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PUIS-JE ÊTRE SÛR DE NE PAS ME TROMPER ?

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« Il arrive que l'on ait l'impression ou le sentiment d'être dans le vrai.

Mais comment passer de cette impression à une authentique et complète certitude ? Que pourrais-je répondre à qui serait en désaccord avec moi ? Et, dans cette situation de désaccord, comment puis-je être sûr de ne pas me tromper ? Je ne peux espérer la certitude que si mon discours est indépendant des situations ou des éléments qui peuvent me tromper: les sens, l'opinion, l'autorité. En conséquence, mon discours n'a quelque chance d'être vrai que si son contenu résulte d'une réflexion et non d'une perception immédiate, d'une analyse et non d'une opinion, d'un travail intellectuel que j'aurai moi-même accompli et non de la répétition d'un avis étranger, si respectable soit-il en apparence. Il apparaît alors que c'est le raisonnement purement formel qui a le plus de chances d'être vrai et de produire une certitude : puisque l'esprit y est par définition maître des symboles et des règles combinatoires qu'il définit lui-même, il me suffit de respecter attentivement cet ensemble de règles pour être assuré de dire vrai.

Ainsi, l'élaboration d'un syllogisme s'accompagne de l'assurance que l'on ne peut affirmer autre chose, à partir de ses deux propositions initiales, que ce qui m'apparaît comme sa nécessaire conclusion.

La nécessité logique qui y est à l'oeuvre produit la certitude. Bien entendu, je peux néanmoins me tromper en mathématiques.

Mais le calcul faux peut être décelé dès lors qu'il résulte de mauvaises déductions. Des protocoles de vérification existent également lorsque je prétends énoncer des vérités matérielles, à propos du «réel»: l'expérience doit par définition m'enseigner si mon hypothèse est juste ou non.

Faut-il dès lors admettre que cette confirmation de l'hypothèse suffit pour garantir la vérité de la loi induite? On se heurte ici à deux arguments: — du point de vue empiriste (Hume), rien ne peut absolument garantir que la loi que je découvre n'en dissimule pas une autre, qui serait la seule, dans la réalité de ce que j'observe, à déterminer le phénomène que je prétends expliquer.

La certitude est ici indéfiniment différée. — L'induction elle-même suppose l'adhésion au principe du déterminisme.

Ce dernier n'est, au sens strict, jamais prouvé.

Tout au plus est-il confirmé par la réussite des applications déduites des lois.

Rien ne garantit que celles-ci soient autre chose que «générales» c'est-à-dire vérifiables seulement dans un certain état donné du Monde : les lois scientifiques supposent une durée indéfinie du monde tel que nous le vivons, mais cette durée peut être mise en question sans difficulté. Pour échapper à de telles difficultés, on peut être tenté de se rabattre sur une évidence de style cartésien : ce qui me donne la certitude que je ne me trompe pas, c'est la clarté et la distinction de mes idées et de leurs enchaînements (pour Descartes, la vérité mathématique, formelle, tient lieu de modèle).

L'évidence signale une vérité qui n'a pas besoin de critérium extérieur, parce qu'elle est capable de s'imposer d'elle-même à l'esprit. Immédiate, elle ne peut être médiatisée, c'est-à-dire justifiée: elle est d'elle-même sa propre justification.

Ainsi, pour Spinoza, la vérité «se fait connaître et fait connaître les ténèbres: la vérité est norme d'elle-même et du faux ». Bien entendu, ce caractère d'évidence n'est pas donné immédiatement à la pensée; il résulte au contraire d'un long cheminement intellectuel, au cours duquel sont éliminées les différentes raisons de douter.

Le Cogito est ainsi évident parce qu'il est affirmé du sein même d'un univers néantisé avec efforts, il opère ainsi une sortie hors du doute qui apparaît impuissant à son égard et manifeste ce qui, dans l'être, est en effet impossible à néantiser: en disant «je pense, je suis », je ne peux me tromper parce que, avant d'en arriver à une telle formulation fondatrice, j'ai développé le doute le plus loin possible et que je puis en conséquence garantir que ce qui lui échappe est certain. Mais on doit se demander si un autre énoncé peut être aussi sûr que le cogito lui-même.

L'évidence, de ce point de vue, qualifie peut-être moins l'idée elle-même que le rapport qu'a notre pensée avec elle : elle est la condition de notre assurance, mais pour admettre qu'elle peut concerner d'autres idées que le cogito, il faut admettre au moins, avec Descartes, que Dieu existe et que tous les hommes bénéficient d'une même capacité rationnelle pour accéder à la vérité.

En l'absence de ces deux affirmations complémentaires qui autorisent une généralisation de l'évidence, on retombe dans une diversité possible des évidences (à chacun les siennes) qui, réintroduisant un relativisme, m'interdit l'assurance d'être dans le vrai. Vouloir être sûr de ne pas se tromper, c'est vouloir échapper, non seulement à l'erreur, mais à la richesse des interprétations divergentes.

Peut-être est-il préférable d'être au contraire toujours inquiet à propos des vérités que l'on croit connaître ou « posséder » : cela évite au moins de verser dans le fanatisme. [Introduction] Socrate nous a appris que le propre de l'ignorance est d'être aveugle à elle-même : celui qui se trompe croit. »

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