sujet désirant est comme victime d'un aveuglement : il est attiré non par quelque objet susceptible de le combler mais par cela même qui entretient le manque qu'il éprouve.

La satisfaction réelle et définitive du désir n'est-elle pas en droit improbable ? Nous verrons que ce paradoxe : être animé par une visée dont le remplissement est pourtant sans efficacité, n'est pas une attitude contingente et absurde mais en accord avec l'essence même de l'homme. I- Le désir ne peut être comblé par ce qu'il vise. L'envie, le besoin, correspondent à l'expression d'une tension de l'homme, qu'il lui est possible d'assouvir pourvu qu'il en ai les moyens.

Le rapport du besoin à son objet est un simple rapport de remplissement : un vide est comblé.

Le besoin est causé par quelque occasion physiologique (la faim m'oblige à chercher de quoi me nourrir, la sensation de douleur me contraint à y chercher un remède) ; l'envie, elle, n'est pas nécessaire (elle est un besoin que l'on peut dire secondaire, c'est-à-dire contingent, non vital), elle dépend de l'état d'esprit du sujet et particulièrement de l'attention qu'il porte à son environnement.

Tandis que le besoin compris comme expression d'une exigence physiologique est une épreuve organique, l'envie est une épreuve sensitive : c'est par l'exercice des cinq sens que se créent nos envies. Le désir diffère de ces deux évènements ; sa structure ne se déploie pas sur le mode binaire du vide et du remplissement, certes, un objet est visé et peut-être obtenu, or la différence tient à ce que, pour autant, aucune satisfaction n'est réellement conquise : au contraire le désir est alimenté par cela même qu'il vise.

Le manque est reconduit par cela qui est censé le combler, c'est là une conception thématisée par Lévinas (cf.

En découvrant l'existence avec Husserl et Heidegger).

Le paradoxe consiste en ce décalage, cette fuite en avant du désir sur lui-même, plus il est comblé et davantage notre manque ce creuse, il est comme l'horizon qui ne cesse de reculer à mesure que l'on avance vers lui. Aussi, le désir étant nécessairement inassouvi, est-il parfois l'occasion d'une souffrance ; le sujet est dépourvu puisque ses efforts ne font que faire renaître le manque corrélatif du désir.

Les personnages décrit par Bataille dans ses nouvelles érotiques illustrent bien cette situation, leur désir ne cesse pas et, ne pouvant supporter cette tension perpétuelle, les protagonistes n'ont de cesse de poursuivre leur quête effrénée de satisfaction et de surenchérir dans la mobilisation des moyens pour l'obtenir, même s'ils ont conscience que leur entreprise sera sans fin. II- L'objet du désir. C'est à la psychanalyse que revient d'avoir formulé l'idée d'une méprise inconsciente du sujet à son propre désir : si le désir n'est jamais comblé c'est peut-être parce que le sujet ne vise pas le bon objet.

L'objet désiré se révèle toujours un autre, il n'a de cesse de glisser en autre chose, de prendre une autre forme, il ne s'enkyste pas dans un seul objet.

Quoique ce concept n'a cessé d'évoluer et pris de multiple sens chez Lacan, ce dernier a formulé le concept de l'objet a, et qui au moins un moment dans sa théorie, signifiait cet objet du désir tel que le sujet ignore toujours en vérité sa véritable nature. Mais pourquoi l'homme ne viserait-il pas ce qu'il désire réellement ? On peut se servir ici de la distinction lacanienne entre plaisir et jouissance, la seconde n'est pas une intensification quantitative du premier, elle est d'un autre ordre, elle est insupportable pour le sujet parce que trop forte, elle est l'occasion d'une souffrance.

Le plaisir (par quoi il faut entendre la jouissance quotidienne) est un état de compromis : la Loi (c'est-à-dire une sorte de surmoi) commande en effet au sujet de jouir le moins le possible, la jouissance n'est donc jamais réellement visée, le sujet doit se contenter de composer avec le plaisir. C'est peut-être parce que le sujet s'interdit à lui-même sa propre jouissance que l'obtention de l'objet du désir ne coïncide jamais avec un état d'apaisement mais ne fait que reconduire le manque.

Mais ce défaut inhérent à la conduite de l'homme n'est pas une contingence psychique, elle est bien plutôt révélatrice de l'essence même de l'homme.

On peut commencer par remarquer que la vie n'est possible que dans l'épreuve d'un écart entre soi et son milieu, c'est ce que Bichat dit à sa manière en faisant s'opposer l'organique à l'inorganique, la mort correspondant à coïncidence du vivant avec son milieu. III- Le désir comme révélateur de l'essence de l'homme. La leçon physiologique de Bichat, profession d'un vitalisme selon lequel le vivant est donc se qui résiste à toute absorption ou réduction à l'état inorganique de son milieu, peut-être transposé sur un plan existentiel, c'est en quelque sorte ce que fait Sartre dans L'être et le néant.

Sartre distingue l'en soi du pour soi.

L'être n'existe qu'en soi : il n'existe que comme rempli de lui-même, plein de luimême, ce sont les objets qui sont en soi.

L'homme est un être qui existe pour soi, il est doué d'une intériorité, il se perçoit comme étant. Or, le pour soi n'est pas il existe, l'être ne pouvant être que s'il est plein de lui-même on ne peut dire que l'homme est puisque l'homme existe précisément sur le mode du défaut de lui-même. En effet, l'existence de l'homme est temporalisée, l'homme est un être de projet qui n'est pas ce qu'il doit être mais qui a à être ce qu'il est (Sartre reprend ici la distinction heideggérienne de Etre et temps entre les étants et le Dasein, soit l'homme tel que son essence consiste à devoir se réaliser). L'homme est donc tout entier un être de potentialité, l'existence correspond à ce décalage : l'homme a à réaliser sa propre essence, vivre c'est être en défaut de soi même. Or, justement, le désir se révèle, par cette dialectique singulière qui le caractérise, comme essentiel à l'homme, à travers le désir l'homme ne cesse pas en effet de réactualiser son humanité c'est-à-dire cet écart entre soi et soi-même.

Le désir est ce par quoi l'homme reconduit un hiatus en son propre sein ; non pour des raisons psychologiques mais en fonction d'une nécessité existentielle. Conclusion : L'apparent paradoxe qui caractérise le désir révèle en fait la nature intrinsèque de l'homme : il est un être en défaut de luimême, qui a à être ce qu'il est ; le désir est une épreuve existentielle et non un incident psychique.

Désirer ce n'est donc pas simplement se confronter à une frustration mais c'est exister comme homme, c'est-à-dire comme être toujours tourné vers l'avenir et versé dans le projet.. »

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