Puis-je vivre sans les autres ?
Extrait du document
«
Cette question n'est pas sans faire penser au début d'un célèbre poème d'Aragon : " Que serais-je sans toi qui
vins à ma rencontre, que serais-je sans toi qu'un cour au bois dormant...
".
Ce poème est avant tout une
déclaration d'amour dans laquelle l'auteur montre à quel point sa vie fût transformée par la rencontre de celle
qu'il aime.
L'autre est alors celle qui vient donner un sens et une valeur à son existence.
La question qui vous
est posée ici est à prendre cependant dans un sens plus général.
Se demander " Que serais-je sans toi ? "
consiste dans un premier temps à relever l'importance de l'autre.
En effet, si nous en restons au sens premier
de la question, nous voyons qu'il s'agit d'une question sans réponse.
Il est impossible de savoir ce que nous
serions sans l'autre quand celui-ci est un individu particulier.
J'ignore donc ce que je serais sans toi.
Toutefois,
ce constat ne nous empêche pas de souligner que l'autre détermine tout notre rapport au monde.
Vous
connaissez sans doute ce célèbre vers " Un seul être vous manque et tout est dépeuplé " qui ici peut faire
écho à cette question.
C'est ainsi sur cette importance du rapport à l'autre dans notre rapport au monde que
vous pouvez faire porter votre réflexion.
Pensez alors à la place d'autrui nécessaire pour la constitution d'une
personne.
[Je suis seul avec moi-même et ne peux pas sortir de cette solitude.
Tout ce que je puis connaître, c'est
cette réalité qui est en moi et qui constitue mon univers intérieur.
Cet univers est assez riche pour me
combler.
Je peux donc me passer des autres.]
Le sujet pensant est la seule réalité concevable
L'idée de l'isolement de la conscience a longtemps persisté.
Chez Descartes, la vérité première, celle qui
résiste à tous les efforts du doute le plus extravagant qu'il soit, c'est le cogito.
Je ne suis, au fond, assuré
que de la propre existence de ma conscience.
Tout le reste est plus qu'incertain.
Si je regarde d'une fenêtre
des hommes qui passent dans la rue, que vois-je dit Descartes, « sinon des chapeaux et des manteaux qui
peuvent couvrir des spectres ou des hommes feints qui ne se remuent que par ressorts ? » (« Méditation
seconde »).
«Que vois-je de cette fenêtre, sinon des chapeaux et des manteaux,
qui peuvent couvrir des spectres ou des hommes feints qui ne se
remuent que par ressorts ?» Descartes, Méditations métaphysiques
(1641), II.
• Le doute méthodique qui mène Descartes à remettre en cause
l'existence même du monde extérieur permet de bien comprendre la
distance qui me sépare d'autrui.
Qu'est-ce qui me prouve, en effet, que
je ne suis pas le seul être doué d'une véritable subjectivité, et que les
autres ne sont pas tous des automates, ou même des rêves?
• Si radicale et paranoïaque qu'une telle hypothèse puisse sembler,
c'est bien souvent comme un automate - ou comme un objet, et non
comme un sujet digne de ce nom - que je traite autrui lorsque je
l'instrumentalise à mes propres fins ou que je le considère comme d'une
dignité inférieure à la mienne.
Seule la certitude que Dieu existe, qu'il est « vérace », peut lever
l'hypothèse d'un Dieu trompeur ou d'un malin génie et me garantir que
cette forte propension que j'ai à croire en l'existence du monde et
d'autrui n'est pas illusoire.
Chez Leibniz, chaque « monade » n'a ni porte ni fenêtre.
Chaque conscience est une substance transparente
à elle-même et fermée sur elle-même, un monde clos, une intériorité privée, à laquelle les autres n'ont pas
accès.
Si autrui est, en quelque sorte, absent, c'est parce que le champ de la réflexion philosophique est alors
occupé par le problème de la recherche de la vérité.
D'où l'opposition entre, d'un côté, le sujet connaissant
et, de l'autre, le monde à connaître.
Cette confrontation exclut la présence d'un tiers, à l'exception
cependant de Dieu.
Le cogito cartésien est ce qui permet en philosophie une nouvelle position du problème d'autrui.
Dans ses «
Méditations », Descartes ne veut reconnaître comme vrai que ce dont il ne peut absolument pas douter.
C'est
ainsi qu'il met en cause l'existence du monde extérieur et les vérités mathématiques.
Décidément, la seule.
»
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