Pourquoi travaille t-on ?
Extrait du document
«
PREMIERE CORRECTION
L'opposition entre le travail et l'oeuvre suggère que le travail a pour fonction principale la reproduction de la « vie biologique » : il servirait à
satisfaire les besoins utiles à la vie (se nourrir, se vêtir, se loger...).
A cause de cette finalité « vitale », le travail ferait du travailleur celui qui reste
attaché à la sphère animale de son existence.
C'est en ce sens que Arendt oppose le travail, rivé aux besoins, dont les produits sont faits pour être
consommés, donc pour ne pas durer, à l'oeuvre (l'ouvrage de l'artisan et la création de l'artiste), plus spirituelle et donc plus humaine.
Pourtant, dans bien des cas, les produits du travail semblent ne pas répondre à des besoins vitaux.
Il faut ici d'abord s'interroger sur la légitimité des besoins que le travail permet de satisfaire.
Les critiques adressées
aux sociétés de consommation font de cette idée un leitmotiv : les besoins ne cessent de croître et il faut toujours
travailler davantage pour les satisfaire, mais ces besoins sont « artificiels ».
Déjà Rousseau voyait dans la
multiplication des besoins une perversion de l'humanité, déplorant que les hommes soient incapables de se satisfaire
d'une vie simple et frugale.
Les besoins naturels sont alors opposés aux besoins artificiels.
« Naturel » est assimilé à
« vital » et à « nécessaire », l' « artificiel » est dénoncé comme « superflu ».
Et tout travail non limité à la
satisfaction des besoins naturels tombe sous cette dénonciation : production d'objets inutiles, il serait le fait d'une
humanité entraînée dans la spirale sans fin des besoins superflus et réduite à la seule dimension laborieuse de son
existence, parce que condamnée à produire toujours plus pour consommer davantage.
Mais ces oppositions et ces assimilations sont discutables.
L'adjectif « vital » lui-même est source de confusions :
s'il ne désigne que ce qui est strictement indispensable à la conservation biologique de l'individu, ou de l'espèce,
alors presque aucun des besoins dont nous considérons aujourd'hui la non-satisfaction comme laborieuse ou
intolérable ne saurait être qualifié de « vital ».
est-il vital de vivre avec l'électricité, de dormir dans un lit, etc.
?
Il y aurait donc des besoins appelés « vitaux » parce qu'absolument naturels (ou biologiques), et d'autres « vitaux »
en un autre sens : ils définissent ou délimitent, dans une société, le seuil de pauvreté.
Ces derniers sont
« nécessaires » si l'on veut ; mais il faut alors distinguer « nécessaire » et « naturel ».
Ce sont des besoins à la fois
nécessaires et historiques, cad relatifs à un certain état de développement social.
Ainsi, les besoins de confort,
mais aussi ceux liés par exemple à l'urbanisation, comme les transports.
Reconnaître cette nécessité relative et historique des besoins, c'est ne plus se satisfaire d'une opposition entre le
naturel et l'artificiel.
Celle-ci exprime un point de vue de moraliste.
D'une part, elle suggère que l'artificiel est du
superflu, qui peut être sans dommage retranché de nos sociétés dévorées par le consumérisme.
D'autre part, les
besoins naturels sont alors définis en référence (même lorsqu'elle est implicite) à un mode de vie idéal, abstraction
faite des conditions sociales et historiques, mais lié à une conception du bonheur humain.
Ainsi, Rousseau,
définissant le bonheur comme un état d'équilibre entre les besoins et les moyens de les satisfaire, critique les
sociétés dans lesquelles cet équilibre individuel ,ne peut être réalisé.
On pourrait en vérité tout aussi bien inverser, comme le fait Hegel, cette perspective « rousseauiste » : le travail,
qui nous offre la possibilité de satisfaire de plus en plus facilement des besoins de plus en plus variés, est le signe,
non d'un éloignement d'un état de nature idéal, mais d'un progrès continu des sociétés humaines.
C'est bien parce
que l'homme est capable, grâce au travail, de satisfaire des besoins « sociaux » qu'il échappe à la pure animalité.
Le besoin et sa représentation sociale.
« Dans la mesure où dans le besoin social, comme liaison du besoin
immédiat ou naturel et du besoin spirituel de la représentation, c'est ce
dernier qui est universel et devient donc prépondérant, il y a dans ce moment
social le côté libérateur dans lequel la rigoureuse nécessité naturelle du
besoin est occultée, et où l'homme se rapporte à son opinion, qui est ici
opinion universelle, et à une nécessité qui n'existe que de son fait : au lieu de
rapporter sa conduite à une contingence uniquement extérieure, il la rapporte
à une contingence intérieure, à l'arbitraire de son choix.
Remarque : l'idée que dans un prétendu état de nature où il n'aurait que des
besoins naturels prétendument simples et emploierait uniquement pour les
satisfaire les moyens qu'une nature contingente lui fournirait immédiatement ,
l'homme vivrait en liberté pour ce qui concerne les besoins, est –même si nous
faisons momentanément abstraction du moment de libération que comporte le
travail, sur lequel nous reviendrons ultérieurement- le produit d'une opinion
erronée, parce que ce besoin naturel, en tant que tel, et sa satisfaction
immédiate ne seraient jamais que l'état où la spiritualité est enfoncée dans la
nature, un état frustre et non libre, alors que la liberté ne peut résider que
dans la réflexion en soi-même de l'élément spirituel, dans sa différenciation
d'avec ce qui est naturel et sa projection en retour sur cette nature.
»
Hegel, « Principes de la philosophie du droit », $194.
Contrairement à Rousseau, ici implicitement critiqué, Hegel voit dans la socialisation et la multiplication des.
»
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