Que prétend-on dire quand on dit "je t'aime" ?
Extrait du document
«
L'amour est un concept difficile pour la philosophie.
Il peut en effet se ranger dans l'ordre des sentiments.
Lalande donne comme
définition à l'amour, "tendances attractives, surtout quand elles n'ont pas pour objet exclusif la satisfaction d'un besoin matériel".
Mais
la difficulté de l'amour tient au fait que l'on ne sais pas dans quelle catégorie le ranger? Lorsque je dis "je t'aime", est-ce du sentiment,
de la passion pure ou est-ce que je fais appel également à la raison? Faut-il réfléchir pour bien aimer? Les philosophes ont souvent
considéré l'amour du côté rationnel, comme reconnaissance des mérites de l'autre.
Mais est-ce vraiment le cas? Le désir sexuel tel que
l'ont pensé des auteurs comme Schopenhauer ou Freud, ne fait-il pas basculer l'amour dans un domaine plus pulsionnel, plus instinctif?
Dire "je t'aime", n'est-ce pas plus? N'est-ce pas rechercher le bien de l'autre, lui affirmer son dévouement?
1.
C'est la raison qui me conduit à aimer l'autre
- Selon Descartes, lorsqu'on aime, nous considérons les mérites de l'autre et c'est parce que nous jugeons que la personne a des
qualités, que c'est quelqu'un de bien et qu'il nous convient que nous l'aimons.
Il définit ainsi l'amour : "une passion de l'âme causée par le mouvement des esprits qui l'incite à se joindre de volonté aux objets qui
lui paraissent convenables." (Passions de l'âme) On voit bien que c'est l'esprit qui jugeant convenable, c'est-à-dire bon l'autre, qui est
à la base de l'amour.
- De même, pour Aristote, on aime l'autre pour ses mérites, et c'est la raison qui nous permet d'apprécier ses qualités humaines,
morales et intellectuelles.
- De plus, dire "je t'aime", c'est prononcer une formule dont on mesure les conséquences, les incidences.
Cela nous engage nous
auprès de l'autre personne.
Nous ne disons pas "je t'aime" sans réfléchir, à tout le monde.
Cette phrase engage une réflexion de
l'individu sur ce qu'il ressent, pour qu'il puisse identifier son sentiment à de l'amour.
Ainsi, c'est un sujet raisonnable qui prononce le "je t'aime", sujet qui a élu une personne qu'il jugeait bonne et convenable pour lui et
qui a pris le temps d'examiner ses sentiments pour identifier et déclarer la formule.
2.
Nous aimons une personne parce que nous la désirons
- Spinoza retourne le problème.
Pour lui, nous "jugeons bonne une chose parce que nous la
désirons" et non l'inverse.
Dès lors, nous n'aimons pas quelque chose parce que nous la
trouvons bien, mais bien nous la jugeons convenable parce que nous l'aimons, nous la désirons.
- Beaucoup ont vu dans l'amour une passion sans véritable raison.
- L'amour se réduit à un amour, un instinct sexuel.
La Rochefoucauld affirmait ainsi : "Si l'on
croit aimer sa maîtresse pour l'amour d'elle, on est bien trompé."(Maximes)
Schopenhauer ramène tout amour à l'instinct sexuel, où il n'est plus question de qualité
intellectuelles, mais d'attraction physique "chaque individu recherche ce qui lui correspond en
degré de sexualité"(Monde comme représentation et comme volonté) D'ailleurs, devançant
Freud, il affirme que toute la vie, l'activité humaine est gouvernée par cet instinct : "l'homme est
un instinct sexuel qui a pris corps."
- Ainsi l'amour est une illusion destinée à rendre plus convenable la véritable appétition, qui est
l'instinct sexuel.
Dire "je t'aime", n'est qu'une façon de se faire croire et de faire croire à la
noblesse du sentiment.
3.
Le "je t'aime", une abnégation de soi pour l'autre, la volonté de former un tout
- Pourtant réduire l'amour au simple désir, c'est ne pas pouvoir expliquer pourquoi nous sommes
attachés à une seule personne, mais c'est surtout réduire l'amour à une recherche d'intérêt.
Or,
certains actes amoureux ne montrent-ils pas un altruisme et une véritable abnégation de soimême?
- En effet, dans l'amour, la conscience échappe au poids de l'égoïsme et de la complaisance.
L'amour est dévouement à l'autre.
Quand
je dis à quelqu'un "je t'aime", je prétends l'aimer autant voire plus que moi et agir en vue de son bonheur.
Jankélévitch fixe ainsi en
l'amour la base de la vraie morale.
- Aimer, pour Descartes, c'est un "consentement par lequel on considère dès à présent comme joint avec ce qu'on aime : en sorte
qu'on imagine un tout duquel on pense être seulement une partie et que la chose aimée en est
une autre." Dès lors, dire "je t'aime", c'est demander à l'autre de se joindre à moi et lui
promettre de le traiter aussi bien que moi-même, puisque nous formons un tout.
"Sitôt qu'on
s'est joint de volonté à quelque objet, on a pour lui de la bienveillance."
- Bien sûr, il existe un amour égoïste, un amour pathologique comme l'appelle Kant, qui
n'appelle que déraison et mépris de l'autre.
Dès lors, la mission pour chaque homme est de
réfléchir sur le sens qu'il donne à son "je t'aime" et à examiner ses sentiments pour que cette
formule ne soit pas en fait illusion et que l'amour reste toujours un acte morale et non égoïste.
Ainsi, dire "je t'aime" semble être au premier abord l'affirmation d'une personne conscience et
raisonnable qui juge convenable et bonne l'autre personne.
Mais pourtant, cette formule peut
recouvrir une recherche d'intérêt personnel ou une simple attraction pulsionnelle et physique.
Or, l'amour, le vrai consiste à s'oublier pour le plaisir de l'autre, à ne plus voir sa seule utilité
mais bien penser à l'autre aussi.
Dès lors, pour que le "je t'aime" est un sens, chacun se doit de
réfléchir sur ses sentiments et la valeur qu'il leur donne, pour que le "je t'aime" ne soit pas une
simple formule irréfléchie et illusoire..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- "J'aime le souvenir de ces époques nues", Baudelaire
- KELSEN: «Une théorie positiviste, et cela veut dire réaliste, du droit ne prétend pas qu'il n'y a pas de justice, mais qu'en fait, un grand nombre de normes de justice différentes et contradictoires sont présupposées.»
- « J'aime perdre mon temps » dit-on parfois. À votre avis, le temps passé à flâner, rêver, se promener, méditer, converser, etc. est-il du temps perdu ?
- Vigny écrit dans le Journal d'un poète : « J'aime peu la comédie, qui tient toujours plus ou moins de la charge et de la bouffonnerie ». Il précise plus loin sa pensée en disant : « Je sais apprécier la charge dans la comédie, mais elle me répugne parce
- Expliquez, et s'il y a lieu discutez, cette pensée de Jean Guéhenno : «On ne juge jamais mieux qu'à vingt ans l'univers : on l'aime tel qu'il devrait être. Toute la sagesse, après, est à maintenir vivant en soi un tel amour. » (Journal d'un homme de quar