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Quel crédit accorder au langage ?

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« Problématique envoyée par l'élève: Accorder un crédit à une chose, c'est lui reconnaître une valeur, c'est lui faire confiance.

Accorder du crédit à une parole, c'est croire ce que l'on nous dit et le considérer comme vrai.

Inversement, n'accorder aucun crédit à ce que dit une personne, c'est ne pas la prendre au sérieux et ne pas la croire.

Il s'agit donc de se demander quelle confiance on peut accorder au langage.

Si la question se pose, c'est parce que le langage pourrait nous tromper.

Plusieurs approches sont alors possibles.

On peut s'interroger sur la fidélité du langage aux choses.

En effet, on pourrait alors reprocher au langage de déformer la réalité, de la transformer, d'être incapable de nous rendre compte de l'essence des choses.

On peut également refuser un crédit au langage parce qu'il peut nous manipuler, être un instrument de persuasion.

On peut aussi considérer que le langage n'est pas nécessairement action, qu'il peut être le lieu des promesses non tenues.

Pensez, dans cette perspective au pouvoir des mots et à la force de la rhétorique.

Ainsi, il semble bien que de multiples raisons nous conduisent à nous méfier du langage.

Néanmoins, quelles conséquences faut-il en tirer ? En effet, vivre avec les autres, échanger, communiquer, n'implique-t-il pas de faire nécessairement confiance au langage ? Il faudrait alors ici se demander quelle attitude nous devons avoir face au langage à partir du moment où son usage peut être fallacieux et dangereux alors qu'une confiance semble nécessaire. La question du crédit à accorder au langage pose le problème de la confiance qu'on peut lui accorder.

En effet, si le langage permet la communication entre les hommes, n'est-il pas souvent pris en défaut par la violence des échanges humains ? Si le langage permet d'exprimer sa pensée, le permet-il de manière adéquate, c'est-à-dire sans la trahir ? Si le langage nous permet de nous référer aux choses du monde, peut-il être plus qu'un simple instrument ? En somme, le langage n'est-il qu'un instrument, qui plus est faillible, dont l'utilité est certes avérée, mais qui en soi n'apporterait rien de fondamental ? Intéressons-nous donc au rôle du langage, à son fonctionnement et à ses ressources.

Tentons de comprendre ce que peut apporter le langage et ainsi déterminer quel crédit lui accorder. I – Le rôle du langage À proprement parler, le langage n'est pas le propre de l'homme, puisque certains animaux possèdent des formes de langage et de communication. Cependant, il ne s'agit pas de cas comparables à ce que connaissent les humains.

En effet, le linguiste Émile Benveniste prend l'exemple des abeilles qui, une fois une source de nourriture détectée, retournent à la ruche et effectuent une danse en forme de huit afin d'informer leurs congénères.

La fréquence des frétillements de l'abeille code la distance du nectar, et l'inclinaison de la danse par rapport à la verticale la direction dans laquelle il se situe.

Bien qu'il soit extrêmement riche, ce langage est parfaitement prévisible.

En revanche, l'homme peut s'abstraire d'une situation donnée et tenir toutes sortes de discours différents. Le langage humain permet donc un mode de communication particulier, nettement différent de celui que l'on trouve dans le monde animal.

Deux autres traits du langage vont dans ce sens : 1/ l'arbitraire du signe, thématisé par le linguiste Saussure.

Cela signifie simplement que le signe linguistique ne ressemble pas au mot qu'il exprime.

Par exemple, le mot citron ne ressemble pas à un citron, à l'inverse d'une photo.

2/ Le langage humain est créatif, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de limite au nombre de messages que l'on peut émettre.

De fait, beaucoup de phrases nous sont entièrement nouvelles et nous les comprenons cependant ; par exemple, « un ouragan a ravagé la face cachée de la lune ». Ainsi, le langage apparaît comme un système de communication élaboré, arbitraire (au sens où il ne dépend pas de la situation présente ou des objets décrits) et créatif.

Cela peut-il jouer en faveur de son crédit ? II – Le fonctionnement du langage Si le langage est instrument de communication entre les hommes, c'est qu'il leur permet à la fois d'exprimer leurs pensées et de parler des choses qui les entoure.

Dans De l'interprétation, Aristote dit justement que « les sons émis par la voix sont les symboles des états de l'âme » ; ajoutons qu'ils sont aussi les signes des choses.

En effet, au lieu d'emporter avec moi les choses, je ne retiens que les signes linguistiques qui circulent et que je peux transmettre librement dans la conversation. Si l'on prend en compte ces caractéristiques au regard de ce que nous avons dit précédemment, le langage est alors ce qui me permet de parler de moi, des autres et du monde, même s'il ne sont pas là sous mes yeux et même si je n'ai jamais rencontré une telle situation (le langage est, nous l'avons dit, créatif).

Cependant, le langage est-il toujours fidèle à ce que nous voulons dire ? En d'autres termes, n'existe-t-il pas des sentiments que nous ne pouvons exprimer, c'est-à-dire de l'indicible (qui ne peut être dit) ? Les mots ne sont-ils pas parfois ambigus ou trop faibles, ce qu'attesterait le recours à la violence ? De ce point de vue, le langage est un instrument, certes efficace, mais défaillant et fragile.

Ses défaillances peuvent nous conduire à la violence et l'interrogation politique a pour but de préserver la possibilité de la parole, malgré son aspect limitatif.

Toutefois, le langage ne présente-t-il que de telles caractéristiques ? Le crédit à accorder au langage tient également à son importance : n'est-il alors qu'une forme fragile de communication ou bien peut-il prétendre à autre chose ? III – La métaphore et les ressources du langage L'interrogation contemporaine sur le langage tend à distinguer soigneusement les langues du langage.

Le langage n'est donc pas exactement la langue que je parle et le moyen que j'emprunte pour communiquer.

D'une manière générale, le langage peut se définir comme l'ensemble des systèmes symboliques issus de l'activité humaine : science, art, philosophie, etc.

sont ainsi des langages.

Or, qu'est-ce que cela apporte à notre réflexion ? L'idée de parler de langage en termes de systèmes symboliques revient à dire que le langage n'est pas dans un rapport neutre aux choses (les états de l'âme ou les choses du monde).

En somme, les symboles (il ne s'agit plus simplement de mots, comme dans les langues) ne sont pas ce qui tient lieu des choses (par exemple, je dis « chaise » pour désigner l'objet « chaise »), ni ce qui les décrit, mais ce qui les re-décrit.

Qu'est-ce à dire ? Dans la Métaphore vive, Paul Ricœur s'est interrogé sur les ressources du langage en termes de métaphore, au sens où la métaphore permet d'utiliser un mot pour un autre : je dis « le lion s'élança » au lieu de « Achille s'élança ».

En faisant cela, je fais plus que comparer Achille à un lion, je ne me contente pas non plus de décrire Achille, mais je le re-décris comme un lion : mon discours porte au langage, pour ainsi dire, une nouvelle vision des choses.

Utiliser un mot pour un autre, c'est donc réveiller notre attention au langage (la métaphore étonne) et, par voie de conséquence, stimuler la manière dont nous voyons les choses.

Le langage permet alors d'avoir une emprise sur le monde et d'agir sur lui. Conclusion : A priori, le langage spécifie l'homme et présente des qualités indéniables.

Toutefois, il paraît fragile et la parole soumise aux aléas de l'expression. Cependant, il ne paraît pas satisfaisant d'accorder si peu de crédit au langage entendu en un sens si étroit.

En effet, le langage est aussi l'ensemble des ressources symboliques qui permettent de re-décrire le monde : cela vaut dans maints domaines, notamment la philosophie et la création de nouveaux concepts ; l'art et la production d'œuvres originales ; la science et les nouvelles théories (que l'on songe à la relativité générale conçue par Einstein et qui re-décrit le monde), etc.

Le langage affiche alors ses ressources et son caractère fondamental, ce qui ne fait pas peu pour augmenter son crédit.. »

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