Pourriez-vous m'expliquer ce qu'est le mysticisme ?
Extrait du document
«
Introduction
Au sens propre, le mysticisme est cette croyance à la possibilité d'une union intime et directe de l'esprit humain au
principe fondamental de l'être, union constituant à la fois un mode d'existence et un mode de connaissance étrangers et
supérieurs à l'existence et à la connaissances normales.
La disposition affective propre au mysticisme est ce qu'on appelle
l'extase, un état dans lequel toute communication étant rompue avec le monde extérieur, l'âme a le sentiment qu'elle
communique avec un objet interne, qui est l'être parfait, l'être infini, Dieu.
Mais ceci ne considère que la finalité du
processus mystique.
En effet, le mysticisme est essentiellement une vie, un mouvement, un développement d'un caractère
et d'une direction déterminées.
I.
Mysticisme et logique
a.
Le mot mystique nous vient du Pseudo Denys l'Aréopagite.
Ainsi selon lui, pour atteindre l'être, il faut dépasser les
images sensibles, les conceptions et les raisonnements de l'esprit.
Il affirme, en se fondant sur une expérience qui n'a rien
de logique, mais qui semble l'expression d'un contact intime, que « cette parfaite connaissance de Dieu qui s'obtient par
ignorance en vertu d'une incompréhensible ; et ceci a lieu quand l'âme, laissant toute chose et s'oubliant elle-même, s'unit
aux clartés de la gloire divine » (Noms divins, VII, 3).
b.
Entre la science mystique et la connaissance théologique (métaphysique ou physique), il y a une différence analogue
à celle qui sépare comme par un abîme l'impression d'un artiste goûtant une symphonie, et le commentaire littéraire que
tout homme d'esprit cultivé, eût-il l'oreille fausse ou n'eût-il en effet jamais entendu une note, pourrait comprendre, en
s'imaginant peut-être qu'il a de l'œuvre, transposée en un langage livresque, une intelligence supérieure à celle du
musicien.
S'oppose alors à l'intuition mystique (appréhension intuitive des choses) la connaissance rationnelle et logique
du savant qui prétend à une compréhension de la totalité des choses qu'il examine.
c.
Le mysticisme est considéré comme l'un des quatre grands systèmes philosophiques qui, selon l'éclectisme, se sont
succédés en cycles dans l'histoire de la pensée humaine, et que le progrès de la réflexion philosophique a pour but de
concilier de plus en plus complètement.
Il résulte d'une réaction contre le scepticisme, et se caractérise par l'effacement de
la raison au profit du sentiment et de l'imagination.
Les étapes du développement du mysticisme sont déterminées par E.
Boutroux : la première est l'aspiration à l'absolu, puis vient l'effort de purification et l'ascèse, ensuite l'extase, ainsi que le
retour sur la vie antérieure et l'orientation nouvelle du jugement et de la conduite, la réalisation (individuelle ou sociale) de
la vie parfaite (cf.
E.
Boutroux, Le mysticisme, Bulletin de l'institut psychologique).
II.
la disposition mystique
a.
Il y a des états psychologiques propres qui caractérisent le mysticisme.
Ainsi ces états présentent d'une part la
dépréciation, voire l'effacement des symboles sensibles et des notions de la pensée abstraite et discursive ; c'est d'autre
part le contact direct et immédiat de l'esprit avec la réalité épurée de toutes superficialités.
Le mystique a donc l'impression
d'avoir plus de connaissance et de lumière.
De fait, il reproche aux mots et à la valeur logique que l'homme attribue à
toutes choses, de ne pas être la meilleure clarté qu'on puisse avoir des choses.
D'où cette parole de Beethoven : « La
musique est une révélation plus haute que la sagesse et la philosophie » (R.
Roland, Vie de Beethoven).
b.
La pensée du cardinal N.
de Cues, quelque peu révolutionnaire pour son époque, semble énigmatique et
mystérieuse au premier abord, dans la mesure où il met en branle de nombreuses conceptions bien établies.
Sa
méthodologie a pour but d'inciter l'homme à évoluer par lui-même, et à se retirer des pures déterminations rationnelles
qu'il crée lui-même.
Il faudra passer d'une pensée de l'abstraction à une pensée de la conciliation des contraires, de la
raison discursive à la raison spéculative (ou intuition).
Il y a toujours quelque chose de mystérieux dans l'approche du
mysticisme : « Le mystique assurément est quelque chose de mystérieux, mais toutefois seulement pour l'entendement, et
cela simplement parce que l'identité abstraite est le principe de l'entendement alors que le mystique (en tant que
synonyme du spéculatif) est l'unité concrète de ces déterminations qui pour l'entendement ne valent comme vraies que
dans leur séparation et opposition » (Science de la logique, addition au § 83).
Hegel entend par cela qu'à la différence de
l'entendement qui découpe le réel, l'âme mystique se plonge totalement dans l'unité réel et de la pensée.
c.
Selon Maître Eckart, c'est au plus profond de son âme que l'homme trouve le principe grâce auquel il participe de
Dieu.
C'est en elle que peut avoir lieu l'union avec Dieu, lorsque l'homme s'abandonne totalement à ce qu'il a de plus
intime en soi, et grâce à quoi il vit.
Eckart redéploie des valeurs monastiques comme la pauvreté, l'obéissance, la chasteté,
la prière et la charité.
Par exemple, la pauvreté ne consiste pas seulement dans la renonciation aux richesses du monde,
elle est aussi la totale manifestation d'une totale passivité de la créature devant son Dieu.
Le pauvre renonce à lui-même
et s'abandonne à la volonté et à l'amour divin.
L'âme est prête à recevoir l'être de Dieu car elle est le lieu de la naissance
de Dieu en l'homme : d'où le thème de co-naissance.
Conclusion
C'est bien l'expérience intime et personnelle d'une union ineffable avec Dieu qui caractérise l'expérience mystique.
Mais
on voit que cette position existentielle ne s'exprime pas sans un effort préalable et un long travail de recueillement en soi.
On ne peut prétendre atteindre au divin comme ça, sans s'y attendre.
Le mystique a un but, ainsi avant l'extase salvatrice,
il a à effectuer le long chemin de la quête de la connaissance de soi.
L'œil intérieur de Dieu, qui contemple les créatures se
dissimule au sein même de la pensée en l'homme.
Ainsi l'homme doit se replier sur lui-même pour pouvoir trouver cet œil,
ce trésor divin enfoui dans les abîmes de la conscience.
La réflexion absolue, comme pensée se pensant dans sa vérité,
dans sa pureté, souligne bien cette union de l'œil divin en l'homme et de l'œil de l'homme comme réflexion.
Cette union
comme vision du point absolu par lui-même, c'est Dieu qui s'observe lui-même, c'est cette pensée aristotélicienne qui se
pense elle-même dans l'éternité de l'instant..
»
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